AIGUILLE, subst. fém.
Étymol. ET HIST.
I.− Petite verge de métal dont une extrémité est pointue et l'autre percée d'un trou pour y passer un fil à coudre.
1. 1177 (
Chrét. de Troyes,
Chev. au Lion, 5416-17, éd. M. Roques : et fil et
aguille a ses manches si li vest, et ses braz li cost); d'où les expr. début
xiiies.
de fil en aiguille « en passant d'un sujet à l'autre » (
Rose, B.N. 1573, f
o132
eds
Gdf. Compl. : Li content,
de fil en aguelle, Tretout quanque leur apartint); 1561
sur la pointe d'une aiguille « sur des points de détail, pour peu de chose » (
Calvin,
Inst., 101, ds
Littré : Rejetons donc ces arguments qui sont fondés
sur la pointe d'une aiguille);
xviies. [chercher]
une aiguille dans une botte de foin « [chercher] une chose difficile à trouver à cause de sa petitesse » (M
mede Sévigné ds
Trév. 1752 : La perte de cet Officier a paru ici comme une
aiguille dans une botte de foin); 1611 (
Cotgr.,
s.v. : Fourni de fil & d'aiguille Readie for any imployment [prêt à n'importe quel emploi]), s'emploie actuellement trans.,
supra; 1845
passer par le trou d'une aiguille « vouloir faire une chose impossible » (
Besch.) [d'apr.
Matth, XIX, 24 : Je vous le dis, il est plus aisé pour un chameau d'entrer par le
trou d'une aiguille, que pour un riche d'entrer dans le royaume de Dieu]; 1863 (
Littré : familier et par exagération. C'est un homme timide; on le ferait
passer par le trou d'une aiguille); p. ext.
2. 1690 (
Fur. : une
aiguille de tête est celle qui sert à coiffer les femmes [...]
aiguille à tricoter des bas [...]
aiguille d'emballeur [...]
aiguille d'oculiste, pour ôter les cataractes des yeux [...]
aiguille de graveur avec laquelle il dessine sur le vernis [...] une
aiguille d'orfèvre, pour enfiler les perles); 1752 (
Trév. : aiguille à mèche [...]
aiguille à relier [...]
aiguilles à selliers,
aiguilles à empointer...); 1835 (
Ac. : aiguille de chirurgien);
3. 1373 vétér. « petit vers causant la maladie de même nom des faucons » (
Gace de La Bigne,
Desduitz ds
Gdf. Compl. : Or est vray qu'
aguille ne sont Fors petitz vers que oyseaulx ont, Qui hault en l'eschyne les tiennent Qui de chair pourrye leur viennent);
cette maladie, de 1690,
Fur. à 1900,
DG.
II.− Tige de métal terminée en pointe.
1. 1208 « aiguille aimantée de la boussole », d'où p. méton. « la boussole » (
Guiot,
Bible, 647 ds
Gdf. Compl. : C'on ne voit estoile ne lune, Dont font a l'
aguille alumer; Puis n'ont il garde d'esgarer, Contre l'estoile va la pointe...); 1600 «
id. » (
E. Binet,
Merv. de la nat., ibid. : Au cap des Aiguilles les
aiguilles et compas demeurent fixes et regardent droitement le nord);
2. a) 1567 « tige de fer sur un cadran gradué » (
Amyot,
Périclès, 6 ds
Hug. : Les umbres des
aguilles es horologes au Soleil);
b) 1690 (
Fur. : Le fleau d'une balance a aussi une
aiguille qui marque la moindre indication de la balance);
c) 1845 (
Besch. :
Aiguille. Chem. de fer. Pièce de fer placée sur un cadran pour indiquer avec précision le degré de force de la vapeur d'une locomotive);
3. p. ext. 1819 « portions de rails qui servent à opérer les changements de voie sur un chemin de fer » (
Dutens,
Mémoires sur les travaux publics, p. 62 ds
P. J. Wexler,
La Formation du vocab. des chemins de fer en France [1778-1842], 1955, p. 129, note 10, sans attest.); 1834 «
id. » (
Surville,
Paris-Orléans par Corbeil, 16 v., 1834, A.N. F
148901,
ibid., p. 90 : Des jeux d'
aiguilles, ou des plates formes tournantes, seront disposés à portée de chaque embarcadère, et de chaque tourne-hors, pour la manœuvre des convois); 1845 1
reattest. lexicogr. (
Besch.,
s.v. aiguilleur);
4. a) 1845 artill. (
Besch. :
Aiguille. Sorte de broche de fer qui sert à confectionner des artifices de guerre); d'où
b) 1897 (
Nouv. Lar. ill. : Fusil à aiguille, fusil se chargeant par la culasse, et dans lequel l'inflammation de la poudre est déterminée par le choc d'une tige métallique).
