ARLEQUIN, INE, subst.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. a) 1160-85
mesniee Hellequin « suite, escorte de Hellequin » nom donné à un cortège fantastique de cavaliers maudits, condamnés à une chevauchée nocturne sans fin, la chevauchée sauvage » (
Chr. de Troyes,
Philomena, 192, éd. C. de Boer ds T.-L.
s.v. maisniee : Avuec c'iert [Philomena] si-tres-bone ovriere D'ovrer une porpre vermoille Qu'an tot le mont n'ot sa paroille, Un dïaspre ou un baudequin Nes la mesniee
Hellequin Seüst ele an un drap portreire); 1262
la maisnïe Hellekin attestée au théâtre (
A. de La Halle,
Jeu de la Feuillée, éd. E. Langlois ds T.-L.); le syntagme
maisnie Hellequin est encore attesté en 1495 (
Romant de Richart filz de Robert le Diable d'apr.
Flasdieck,
Harlekin, germanischer Mythos in romanischer Wandlung ds
Anglia t. 61 [59], 1937, p. 243);
Hellequin figure encore ds
Encyclop. t. 8;
b) début
xiiies. p. ext. subst. masc.
halequin « génie malfaisant » (
Chevalier au cygne, 6247, Reiff. ds
Gdf.,
s.v. hellequin : Et ly roys des Taffurs, o lui sy
halequin) −
xve-
xvies.,
Songe doré de la Pucelle, ibid.;
2. 1585
Harlequin désigne un personnage de théâtre (
Histoire plaisante des Faicts et Gestes de Harlequin Commedien Italien Contenant ses songes et visions, sa descente aux enfers pour en tirer la mère Cardine..., À Paris, par Didier Millot, 1585 d'apr.
Driesen,
Der Ursprung des Harlekin, 1904, p. 249 et 252 :
Harlequin s'en allant lui fait mille gambades Mille saults, mille bons et mille bonnetades); 1680 p. réf. à l'habit de ce personnage
habit d'Arlequin se dit de qqc. qui est composé de pièces disparates (M
mede Sévigné,
Lettres à Mmede Grignan ds
Dict. hist. Ac. fr.); 1762
un arlequin « un opportuniste » (
J.-J. Rousseau,
Émile, II ds
Littré).
Harlequin, issu du syntagme
maisnie Hellequin, introduit de manière isolée dans la litt. théâtrale par Adam de la Halle, désigne un être malfaisant, le diable (
supra 1). Entre 1571 et 1580, un
zanni*, paysan bouffon de la
commedia dell'arte, donne à Paris une nouvelle interprétation de son personnage en empruntant au
Hellequin fr. son nom, son comportement, d'où
harlequin qui désigne en 1585 ce nouveau type de comédien, résultat de la contamination entre le
hellequin « démon » de tradition fr. et le
zanni, personnage comique de Venise et de Bergame (
supra 2; v.
H. Flasdieck,
op. cit., p. 257;
O. Driesen,
op. cit., pp. 194-204; les comptes rendus de ces deux études respectivement par E. Richter ds
Z. fr. Spr. Lit., t. 62, pp. 502-05 et par R. Mahrenholtz,
ibid., t. 27
2, pp. 63-65, v. aussi
Wind, pp. 50-53 et
Dauzat,
Ling. fr., pp. 191-192); ce mot est empr. par l'ital.
arlecchino (d'où les formes fr. en
ar-) et les autres langues européennes.
Hellequin est d'orig. anglo-norm. : en 1127-36 Orderic Vital, moine de St Evroult (Orne) désigne le cortège sauvage par
familia Herlechini (
Flasdieck,
op. cit., p. 253); en 1175, Pierre de Blois, chancelier de l'archevêque de Canterbury fustige ds
Ad Sacellos Aulicos regis Anglorum les courtisans de Henry II (
Flasdieck,
op. cit., p. 250), les qualifiant de : martyres saeculi, mundi professores, discipuli curiae, milites Herlewini; de même en 1187-1192-93, Gautier Map, familier du même roi compare, ds
De nugis curialium, les courtisans à la suite de
Herla rex antiquissimorum Britonum (ibid.). D'après Flasdieck, p. 325 et 329, ce
Herla rex représente un vieil anglais *
Her(e)la cyning (m. angl. *
Herle king, auquel correspond l'a. h. all.
Herilo, nom du roi Herilo) qui remonte à un plus anc. *
χarila(n) « chef de l'armée » qui serait une appellation du dieu Wodan (v. aussi Brandl ds
Arch. St. n. Spr., t. 172, pp. 235-236) et dont il faut rapprocher le nom du peuple germain des
Harii cité par
Tacite (
Germania, 43 ds
Forc.). Au contraire, M. Delbouille ds
Bull. de la Soc. de lang. et de litt. wallonnes, t. 69, pp. 123-131 suggère que le choix du nom de
Herla, peut-être création individuelle et arbitraire, a pu être déterminé par l'existence de la famille de mots à rad.
herl- impliquant les notions de « tapage » et de « vagabondage » (a. fr.
harele « tumulte »,
herler « faire du tapage »,
herle « tumulte, tocsin », mots rangés par
FEW t. 16, pp. 148-152,
s.v. a. bas frq. *
hara « par ici »).
Une nouv. hyp. proposée par D. Bugeanu, v.
infra bbg., (all.
Karl désignant un vieux balourd > tch.
Karlik ,,nain`` > ital.
Karlekino) paraît encore insuffisamment fondée.