JETER, verbe trans.
Étymol. et Hist. I. Pronom.
A. 1. 2
emoitié
xes. « se mettre, se porter précipitamment » (
St Léger, éd. J. Linskill, 224);
2. 1560 spéc. « se porter avidement, âprement (sur) » (J.
Grevin,
L'Olimpe, éd. L. Pinvert, p. 273 ds
IGLF : le lion [...]
se jette sur la pree);
3. 1751 en parlant d'un fleuve atteignant la mer (
Encyclop. t. 1, p. 700,
s.v. Arno).
B. 1. Ca 1050 « se mettre dans la situation, dans l'état, dans la position de » (
Alexis, éd. Chr. Storey, 357);
2. 1549 « s'engager, se consacrer à » (
Du Bellay,
Deffense et Illustration, éd. H. Chamard, p. 109).
II. Trans.
A. 1. a) Ca 880 « pousser vivement, précipiter (dans) » (
Ste Eulalie ds
Henry Chrestomathie, n
o2, vers 19);
b) ca 1100 « mettre, placer (vivement, sans soin) » (
Roland, éd. J. Bédier, 481);
2. 1568 fig. « mettre dans la disposition, la situation de, réduire à » (
Garnier,
Porcie, 969,
Tragédies, éd. W. Foerster, I, p. 46 ds
IGLF).
B. 1. Fin
xes. « pousser vivement (dehors), expulser, chasser » (avec un adverbe signifiant « dehors, à l'extérieur ») (
Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 72); 1130-40
id. sans adverbe donnant cette indication (
Wace,
Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1104);
2. a) ca 1100 « tirer (de), extraire (au propre) » (
Roland, éd. J. Bédier, 444);
b) ca 1100 au fig. « tirer (de), faire échapper à » (
ibid., 3787);
c) 1540 « sortir d'un état, d'une situation, d'une disposition d'esprit »
jeter hors de doute (
Nicolas Herberay des Essars,
Amadis, éd. H. Vaganay, 181 ds
IGLF).
C. 1. fin
xes. « déterminer par le hasard (du jet des dés) » (
Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 270 : chi l'aura, Sort an
gitad) a. fr.
jeter sort différent du sens mod. de
jeter un sort (
cf. jeter son enchantement II E 3 b);
2. 1549 (
Est.,
s.v. sort :
jeter son sort sur aucun, et l'enchanter, voyez Enchanter et Ensorceler).
D. 1. a) Ca 1050 « lancer » (
Alexis, éd. Chr. Storey, 264);
b) 1585
jetter à la face (
Du Fail,
Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, II, 173 ds
IGLF);
2. ca 1160 « lancer vers quelqu'un pour lui donner » (
Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 105);
3. a) ca 1100 « lancer, envoyer vers le bas, faire tomber »
geter a terre (
Roland, éd. J. Bédier, 464);
b) 1160-74 spéc.
ancres jeter (
Wace,
Rou, éd. A. J. Holden, II, 6484);
4. ca 1200 fauconn. « envoyer en vol libre pour chasser le gibier » (
Renart, éd. E. Martin, XI, 1579).
E. 1. Ca 1050 « faire jaillir hors de soi, produire » (ici, des larmes) (
Alexis, éd. Chr. Storey, 584);
2. ca 1050
« id. » (des cris) (
ibid., 73); 1690
jetter les hauts cris (
Fur.,
s.v. cri);
3. a) 1176-81 « proférer, dire » (
Chr. de Troyes,
Chevalier lion, éd. M. Roques, 1356);
b) fin
xiiies./début
xives. [date ms.] spéc. « proférer une parole magique »
jeter (son) enchantement (
Merlin, II, 223 ds T.-L.);
c) 1350
geter sentensse (
Hist. tirées de l'A.T., éd. H. Loh, p. 142, 15-18);
4. ca 1100 « répandre, émettre, rayonner de, diffuser » (
Roland, éd. J. Bédier, 1809);
5. ca 1170 « fondre, couler dans un moule » (
Rois, éd. E. R. Curtius, III, VII, 23);
6. a) 1322 bot. « engendrer (des tiges), faire croître à partir de soi » (
Watriquet de Couvin,
Dit de l'arbre royal, éd. A. Scheler, p. 99, 492);
b) 1449 en parlant d'une colonie d'insectes, en emploi absolu (
Archives du Nord, B 1684, fol. 34 r
ods
IGLF : Pendant le temps que la dite chamberie sarcoit le dit Millot, ung brugon de mouches qui estoit la endroit
jetta et tellement que, du pourpris du dit Pierre Besso ou il estoit, il arriva devant l'ostel d'un appelé Jehan);
cf. 1636 (
Monet,
Abrégé du parallèle des langues fr. et lat. : Les abeilles ictent, Examen, emittunt apes).
