NAVRER, verbe trans.
Étymol. et Hist. 1. Ca 1130 «blesser en transperçant ou en coupant» (
Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 300);
2. fig.
a) 1176 «atteindre quelqu'un (en parlant de l'amour)» (
Chrétien de Troyes,
Cligès, éd. A. Micha, 684);
b) 1538 «causer (à quelqu'un) une grande peine» (
Est.,
s.v. perstringere);
3. part. passé
a) 1562 «qui éprouve une grande affliction» (
Poppe, p.260: (il) en
estoyt fort
navré);
b) 1773 «désolé, contrarié» (
D'Alembert,
Lettre à Voltaire, 13 mai ds
Littré). Altération de l'anc. verbe
nafrer, d'orig. incertaine, signifiant «blesser en transperçant ou en coupant» (
ca 1100,
Roland, éd. J. Bédier, 2093), att. d'abord dans les anc. textes norm. et agn. (encore «blesser; meurtrir» en norm. et dans les parlers de l'Ouest; v.
FEW t.16, p.593b-594a), entré ensuite, comme terme de chevalerie, en prov. et fr.-prov. où l'on trouve
nafrar à partir de la fin du
xiies. (v.
FEW t.16, p.593b).
Nafrer est peut-être empr. par le norm. à l'a. nord.
*nafra «percer (avec une tarière)», que l'on suppose d'apr. le subst. a. nord.
nafarr «tarière» (v.
FEW t.16, p.595a-b), avec un glissement de sens dû prob. à une mauvaise compréhension du verbe en gallo-rom. en raison de l'absence du subst. corresp. La forme
navrer, avec sonorisation de
-fr- en
-vr-, peut être expliquée par le passage du mot norm. au parler de Paris, où le groupe consonantique -
vr- est très fréq. Le point faible de cette hyp. est que le subst. a. nord. n'a pas de représentant en gallo-rom. et, qu'au contraire, le verbe qu'exige le gallo-rom. n'existe pas en a. nord. Selon
EWFS et
H. Meier,
cf. infra, nafrer est issu du lat.
naufragare, proprement «faire naufrage» (v.
naufrager), qui a pris les sens de «gâcher, abîmer, perdre, ruiner» (
viie-
viiies. ds
Nierm. et
Nov. Gloss.), d'où celui de «subir un dommage corporel» (fin du
ixes. ds
Nov. Gloss.);
cf. aussi l'a. esp.
nafregar(e),
navargar «désoler, détruire» (mil. du
xes. ds
Cor.-
Pasc.,
s.v. nafrar), «produire une blessure au cheval» (1129,
ibid.), «maltraiter» (
xiies.,
ibid.) et l'a. port.
ana(u)fragar (1223 ds
Mach.3). L'évolution phonét. de
naufragare à
nafrer s'expliquerait par une réduction de
naufragus (analogue à celle de
rêver*), ou par une formation régr. de
nafregare (issu de
naufragare par substitution de suff.;
cf. aussi l'esp.
doblar/doblegar,
desdentar,
desdentegar... v.
Cor.-
Pasc.,
loc. cit.) ou encore par l'infl. des formes verbales accentuées sur la syll. initiale (
naufraga, naufragat...). V.
FEW t.16, pp.593b-596b et
H. Meier,
Lateinisch-romanische Etymologien, 1981, pp.114-151.