METTRE, verbe
Étymol. et Hist. Trans.
I. Faire passer en un lieu
A. Porter, provoquer, causer, faire 1
remoitié
xes. (
Jonas, éd. G. de Poerck, 197: ... liberi de cel peril qet il habebat discretum qe super els
mettreiet); 1160-74
metre le feu (
Wace,
Rou, éd. A. J. Holden, III, 3338);
id. metre fin (
Id.,
op. cit., III, 200);
ca 1170
metre desfanse «s'opposer, résister» (
Chrétien de Troyes,
Erec, éd. M. Roques, 1747).
B. Attribuer à une personne une affectation déterminée
1. 2
emoitié
xes. (
St Léger, éd. J. Linskill, 22: Ab u magistre sempreˑl
mist [sant Lethgier]); fin
xes. (
Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 360: Nos te praeiam, per ta mercet Gardes i
met, non sia emblez [Jesus]);
ca 1100 (
Roland, éd. J. Bédier, 149: Pa[r] num d'ocire i
metrai un mien filz [comme otage]; 2238: Ço est l'arcevesque, que Deus
mist en sun num);
2. 2
emoitié
xes.
metre en reclus «mettre en prison» (
St Léger, 155);
ca 1100 (
Roland, 2934: L'anme de tei seit
mise en pareïs!);
ca 1170
metre a seür «mettre en sûreté» (
Marie de France,
Lais, éd. J. Rychner,
Guigemar, 230);
3. exposer, soumettre 1130-40
metre en jugement «accuser» (
Wace,
Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 649); 1155
metre en abandun «exposer au danger» (
Id.,
Brut, éd. I. Arnold, 7778); 1283
metre en vente (
Beaumanoir,
Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 1511);
4. ca 1150
metre a lettres «envoyer à l'école» (
Wace,
St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 67).
C. Faire occuper un nouvel endroit, un endroit déterminé (souvent avec une nuance de rapidité, de violence)
1. fin
xes.
forsmedre «chasser» (
Passion, 420: ... sancta Mariae, De cui sepˑdïables
forsmisdret [Jesus]);
ca 1100 (
Roland, 1355: Fors de la teste li
met les oilz ansdous);
2. metre en
α) fin
xes. (
Passion, 246: Et en sa man un raus li [Jesu]
misdrent); 1160-74 fig.
metre en mein a «donner, mettre à disposition» (
Wace,
Rou, III, 155);
β) ca 1050
metra an terre, metre en un sarqueu (
St Alexis, éd. Chr. Storey, 579, 583);
γ) ca 1050 fig.
metre el consirrer «mettre dans sa pensée, son esprit; méditer sur» (
ibid., 244); 1121-34
metre en ubli (
Philippe de Thaon,
Bestiaire, éd. E. Walberg, 1373); 1155
metre en memoire «perpétuer, faire garder le souvenir» (
Wace,
Brut, 9026);
3. ca 1050 «donner, attribuer» (
St Alexis, 30: Bel num li
metent [à Alexis] sur la cristïentet);
ca 1100 (
Roland, 3861: Mult granz offrendes
metent par cez musters);
4. ca 1100
metre a (
ibid., 1753: Rollant ad
mis l'olifan a sa buche);
5. disposer, préparer
α) ca 1100
metre le sege (
ibid., 212);
ca 1150
metre le manger (
Wace,
St Nicolas, 1324);
ca 1165
metre les tables (
Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2517);
β) ca 1100
metre en reng (
Roland, 2192); 1155
metre en conrei «ranger en ordre de bataille» (
Wace,
Brut, 851);
γ) 1176 fig.
metre an la voie «mettre sur le droit chemin» (
Chrétien de Troyes,
Cligès, éd. A. Micha, 1032).
D. Faire occuper à une partie du corps une place précise fin
xes. (
Passion, 463: Sobrae malabdes mans
metran [li soi fidel]);
ca 1100
metre la main a l'espee (
Roland, 443); 1160-74
metre main a «saisir quelqu'un [pour l'arrêter]» (
Wace,
Rou, III, 9209); 1377
metre le pié a terre [d'un cavalier] (
Gace de La Buigne,
Deduis, éd.
. Blomqvist, 1953).
E. Disposer sur le corps
ca 1100 (
Roland, 1826: E si li
metent el col un caeignun);
ca 1170 (
Marie de France,
Lais, Eliduc, 409: L'anelet d'or
mist en sun dei;
Lanval, 572: Les pans [de son mantel] en ot entur li
mis).
