AIGRE, adj. et subst. inv.
Étymol. ET HIST.
I.− Adj.
A.− Emploi fig.
1. xies. judéo-fr.
aigre « avide » (
Darmesteter,
Les Gloses fr. de Raschi dans la Bible, cité par
Lévy Trésor 1964, p. 8 b);
ca 1178
aigre de « (d'un animé) pressé, avide de » (
Renart, éd. Martin, XXIV, 109 [br. III] ds
Tilander,
Lex. du Roman de Renart, 1924,
s.v. : La louve qui si est haïe, Que si par est
aigre d'anbler), seulement en a. fr.; av. 1188
egre « (d'un animé) impétueux, ardent » (
Partonopeus, éd. Crapelet, 5769 ds
Gdf. : Forz est [le lion] et granz et auques maigres, Juesnes et fameillox et
egres). − Froissart (en parlant d'une pers.); 1280
aigre « pointu » (empl. par image) (
Clef d'amors, éd. Doutrepont, 1732 ds T.-L. :
aigres aguillons), seulement en a. fr.;
2. ca 1121
egre « (d'un inanimé) âpre, pénible » (
Voyage de St Brendan, texte angl.-norm., éd. Suchier, 788 ds T.-L. : Crut l'
egre faim e l'ardant seid).
B.− Sens propre 1170-1171
aigre « qui a une saveur piquante » (
Chrétien de Troyes,
Cligès, éd. Micha, 3214 : Thessala tranpre sa poison, Espices i met a foison [...] Bien les fet batre et destranprer, Et cole tant que toz est clers Ne rien n'i est
aigres n'amers).
II.− Subst. 1. xies. juédo-fr.
aigre « vinaigre »,
Gloses de Raschi, d'apr.
Lévy Trésor 1964; demeuré en norm. (
Moisy 1885);
2. 1494 « ferment » (
A. Thiérry,
Tiers-Etat, IV, 276 ds
Gdf. Compl. : Aucuns
aigres de bieres, rongys et coullouriez de moeures, ciesches et aultres fruitz tirans de legier a corruption, pour et ou lieu de
aigres de vin), attest. isolée.
Du lat.
acer − acris, assimilé en lat. vulg. à la 2
edéclinaison (
App. Probi, IV, 197, 31 ds
TLL s.v., 357, 3 : acre non acrum;
CGL t. 3 1892, 215, 15 : acetum acrum;
cf. aussi lang. méd. :
Rufus,
De podagra, 24, 7 ds
Bambeck,
Lateinisch-romanische Wortstudien, 1 : salicis folia tenera, sales ut salemoriam facias acram; V-VI
es.,
Soranus,
Gynaeciorum vetus translatio latina, 130, 12,
ibid. : in cibo quoque... accipiat vel omne acrum olus). La notion de « piquant au goût et à l'odorat » est exprimée en lat. par
acidus (qui n'a survécu qu'en logoudorien, sicilien, dial. Abruzzes, mélanésien, rhéto-rom.) et accessoirement par
acutus (dont ce sens ne semble pas avoir survécu dans les lang. rom.) et par
acer qui de « aigu, pointu » (
Varron,
Rust., 2, 9, 10 ds
TLL s.v., 357, 30 : malae canum acriores fiunt) signifia « de goût piquant » (
Pline,
Nat., 15, 106,
ibid., 359, 73 : saporum genera [...] acer, acutus, acerbus, acidus, salsus); considéré par Celse, 2, 22,
ibid., 360, 9 comme terme classificateur (acria sunt omnia nimis austera, omnia acida, omnia salsa, et mel quidem) il se développa seul dans les lang. rom. supplantant
acidus et
acerbus. Acer qualifia − le goût piquant de certaines substances (dep.
Caton,
Agr., 104, 1,
ibid., 359, 81 : aceti acris) des humeurs corporelles (Celse, 6, 6, 1,
ibid., 360, 27 : pituita tenuior atque acrior) − les odeurs piquantes (
Apul.,
Met., 9, 24,
ibid., 360, 36 : acerrimo gravique odore sulpuris); emploi fig. : − d'un inanimé (dérivant de la notion de « acide »), qualifie
fames (
Naevius,
Ep., 54,
ibid., 361, 24),
frigus (
Lucr., 4, 261,
ibid., 361, 22); − d'animés (dérivant de la notion « pointu, aigu ») fougueux, impétueux, qualifiant
bacchae (
Plaute Bacch., 371,
ibid., 357, 60);
cf. avec la construction
aigre de : acer ad (CIC.,
Cluent., 67,
ibid., 362, 82 : homine ad efficiendum acerrimo).
La forme a. fr.
aire (fin
xiies., Renclus de Molliens ds T.-L.) est le produit de l'évolution rég. de
acru. Aigre représente − soit un développement phonét. partic. prob. dû au fait que le groupe
-gr- issu assez tardivement de la sonorisation de
-kr- (en syllabe finale de paroxyton) n'était pas parvenu au stade
-yr- au moment où le groupe primitif lat.
-gr- passait à
-yr- (comme
flagrare > *
flayrare). L'assimilation ne s'est alors que partiellement faite, aboutissant à un groupe
-gyr- qui s'est aussitôt interverti en
-ygr- : acru >
aigre, Fouché t. 3 1961, p. 715 − Soit un développement entravé par l'appartenance du mot à la lang. méd. (voir
supra, Rufus, Soranus).