PLEIN, PLEINE, adj., adv., prép. et subst. masc.
Étymol. et Hist. A. Adj.
1. ca 1050 fig. «dominé par, empli du sentiment, de l'idée de» (
Alexis, éd. Chr. Storey, 136);
2. a) ca 1100 «empli, dont l'espace intérieur est totalement occupé» (
Roland, éd. J. Bédier, 3686);
b) ca 1100 antéposé, dans un syntagme désignant le contenu ou la taille de quelque chose pour indiquer une quantité (
ibid., 3606);
c) ca 1170 «occupé par autant de personnes que prévu, complet» (
Chrétien de Troyes,
Erec et Enide, éd. M. Roques, 562);
d) ca 1220 «empli de nourriture» (
G. de Cambrai,
Barlaam et Josaphat, 12180 ds T.-L.); 1450
yvre et plenne de vin (
Archives du Nord, B 1684, f
o151 v
ods
IGLF); 1640 (
Oudin, p.431:
plein −i. yvre ou saoul);
e) [1886 d'apr.
Esn. «bien en fonds» en parlant d'un joueur] 1901 arg. «riche» (
Bruant) [1909 d'apr.
Esn.]
plein aux as prob. en rapport avec le terme du jeu de poker
full*;
3. a) ca 1100 «étant dans toute son ampleur, sa puissance`` (
Roland, 1204);
b) déb.
xiies. précédé de la prép.
à «dans toute la force, la puissance, avec la totalité de» (
St Brendan, 1669 ds T.-L.);
c) ca 1160 «au moment où elle est entière (lune)» (
Eneas, 1115,
ibid.)
d) 1160-74 «total, sans restriction»
plain cungié (
Wace,
Rou, éd. A.-J. Holden, II, 387);
ca 1208
plain pooir (
Villehardouin,
Conquête Constantinople, éd. E. Faral, § 11, t.1, p.14);
e) 1176-81 précédé de la prép.
en «au milieu de, dans son moment le plus fort»
an plainne cort (
Chrétien de Troyes,
Chevalier lion, éd. M. Roques, 3668);
xiiies.
en plain aoust (
Rêveries ds
Bartsch Chrestomathie, 74, 18, p.237);
f) ca 1225 «qui est au moment le plus fort, exactement dans son maximum»
plains miedis (
Gautier de Coincy,
Miracles Notre Dame, éd. F. Koenig, I Mir 37, 365, t.3, p.88);
4. a) ca 1100 «dans toute sa durée» (
Roland, 2);
ca 1485
ses jours plains «son compte de vie, l'âge de mourir» (
Vieil Testament, XXX, 27078, éd. J. de Rothschild, t.3, p.425);
b) 1810 «dont la durée est tout entière occupée, empli d'activité» (
Stendhal,
Journal, p.68);
5. a) fin
xie-déb.
xiies. «ferme, replet» (
Alberic de Besancon,
Alexandre, éd. E. C. Amstrong,
Elliott Monographs, t.3, p.40, v. 68);
b) 1538 «massif, constitué d'une matière dense» (
Est.,
s.v. gravidus);
c) 1580 fig. «dense, riche, de grande valeur intellectuelle» (en parlant de livres) (
Montaigne,
Essais, II, XII, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p.569); 1588 «
id.» en parlant du langage (
Id.,
ibid., III, V, p.873);
d) 1690 «épais» (en parlant d'un trait ou d'un caractère d'écriture) (
Fur.);
6. a) 1155 «dans lequel, sur lequel il y a beaucoup (de)» (
Wace,
Brut, éd. I. Arnold, 11543);
b) ca 1140 fig. «dont le caractère, l'esprit ou la personnalité présente beaucoup de» (
Pélerinage Charlemagne, éd. G. Favati, 438);
c) ca 1176 «riche en» (
Cligès, éd. A. Micha, 3264);
7. 2
emoit.
xiiies. «en gestation, enceinte» (
Gaufrey, 318 ds T.-L.);
8. 1549
plain saut pour
prin saut, v.
primesaut (
Ronsard,
Aventurée du Roi, 130,
OEuvres, éd. P. Laumonier, t.1, p.23).