F. Consacrer à quelque chose, investir
1. début
xiies. «employer une certaine durée, un certain laps de temps» (
Benedeit,
St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 260: E al querre treis jurs
mistrent);
2. 1160-74 «exposer, risquer» (
Wace,
Rou, III, 7627: Por vostre cors, le mien
metreie);
3. ca 1170 «consacrer (ses moyens, son énergie)»
metre s'entente en (
Marie de France,
Lais, Yonec, 26); 1174-87
metre tote sa force en (
Chrétien de Troyes,
Perceval, éd. F. Lecoy, 4282);
4. ca 1210 «dépenser, engager une somme d'argent» (
Guiot de Provins,
Bible, éd. J. Orr, 1958, 2076).
G. Pourvoir une chose d'un élément qui lui manque, qui lui convient
ca 1170 (
Chrétien de Troyes,
Erec, 1608: Ele les [les ataches] fet tot maintenant El mantel
metre isnelemant).
H. [D'un animal] se revêtir, se couvrir de
xives.
metre les pennes (
Moamin et Ghatrif, I, 12, 3 ds T.-L.),
cf. Littré: On dit du porc qu'il a tout mis, quand toutes ses dents sont venues.
II. Placer dans une position nouvelle
1. une personne fin
xes. (
Passion, 285: Cum il l'an
mes [Jesum] sus en la cruz);
2. une chose 1155
metre jus les armes «quitter les armes» (
Wace, Brut, 2741).
III. Placer dans une situation nouvelle (notion de transformation)
A. Amener à tel état, telle situation
1. ca 1050 (
St Alexis, 358:
Metent lur cors en granz afflictiuns; 432: A grant duel
met la sue carn medisme); 1
erquart
xiiies.
metre en ire (
Renclus de Molliens,
Miserere, éd. A. G. van Hamel, 76, 2);
2. 1155
metre a enor «faire parvenir au faîte des honneurs» (
Wace,
Brut, 1357);
3. 1174-76
metre a nëent «anéantir, détruire» (
Guernes de Pont-
Ste-
Maxence,
St Thomas, éd. E. Walberg, 6064).
B. Transposer dans un autre mode d'expression début
xiies.
metre en letre «mettre par écrit, écrire dans un récit» (
Benedeit,
St Brendan, 10); 1155
mettre en escrit (
Wace,
Brut, 12893);
ca 1165
metre en romanz (
Benoît de Ste-
Maure,
Troie, éd. L. Constans, 37);
ca 1220
metre en rime (
Jean Renart,
Ombre, éd. J. Bédier, 45);
ca 1380
mettre en droit françois (
Jean Le Fèvre,
Lamentations de Matheolus, éd. A. G. van Hamel, 70).
C. Transformer, altérer sur le plan physique 1130-40
metre a vie «faire vivre» (
Wace,
Ste Marguerite, 648: Biax sire Dex, lor [aux femmes en couches et aux enfants à naître] aïe E l'un et l'autre
met a vie);
ca 1165
metre a martire (
Benoît de Ste-
Maure,
op. cit., 8654);
ca 1170
metre a mort (
Rois, éd. E. R. Curtius, III, VIII, 32, p.130).
D. Modifier la forme, la structure
ca 1160
metre en cendre «incendier» (
Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 18);
ca 1200
metre en fu et en carbon (
Chevalier au cygne, éd. Ch. Hippeau, 88).
E. Mettre + inf. 1176-81
metre cuire (
Chrétien de Troyes,
Chevalier au lion, éd. M. Roques, 2870). Pronom.
I. Venir occuper un lieu, une place, une situation déterminés
A. Se placer près de quelqu'un, entrer en rapport avec lui
ca 1050
soi metre an la bailie [
d'aucun] (
St Alexis, 209); 1160-74
soi metre el conduit [
d'aucun] (
Wace,
Rou, III, 10649);
ca 1176
soi mettre an la merci [
d'aucun] (
Chrétien de Troyes,
Cligès, 2143); 1269-78
soi metre o [
aucun] «vivre avec quelqu'un» (
Jean de Meun,
Rose, éd. F. Lecoy, 13833).