III.− Divers obj. terminés en pointe.
1. Fin
xiies. « flèche pointue d'une église » (
Enéas, 6431 ds T.-L. : Une
aguille ot amont levee Tote de cuivre sororee);
2. 1332 charpent. « pièce de bois de forme allongée » (
Compte de Odart de Laigny, A.N. KK. 3a, f
o182 v
ods
Gdf. Compl. : Pour .III.
aguilles faire au pressouer); d'où
a) 1690 mar. (
Fur. :
Aiguille est aussi en terme de marine, la partie de l'éperon qui est comprise entre les porte-vergues et la goyere); 1690
id. (
ibid. : Aiguille se dit aussi d'une estaye ou arboutant fait d'une longue pièce de bois, dont les charpentiers se servent pour appuyer le mast, quand on donne carene au vaisseau);
b) 1690 (
ibid. : On appelle
aiguilles, plusieurs pièces de bois posées à plomb, qui servent à fermer les pertuis des rivières pour arrêter l'eau, et qu'on lève quand les bateaux se présentent au passage);
3. 1505 ichtyol. « poisson qui a la forme d'une aiguille » (
Platine de honneste volupté, f
o105 v
ods
Gdf. Compl. : Les
aguilles est ung poisson qu'est a la façon d'une
eguille);
4. a) xvies. bot.,
aiguille de berger « sorte d'ombellifère » (
O. de Serres, 929 ds
Littré : La racine de geranium, autrement ditte
esguille de berger). − 1897,
Nouv. Lar. ill.;
b) 1771 (
Trév. : On se sert de ce terme pour donner l'idée, soit d'un pistil, soit d'une semence... longue, menue et qui se termine en pointe);
c) 1863 (
Littré : feuilles des arbres résineux);
5. a) 1762 chim. (
Ac. : aiguille d'essai ou
touchaux : terme de chimie. Alliage d'or ou d'argent sous des proportions différentes);
b) 1863 (
Littré :
Aiguille [...] En minéralogie, cristaux de forme allongée et déliée;
c) 1834 (
Land. :
Aiguille électrique lame de métal en forme d'S, qui, placée sur un pivot fixé au conducteur électrique, tourne avec rapidité);
6. 1779-96 « sommet effilé d'une montagne » (
H.-B. de Saussure,
Voyages dans les Alpes, d'apr.
Brunot t. 6, 2, p. 1246).
Du lat.
acūcŭla réfection du b.-lat.,
acŭcŭla (diminutif de
ăcŭs « aiguille ») d'apr.
acūtū.Acŭcŭla, attesté au
ives., Chiron, au sens de « petite aiguille utilisée par les médecins », au
ves., Marcellus Empiricus au sens de « aiguille de pin »,
Cod. Theod. au sens de « ornement de coiffure féminine »,
TLL s.v. L'a. fr. prononçant
aguille avec
ül̬
(
-ill n'étant qu'une graphie pour
l̮
), on peut supposer que la diphtongue
u i̭
de
agṷil̮a, continuateur de
acuc(u)la s'est donc réduite à [
u] par fusion de
i̭
avec le
l̬
suiv.,
Fouché t. 2 1958, pp. 286-287; voir aussi Förster ds
Z. rom. Philol., 3, 515 et Mussafia ds
Romania, 2, pp. 478-479, note 2. La prononciation mod. [
uil̬
] en cours à partir du
xvies., est prob. due à une mauvaise interprétation de l'orth., bien qu'il s'agisse d'un terme d'usage courant et domestique,
Fouché,
op. cit., 772, Förster,
loc. cit. La graphie
ai- succédant à
a- est due à une réfection de *
agul̬a en *
aygul̬a sur le modèle de *
ayguydzare, aiguiser*,
Fouché,
op. cit., p. 434.
L'explication phon. de Fouché rend caduque l'hyp. de Nigra ds
Romania, 31, pp. 499-501 qui suppose l'étymon lat. *
aquilia (lat. class.
aculeus « aiguillon ») pour rendre compte du
-ui-.