CŒUR, subst. masc.
Étymol. et Hist. I. Organe central de la circulation.
A. Ca 1050 « siège de la vie » (
Alexis, éd. Ch. Storey, 445 : Ço'st granz merveile que li mens
quors tant duret); 1130-40 (
Wace,
Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 62 : Ele ama Deu et Deu l'ama, Trestot son
cuer li adona).
B. Ca 1100 au propre (
Roland, éd. J. Bédier, 2965 : [Li emperere ad fait] tuz les
quers en paile recuillir).
C. Ca 1100 p. ext. « la poitrine » (
ibid., 3448 : L'escut li freint, cuntre le
coer li quasset).
D. 1195-1200 « siège des sensations physiques » (
Renart, éd. Martin, branche 11, 565 : il avoit a son
cuer grant fein);
ca 1200 « estomac » (
ibid., branche 9, 1724 : A pou que li
cuers ne me faut);
xiiies. « région épigastrique » (
J. Le Marchand,
Mir. N.-D. de Chartres, 5 ds T.-L. : a vomir les convenoit Du mal qui au
cuer leur venoit); 1508
dire tout ce qu'on a sur le cœur (
Eloy d'Amerval,
Livre de la Deablerie, 147b ds
IGLF); 1633
coucher du cœur sur le carreau « vomir [jeu de mots tiré des cartes] » (
Comédie des Proverbes, acte II, scène 2, Anc. Théâtre fr., t. 9, p. 42).
E. Fin
xiies. « partie centrale » (
Mort Aymeri de Narbonne, 607 ds T.-L. : El
cuer de France).
F. 1340 « objet en forme de cœur » (v.
Gay).
G. 1585 « as de cœur » (
N. Du Fail,
Contes d'Eutrapel, t. 2, p. 202 ds
IGLF).
H. 1600 « sorte de cerise » (
Ol. de Serres,
Théâtre d'Agric., VI, 26 ds
Hug.).
II. Centre de la vie intérieure.
A. Siège des émotions, de l'affectivité.
Ca 1050 (
Alexis, 464 : Ne puis tant faire que mes
quors s'en sazit);
ca 1100 (
Roland, 317 : Tro avez tendre
coer); 1
ertiers
xiiies. (
Lancelot du Lac, éd. O. Sommer, t. 5, partie 3, p. 353 : il navoit oi noveles ... qui tant li
feissent mal au cuer); 1167-70 p. méton.
cœur désigne la personne chérie (
G. d'Arras,
Ille et Galeron, 4160 ds T.-L.).
B. Siège du désir, de la volonté.
Ca 1050 (
Alexis, 166 : Quant tut sun
quor en ad si afermét);
ca 1162
de son cuer « de toute son ardeur, très sincèrement » (
Flore et Blancheflor, 1925 ds T.-L.); début
xives.
avoir au cuer de (faire qqc.) (
Ovide moralisé, éd. C. de Boer, livre V, 460); 1579
de gayeté de cœur (
H. Estienne,
Precellence du lang. fr., 359 ds
IGLF); 1585
du meilleur de mon cœur (
N. Du Fail,
Contes d'Eutrapel, t. 2, p. 275).
C. Siège du sentiment moral, du courage.
Ca 1100 (
Roland, 1107 : mal seit del
coer ki el piz se cuardet);
ca 1220
son cuer reprendre « reprendre courage » (
G. de Coincy,
Mir., éd. Koenig, I Mir 18, 326); 1508
à cœur vaillant, rien impossible (
E. D'Amerval,
loc. cit., 138b).
D. Siège de l'intelligence. 1130-40 « discernement » (
Wace,
Ste Marguerite, 431 : Lors
cuers, lor sens, fais oscurer);
ca 1190 « savoir intuitif » (
M. de France,
Lais, Guigemar, 547, éd. J. Rychner : Mis
quors me dit que jeo vus pert);
ca 1220
les ielz dou cuer (
G. de Coincy,
Mir., éd. Koenig, II Ch 9,3792);
cf. au
xviies. le cœur en tant que siège de la grâce, permettant la communication avec Dieu (
Pascal,
Pensées, section IV, 278 et 277, éd. Brunschvicg, t. 13, p. 201 : C'est le
cœur qui sent Dieu, et non la raison; le
cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point; section XII, 793, t. 14, p. 232 :
aux yeux du cœur et qui voient la sagesse).
E. Siège du souvenir, de la mémoire.
Ca 1190 (
M. de France,
Fables, 70, 61 ds T.-L. : Senz
quer fu e senz
remembrance);
ca 1200
retenir par cuer (
Poème moral, éd. Bayot, 1036);
ca 1220
savoir par cuer (
G. de Coincy,
Mir., éd. Koenig, I Mir 11, 757); 1690 (
Fur. : On dit aussi, qu'on fait dîner quelqu'un
par cœur quand on ne luy a point donné à dîner); 1694 p. ext. de
savoir par cœur :
apprendre une chose par cœur (Ac.), v. aussi
Tobler,
Sitzung der philosophisch-historischen Classe vom 27. October 1904, Berlin, p. 1274, 1275. Du lat. class.
cǒr (peut-être par l'intermédiaire d'une forme *
cǒre, Fouché, p. 656,
Bl.-W.1-5) qui, dans la conception antique, est à la fois le siège de la vie et des fonctions vitales, et celui des passions et des émotions, des pensées et de l'intelligence, de la mémoire et de la volonté (
cf. gr. κ
α
ρ
δ
ι
̓
α « cœur » et aussi « entrée de l'estomac », « siège des passions et des facultés de l'âme »; v. aussi K. Weinberg ds
Arch. St. n. Spr., t. 203, 1966-67, pp. 1-31); pour
par cœur, v.
Bambeck,
Lat. rom. Wortstudien, n
o126.