B. 1. Occuper un lieu
a) début
xiies. «se placer dans un lieu, l'occuper» (
Benedeit,
St Brendan, 261: Un port truvent, là
se sunt mis);
b) ca 1180 «se placer, se glisser, s'insinuer quelque part» (
Marie de France,
Fables, éd. K. Warnke, 65, 12);
2. 1155 «se placer dans une situation déterminée»
soi metre en barate, en aventure (
Wace,
Brut, 4419, 11366);
3. 1670
se mettre à un rang (
Pascal,
Pensées, éd. J. Chevalier ds
Œuvres, p.1159, §275: L'homme ne sait à quel rang
se mettre. Il est ... tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver).
II. Prendre une certaine position
ca 1100
soi metre a tere «se prosterner à terre» (
Roland, 1136);
id. soi metre sur piez (
ibid., 1139);
ca 1170
soi metre en genuilluns (
Marie de France,
Lais, Deux amants, 218); 1176-81
soi metre a genolz (
Chrétien de Troyes,
Chevalier au lion, 6623).
III. Entrer dans un processus, commencer à faire quelque chose
1. soi metre en, ca 1100
soi mettre en bandun «(d'un combattant) offrir le combat, s'exposer aux coups» (
Roland, 1220); début
xiies.
soi metre en mer «prendre la mer, cingler» (
Benedeit,
St Brendan, 90); 1130-40
soi metre el repaire «se mettre en route pour retourner» (
Wace,
Conception N.-D., éd. W. R. Ashford, 62); 1155
soi metre en fuie (
Id.,
Brut, 13127); 1160-74
soi metre en sa rute (
Id.,
Rou, III, 1038);
ca 1170
soi metre es galoz (
Chrétien de Troyes,
Erec, 4346);
2. soi metre a «s'occuper, entreprendre, commencer»
a) 1130-40
soi metre a oreisons (
Wace,
Conception N.-D., 705);
ca 1160 (
Eneas, 9695: Que nus altre
s'i
mete mais);
b) ca 1170
soi metre a la trace de (
Marie de France,
Lais, Yonec, 342);
ca 1200
soi metre al petit pas (
Chanson Guillaume, éd. D. McMillan, 1904).
IV. Prendre un aspect physique
ca 1470
se mettre en «s'habiller, se déguiser en» (
G. Chastellain,
Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t.4, p.285). Du lat.
mittere «envoyer; jeter, lancer (dans un mouvement rapide [p. ex. des armes de trait,
cf. I C 1])» et «laisser aller». La notion de rapidité ayant peu à peu disparu, divers emplois de l'a. fr. se laissent discerner dès l'époque impériale,
mittere devenant insensiblement synon. de
ponere:
cf. Sénèque,
Benef., 6, 27, 2 ds
TLL s.v., 1168, 4:
bene meritum ad pedes tuos mittis; et à basse époque:
Hier. Mat., 9, 17 ds
Blaise Lat. chrét.: neque mittunt vinum novum in utribus veteribus;
vies.,
Oribase,
Syn., 1, 31 ds
TLL s.v., 1168, 16:
mittere in solio; 573-603
Concilium Autiss., can. 37 ds
Blaise Lat. chrét.:
mittere manum ad aliquid «toucher quelque chose». Le sens «émettre, faire pousser, se revêtir de» remonte au lat. class. où
mittere est synon. de
induere, d'abord en parlant des plantes
mittere folium, florem, radices, puis en parlant d'une personne
mittere barbam (
Vitae patrum, 6, 3, 2,
ibid.), enfin p. ext.
mittere vestimenta, ornamenta: dep.
Ovide,
Ars, 1, 582 ds
TLL s.v., 1168, 83:
huic detur capiti missa corona tuo;
cf. Itala, Marc, 11, 7:
miserunt super eum pullum vestimentum et
vies.
Vitae patrum, 3, 47:
misit sibi vestimenta, v.
TLL s.v., 1168-69. Le sens «ajouter (un ingrédient à un autre)» se relève ds
Apicius, IV, 179 d'apr.
Löfstedt,
Syntactica, t.2, p.379:
cum [
ptisana]
bullierit, mittes olei satis et anethi modicum fasciculum. Le lat. médiév. connaît aussi le sens de «porter, causer, susciter» (
bellum mittere vie-
viiies. ds
Nierm.;
ignem mittere 871-874 ds
Nov. gloss.), «consacrer, passer du temps à quelque chose» (856,
ibid.), «mettre par écrit» (
xes.,
Rathier de Vérone ds
Nierm.), «dépenser, payer» (1076 ds
Nov. gloss.), «admettre» (
xie-
xiies.,
Chron. Casinense ds
Blaise Latin. Med. Aev.).