B. Prép. inv.
1. déb.
xiies. «autant que ce que désigne le subst. peut en contenir ou en offrir» (
St Brendan, 1578 ds T.-L.:
Plein un sacel);
2. 1176-84 «en grande quantité, en abondance dans ou sur» (
Eraclius, 6325,
ibid.).
C. Loc. adv.
1. déb.
xiies.
a plein «complètement, entièrement» (
St Brendan, 600,
ibid.);
2. 1734
en plein «totalement, directement» (
Marivaux,
Le Paysan parvenu, p.60).
D. Adv.
1. ca 1268
tout plain de «beaucoup de» (
Brunet Latin,
Trésor, 41 ds T.-L.); 1903
plein de «beaucoup» (
Nouv. Lar. ill.);
2. ca 1200
tout plein «tout à fait» (
Beuve de Hantone [Anglo-norm.], éd. A. Stimming, 633);
3. 1736
porter plein (
Aubin,
Dict. de mar., p.726);
4. 1784
verser plein (
Diderot,
Jacques le fataliste, p.523);
5. 1943
sonner plein (
supra ex. 8).
E. Subst.
1. 1174-76 «la totalité (de quelque chose)» (
G. de Pont Ste-
Maxence,
St Thomas, éd. E. Walberg, 164);
2. ca 1340 «état de ce qui est à son maximum, milieu de» (
Batard de Bouillon, 5490 ds T.-L.); 1552
la Lune en son plein (
Ronsard,
Odes, V, IX, 50, éd. P.Laumonier, t.3, p.167);
3. a) 1580 «espace constitué d'un ensemble continu de matière» (p.oppos. au vide) (
Montaigne,
op. cit., II, XII, p.539);
b) 1636 «partie pleine de quelque chose»
le plein de la jambe (
Monet);
c) 1680 «partie large d'un trait d'écriture, d'un caractère» (
Rich.);
4. 1626 (la mer)
au plein «à marée haute» (
D'Aubigné,
Hist. universelle, XI, III, éd. A. de Ruble, t.7, p.29); 1851
battre son plein au propre en parlant de la mer et, par image, en parlant du maximum de quelque chose (
Barbey d'Aurevilly,
Vieille maîtresse, II, III ds
Rob.);
5. 1636 «état de ce qui est rempli»
le plein de la bourse (
Monet); 1863
faire le plein d'eau (
Bellot,
Voyage mers polaires, p.105); 1911
faire le plein d'essence (
Rozet,
Défense et Illustr. de la Race Française ds
Petiot 1982);
6. 1873 assur. (
Journal des actuaires fr., janv., t.2, p.88 ds
Littré Suppl.).
F. Adj.
1. 1350
draps pleins (p.oppos. à
rayés) (
Ordonnances des rois de France, t.2, p.397);
ca 1465
velours plein (
G. Chastellain,
Chron., VI, XVII, éd. Kervyn de Lettenhove, t.4, p.78);
2. ca 1280
armes plaines (
Girard d'Amiens,
Escanor, 3761 ds T.-L., t.7, col. 1026); 1606
Pleines Armes (
Nicot). Du lat.
plenus «plein, complet, entier, abondant en». La collision homon. avec les formes issues du lat.
planus (v.
plain chant et
plain pied) est à l'orig. des empl. notés en F et qui proviennent de ce dernier étymon. Le rattachement à l'un ou à l'autre étymon est parfois moins sûr, d'autant que l'étymol. seconde a pu jouer;
cf. p.ex. le sens actuel de
pleine terre qui désignait un terrain découvert en a. fr. d'apr.
planus «plat, uni, net» (
Roland, 3294) et
plein subst. «partie pleine d'un mur» ds
FEW t.9, p.27a sous l'étymon
planus qui semble plutôt correspondre au sens noté ici en E 3 b alors qu'on trouve en a. fr.
plain «partie plane, plate, d'un mur» (
Villehardouin,
Conquête Constantinople, éd. E. Faral, § 243, t.2, p.44) ou encore l'expr. de
plein fouet (1865,
Littré) où
plein, avec le sens de «à l'horizontale» peut être rattaché à
planus comme dans l'expr.
de plein vol en a. fr. (
Renard, éd. E. Martin, XIII, 446, t.2, p.55) ainsi que le terme de mar. (
supra V B 1 a et Étymol. et Hist. E 4) rattaché à l'a. fr.
plain «rivage plat» (
FEW t.9, p.30a).