AGUICHER, verbe trans.
Étymol. ET HIST. − 1842-1843 « exciter » (
E. Sue,
Mystères de Paris, VIII, p. 213 : [Le singe] que son maître
aguichait toujours contre l'enfant, monte sur son dos, le prend par le cou et commence à lui mordre au sang le derrière de la tête); 1866 « agacer » (
Lar. 19et. 1 :
Aguicher [...] Argot. Agacer); 1878 arg. « attirer qqn pour lui faire un mauvais coup »,
supra ex. 18; 1890 « attirer par des agaceries » (
P. Bourget,
Physiologie de l'amour moderne, p. 129 : [...] cette cuistrerie sentimentale m'eût-elle empêché d'avoir le cœur navré, une fois de plus, en la [Colette] voyant [...]
aguicher de nouveau ce Salvanay); 1891 « attirer en suscitant la curiosité »,
supra ex. 9.
De l'a. fr.
aguichier « garnir de courroies »
ca 1285 (
Le Roman du Chastelain de Coucy et de la Dame de Fayel, éd. Crapelet, 1057 ds T.-L. : Veissiés... Poitraus mettre et chevaus couvrir, Et ces fors escus
aguicier [ : atachier]), lui-même de l'a. fr.
guiche, guige « courroie par laquelle on suspendait le bouclier au cou »
ca 1100
guige (
Chanson de Roland, éd. Bédier, 3151 : Pent a sun col un soen grant escut let : D'or est la bucle e de cristal listet, La
guige en est d'un bon palie roet), 1130-1160
guiche (
Couronnement de Louis, 935, éd. Langlois ds T.-L. : Le paien a feru [...] Tote la
guiche li desrompi del col, Qu'a terre chiet li bons escuz a or), cette dernière forme empruntée à un a. bas frq. *
withthja « lien d'osier », tandis que
guige représenterait un second empr. à une époque plus tardive, à un a. bas frq. *
widdja «
id. », cette dernière forme frq. étant le résultat d'un affaiblissement des spirantes (voir
FEW t. 17
s.v. *
withthja); l'a. bas frq. est étayé par l'a. fris.
withthe, l'ags.
widde, l'a. nord.
vidja (
De Vries Anord. 1962). Selon
FEW les courroies permettant de porter les boucliers ont été fort longtemps en osier, ce qui permet de rejeter les autres étymol. avancées pour l'a. fr.
guiche, guige, telles que lat. vulg. *
vitica « vrille de la vigne » avec influence du germ.
windan « tourner » (
Dauzat,
Fr. mod., t. 6, 1938, p. 18, n
o1) ou a. h. all.
winting latinisé en
windica « bande à enrouler autour des jambes »
(FEW, loc. cit.).
L'hiatus entre l'a. fr.
aguicier et le fr. mod.
aguicher tendrait à faire croire que le mot a, pendant plusieurs siècles, complètement disparu de la lang. Mais celui-ci a continué à vivre dans les dial. (voir
FEW, loc. cit.), où il a été puisé par la lang. arg. et pop. du
xixes. Le rattachement du 1
ersens attesté en fr. mod. (« exciter, provoquer, chercher querelle à ») à l'a. fr. « mettre une courroie » peut s'expliquer par le concept commun de « lien », par lequel s'exprime volontiers toute relation, même d'hostilité, entre deux êtres (
FEW met en parallèle l'all.
anbinden « chercher noise à », ainsi que l'all.
anbändeln « faire des tentatives d'approche auprès de qqn », qui, tous deux, font partie de la famille de
Band « lien »). La filiation sém. en fr. mod. « exciter », « attirer en excitant », « attirer » est simple.
G. Straka,
Guiche et aguicher ds
Mél. Dauzat, 1951, pp. 323-338, tout en recourant à l'étymon a. fr.
aguichier, propose l'évolution sém. suiv. :
aguicher « attirer par des agaceries » serait la continuation de l'anc. verbe
aguicher en passant par les étapes « mettre la courroie à un bouclier », « mettre le bouclier au cou », d'où « attacher, fixer qqc. », d'où « attirer qqn », d'où « attirer la curiosité de qqn », d'où « attirer qqn par des œillades ou par toutes sortes d'agaceries ». L'auteur suppose en outre une influence phonét. et sém. de l'ang.
aguigner « surveiller du coin de l'œil... » (
Verr.-On.), qui aurait favorisé le passage pour
aguicher du sens « fixer, attacher » à celui d'« attirer l'attention par les regards ».
L'hyp. de
Dauzat Ling. fr. 1946, p. 173 selon laquelle fr. mod.
aguicher serait dér. du fr.
guiche* « mèche de cheveux », fait difficulté du point de vue chronol. De plus, le 1
ersens « exciter, chercher querelle à » serait difficile à expliquer à partir de
guiche « mèche ». À cette hyp., comme à la précédente, s'oppose la chronol. des attest. On remarquera toutefois qu'il convient d'accorder moins d'importance à la chronol. des attest. quand il s'agit de faits de lang. relevant uniquement de la lang. parlée.
Un rapprochement avec le normanno-pic.
agucher « aiguiser, stimuler », var. de l'a. fr.
aguisier (aiguiser*
), (
FEW t. 1, p. 26
s.v. *
acutiare), ne semble pas à retenir. Il en est de même pour une relation avec l'a. pic.
guischier « faire un mouvement brusque de va-et-vient » (empr. à l'a. bas frq. *
wiskjan « se glisser »,
FEW t. 17, p. 599 a;
cf. son emploi ds
Quinze joyes de mar., XI ds
Gdf. : La nuit vient, et sachez que la mere a bien introduite la fille, et enseignee qu'elle luy donne de grans estorces, et qu'elle
guische en maintes manieres, ainsi que une pucelle doit faire).
L'hyp. d'un rapprochement avec l'a. fr.
guischier « tromper » (empr. à l'a. nord.
vizkr « fin, pénétrant »,
FEW t. 17, p. 432 b;
cf. son emploi en parlant d'une femme ds
Foulque de Candie, Schultz-Gora, 1826 ds T.-L. : Si ment et
guische come gaite soutaine) est repoussée par
FEW t. 17, p. 605
s.v. *
withthja.