NE, N', adv.
Étymol. et Hist. I. Négation portant sur le verbe
A. Négation simple
1. 842
non devant consonne (
Serments de Strasbourg, 20 ds
Henry Chrestomathie, p.2: Si Lodhuuigs sagrament que son fradre Karlo jurat conservat, et Karlus ... de suo part
non loˑs tanit, si jo returnar
non l'int pois ...); 881
non devant consonne,
non devant voyelle (
Ste Eulalie, 9-10,
ibid., p.3: Niule cose
non la pouret omque pleier La polle sempre
non amast lo Deo menestier);
id. noˑs [
non suivi du pron. enclitique
se] (
ibid., 20: Elle colpes non auret, por o
noˑs coist); 1
remoitié
xes.
ne devant consonne (
Jonas, éd. G. de Poerck, 126: e
ne doleiet tant [Jonas] de lur salut [
Judeorum]);
id. devant voyelle (
ibid., 203:
ne aiet niuls male voluntatem contra sem peer);
ca 1050
n' élidé devant voyelle (
St Alexis, éd. Chr. Storey, 22:
N'ourent amfant, peiset lur en forment);
id. nen devant voyelle (
ibid., 68: An ices[t] secle
nen at parfit'amor);
2. employé dans des phrases où un indéf. négatif (pron. ou adj.) remplit la fonction de suj. ou de compl. 881 (
Ste Eulalie, 9,
supra); 1
remoitié
xes. (
Jonas, 203,
supra); 2
emoitié
xes. (
St Léger, éd. J. Linskill, 156:
Ne soth nuls om qu'es devenguz); fin
xes. (
Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 290: El [Jesus] mor a tort, ren non forsfist);
ca 1050 (
St Alexis, 614: Ço ad ques volt [Alexis], nïent
n'en est a dire);
3. employé dans des phrases où se trouvent des termes coordonnés par
ne 881 (
Ste Eulalie, v.
ni I A 1);
4. employé avec
que adv. interr. exclam. pour constituer une phrase négative exprimant le regret
ca 1050 (
St Alexis, 419: E d'icel[s] bien[s] ki toen doüs[sen]t estra, Que
n'am perneies en ta povre herberge? 438: E de ta medra que
n'aveies mercit?);
ca 1100 (
Roland, éd. J. Bédier, 2723: E! lasse, que
nen ai un hume ki m'ociet!);
5. expression de la défense
a) précède l'impér.
ca 1100 (
ibid., 1106: Respunt Rollant:
Ne dites tel ultrage!);
b) précède l'inf. prohibitif pour traduire une défense empreinte de vivacité
ca 1100 (
ibid., 1113: «Sire cumpainz, amis,
nel dire ja!...»);
ca 1135 ce tour prohibitif mis en subordonnée (
Couronnement de Louis, éd. Y. A. Lepage, rédaction AB, 86: Ceste corone de Jhesu la te vié, Filz Looys, que tu
ne la baillier);
cf. ca 1150 (
Charroi de Nîmes, éd. D. McMillan, 1302: Qui a ce fet? Garde
ne me celer);
6. expression de l'exception, de l'exclusion
a) dans une prop. consécutive négative, après une régissante négative, exprime une exclusion «sans que, mis à part que»
ca 1100 (
Roland, 102: En la citet nen ad remés paien
Ne seit ocis u devient chrestien; 2865: Ja ne murreit en estrange regnet
Ne trespassast ses humes e ses pers);
b) dans une prop. exclusive ou exceptive
ca 1130 introduite par
mais que (
Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 575: De ceo fist pechié et mal Que sun pere deschevacha, Mais qu'il
nel reconoist pas);
ca 1150 introduite par
senz ceo que (
Wace, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 261: Seint Nicholas iloc coneurent, Senz ceo que mustré
ne lur fu);
ca 1165 introduite par
sauf çou que (
Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 1508: Et neporquant de tant bien fist Sauf çou que garde ne s'en prist);
7. dans une prop. hypothétique négative
a) l'hyp. est exprimée par l'emploi du subj. en parataxe
ca 1165 (
Benoît de Ste-
Maure, Troie, éd. L. Constans, 621; ... chascuns s'en fust partiz,
Ne fust Calcas; 1925:
Ne fust Jason si bien guarniz, En petit d'ore fust feniz);
b) après une principale négative, l'hyp. introduite par
se ... ne, entraîne une notion de restriction 1160-74 (
Wace, Rou, éd. A.J. Holden, II, 2996: Ja n'istreit de prison se par lui
nen issoit).