F. 1. a) Ca 1100 « disposer, mettre, placer » (
Roland, éd. J. Bédier, 2652);
b) 1684 « placer (une draperie) en disposant les plis d'une certaine manière » (
Du Fresnoy,
Art de Peinture, p. 32 ds
Brunot t. 6, p. 732);
2. a) ca 1230 « établir, disposer solidement »
jeter un fondement (au propre) (
Eustache le Moine, 2148 ds T.-L.);
b) début
xviies.
jeter les fondements au fig. (
Larivey,
Epistre, éd. Viollet-le-Duc,
Anc. Théâtre fr., V, 2 ds
IGLF);
3. 1280 « compter, calculer, répartir » (
Mémorial des Finances de Robert II, éd. H. Jassemin d'apr.
FEW t. 5, p. 15b);
4. a) 1387 « dessiner le projet de travaux de construction » (
Compte des travaux Collège de Beauvais ds G.
Fagniez,
Documents relatifs à l'Histoire de l'Industrie et du Commerce en France, t. 2, p. 132 et 133);
b) 1680
jetter sur le papier (
Rich. : Quand on commence à composer, il faut
jetter sur le papier tout ce qui vient en l'esprit).
G. 1. Ca 1100 « lancer pour se débarrasser de » (
Roland, éd. J. Bédier, 486);
2. ca 1215 au fig. « rejeter » (
Raoul de Houdenc,
Eles, 568 ds T.-L.,
s.v. puer).
H. 1. 1130-40 « lancer pour répandre, semer » (
Wace,
Conception ND, éd. W. R. Ashford, 261);
2. 1604 au fig.
jetter l'effroy (
Montchrestien,
Cartaginois, éd. Petit de Julleville, p. 134 ds
IGLF).
I. 1. a) Ca 1150 « faire mouvoir, avancer vivement une partie de son corps » (ici, le visage) (
Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 3102); fin
xiies.
« id. » (les bras) (
Orson de Beauvais, 174 ds T.-L.);
b) 1580 au fig. « engager quelque chose de soi » (
Garnier,
Antigone, 1792, éd. W. Foerster, p. 52 ds
IGLF :
Jettant une ame aventureuse a travers les glaives pointus);
2. a) fin
xiies. « brandir, frapper de (ici, une masse) » (
Moniage Guillaume, 2613 ds T.-L.);
b) fin
xiies. « asséner (des coups) » (
ibid., 2664,
ibid.);
c) ca 1450 au fig. (
Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, XXXIX, 37331, V, 32 : Dieu a
jecté sur toy son ire);
3. a) ca 1220 « diriger (les yeux) vers » (J.
Renart,
Ombre, 913 ds T.-L.); 1
erquart
xives. [date ms.] (
Chanson, ms. Oxford Bodl. Douce 308,
Pastourelles, éd. J.-C. Rivière, I, 4, 15 : si me
gete un dous regairt);
b) 1564
jeter les yeux sur « avoir sur quelqu'un des vues particulières, choisir » (
Indice et recueil universel de tous les mots principaux des livres de la Bible, p. 172 v
o);
c) 1604
jeter l'œil « considérer » (
Montchrestien,
David, éd. Petit de la Julleville, p. 282 ds
IGLF :
Jette l'œil seulement sur tes compassions). Du lat. vulg.
jectāre; cette forme, attestée notamment en lat. chrét., est aussi à l'orig. des correspondants de
jeter dans la plupart des autres lang. romanes et représente le lat. class.
jactare, fréquentatif de
jacere « jeter » (
cf. FEW t. 5, pp. 12-24).