B. Négation
ne renforcée par des subst.:
ne ... gout(t)e*,
ne ... mie*,
ne ... mot*,
ne ... nient (
néant*),
ne ... pas*,
ne ... point*,
ne ... rien*; ces groupes destinés à renforcer la négation totale par besoin d'expressivité, deviennent des négations composées où le subst. a perdu son sens étymol. pour servir d'appui à la négation.
C. Négation
ne renforcée par des adv.
gaires ... ne, ne ... gaires, v.
guère;
ja*
...ne, ne ... ja; mais*
... ne, ne ... mais;
onques*
... ne, ne ... onques; plus*
... ne, ne ... plus; ces groupes expriment, d'une manière générale, une négation partielle.
D. La négation explétive
1. dans les complétives [
ne affectif et non logique, s'expliquant par l'écart entre un énoncé affirmatif et la crainte ou le désir d'une réalisation contraire,
Ménard, Synt. de l'a. fr., § 290]
a) ca 1050 apr. un verbe de crainte (
St Alexis, 60: «S'or ne m'en fui, mult criem que
ne t'em perde»; 199: ... durement s'en redutet [Alexis] De ses parenz, qued il
nel recunuissent E de l'honur del secle
ne l'encumbrent [
cf. ca 1140,
Pèlerinage de Charlemagne, éd. P.Aebischer, 322: Si senz garde remaint, io criem que ele soit perdue]);
b) ca 1050 apr. un verbe marquant un effort continu et préventif (
St Alexis, 209: Or ne lairai
nem mete an lur bailie);
c) id. après un verbe exprimant l'imminence (avec crainte qu'une chose ne se produise) (
ibid., 305: Ne guardent l'ure que terre
nes enclodet);
d) id. une prière (
ibid., 298: Si [li] depreient que la citét
ne fundet);
e) ca 1100 une interdiction (
Roland, 2438: Jo vus defend que
n'i adeist nuls hom);
2. dans les sub. circ. la négation s'explique par une idée négative implicite
a) ca 1100 temporelle d'antériorité introduite par
einz que (
Roland, 301: Einz i frai un poi de legerie Que jo
n'esclair ceste meie grant ire);
ca 1135 (
Couronnement de Louis, réd. AB, 2229);
b) ca 1100 apr. une loc. marquant l'imminence (crainte qu'une chose ne se produise) (
Roland, 305: A ben petit que il
ne pert le sens; 2789: Si grant doel ad por poi qu'il
n'est desvet);
c) id. dans une comparative de disparité (
ibid., 1616: Plus est isnels [Marmoire, le cheval] que
n'est oisel ki volet; 1725: Mielz valt mesure que
ne fait estultie).
II. Négation ne portant pas sur le verbe
1. Négation de la phrase sans verbe
a) ca 1100 la phrase est constituée par
ne et un pron. suj. −négation totale (
Roland, 567: «Puis m'en cumbatre a Carle e a Franceis?» [dist Marsilies] Guesnes respunt: «
Ne vus a ceste feiz!»); 1176 (
Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 4631: Qui le conuist −
Ne gié −
Ne gié);
b) ca 1135 la phrase est constituée par
ne et un adv. de quantité −négation partielle (
Couronnement de Louis, réd. AB, 163: . V . anz vesqui puis Challes et
ne mes).
III. Ne ... que; ne ... ne que 1. ne ... que. Porte sur un syntagme nom.
a) ca 1100 restriction quantitative (
Roland, 1352: Sa hanste est fraite,
n'en ad
que un trunçun); 1119 restriction numérique (
Philippe de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 2073: Duze demies hures Ço
ne sunt que sis hures);
b) ca 1150 introduit un inf.:
n'i a que + inf. (
Charroi de Nîmes, 699: Molt fu dolant,
n'i ot
que correcier);
2. ne ... que marque une anal. négative
a) ca 1135 «pas plus que» apr. une phrase négative (
Couronnement de Louis, réd. AB, 844: Totes voz messes et vostre sacrement, Vos marïages ne voz esposement Ne pris je mie
ne c'un trespas de vent);
b) 1176 «aussi peu que» apr. une phrase affirmative (
Chrétien de Troyes, Cligès, 916: Et sui je donc por ce s'amie? Nenil
ne qu'a un autre sui). Du lat.
non, adv. de négation (v.
non), qui, en position proclitique, s'est affaibli en
nen (v.
nenni), qui s'est lui-même réduit à
ne devant initiale consonantique. Par besoin d'expressivité, la négation
ne a été tôt renforcée par des subst. positifs signifiant une quantité minime, devenus peu à peu des mots gramm. teintés de négativité −ou par des adv. de temps et de quantité, v.
G. Moignet, Gramm. de l'a. fr., p.278.