ACCORDER, verbe trans.
Étymol. ET HIST.
I.− « Mettre d'accord »
1. 1100 trans. « réconcilier (qqn) » (
Roland, éd. Bédier, 74 : Par vos saveirs sem puez
acorder); 1100 pronom. « faire la paix avec (qqn; d'une pers.) » (
ibid., éd. Bédier, 2621 : A Charlemagne se vuldrat
acorder); 1165 (?) et au Moy. Âge seulement
acorder a + inf. « mettre (qqn) en état de, le rendre capable de » + inf. (
Clef d'amors, éd. Doutrepont, 647 ds T.-L. : Sera tost la dame
acordee A bien amer...); d'où divers emplois :
a) 1172-74 trans. « arrêter, décider (ici un acte jur.) » (
G. de Pont Ste Maxence,
Vie St Thomas, éd. Hippeau, 1826,
ibid. : Quant le jugement [li jugemenz] fu fez et
acordez). − 1665,
Retz,
Conjuration de Fiesque ds
Dict. hist. Ac. fr., I, 1865, 514 b;
b) 1554 prob. seulement au
xvies. « conclure un accord » (
Amyot,
Traduction de Diodore, XIV, 7 ds
Hug. : [Les Grecs] commencerent à entrer dedans le pays de la Medie, de laquelle estoit gouverneur Tiribazus, qui
accorda avec eulx et les laissa passer comme bons amys);
c) 1158-1180 mus. trans.
acorder a « mettre en harmonie (la voix avec l'instrument) » (
Thomas,
Roman de Tristan, éd. Bédier, 844 ds T.-L. : La dame chante dulcement, La voiz
acorde a l'estrument);
xives. trans. « mettre en accord les sons d'un instrument suivant le diapason » (
G. de Machault, 9 ds
Littré : David li prophete jadis, Quant il voloit apaisier l'ire De Dieu, il
acordoit sa lire Dont il harpoit si proprement);
d) xves. trans. dr. « (d'un père) promettre une fille en mariage » (
Cte d'Artois, 20 ds
Gdf. Compl. : la belle
fut adcordee au noble conte);
e) xves. gramm., trans. « mettre entre les mots d'une même phrase la concordance que prescrit la syntaxe » (
E. Le Goust,
Response au rondeau 42 de Charles d'Orléans ds
DG : Accorder... l'adjectif et le substantif);
f) 1677 peint. pronom. « assortir, harmoniser les couleurs et les nuances » (
R. de Piles,
2eConvers., p. 292 ds
Brunot t. 6, p. 708 : Ainsi toutes les couleurs... doivent
s'accorder et convenir, pour ainsi dire, en une couleur... cet accord se fait de deux façons); appliqué à l'archit.
Besch. 1845
s.v. :
accorder... Archit. Joindre un vieil ouvrage à un neuf. Appliquer à un ouvrage des parties de construction d'un goût différent;
g) 1687 mar. « faire effort de concert en nageant [ramant] dans un canot » (
Desroche,
Dict. des termes propres de mar. : Acorde. C'est un commandement que l'on fait à l'équipage de la chaloupe pour le faire nager ensemble). − 1922 (
Lar. univ. s.v. : Accorde! Mar. Commandement adressé aux rameurs pour qu'ils rament ensemble. N. f. Commander l'
accorde); 1831 pronom. «
id. en halant sur un cordage » (
Will. :
Accorder (s') v. r.... On doit de même s'accorder en halant sur un cordage; pour agir ensemble dans l'effort);
2. 1291 « concéder » (
Cart. de N. D. de Beaug., f
o22 r
o, A. Loiret ds
Gdf. Compl. : Je vuil et otroy et
acors).
II.− « Être d'accord » 1170 pronom. « (d'une chose) être compatible avec, s'harmoniser avec (qqc.) » (
Cligès, éd. Foerster, 1884 ds T.-L. : Ne
s'acordent pas bien ansamble Repos et los, si con moi sanble); 1
remoitié du
xiiies. intrans., puis pronom. «
id. (en parlant de pers.) » (Henri d'Andeli, éd. Héron, IV, 3,
ibid. : C'est granz domages et granz deuls Que li uns a l'autre n'
acorde), d'où divers emplois :
a) xiie-
xiiies. mus. « être au même diapason (de plusieurs instruments) » (
Aiol et Mirabel, éd. Foerster, 4267,
ibid. : A fait ses cors soner, Ses olifans bondir et
acorder);
b) 1607 gramm., « être en accord », pronom.
Hulsius,
Dict. d'apr.
FEW, vol. 24, fasc. 134, p. 83a.
Empr. au lat. *
accordare, formé à la suite de
concordāre, discordāre (de
cor « cœur ») d'apr. des couples tels que
consentio − adsentio. Lat.
concordāre, intrans. signifie « être d'accord »; très rarement trans. « mettre d'accord » : obj. inanimé, attesté en 405 (
Secundini Manichaei ad Augustinum epistula, p. 895, 1. 23 ds
TLL s.v., 89, 23; déjà chez
Pline,
Nat. hist., 16, 173,
ibid., 89, 22, mais texte jugé douteux par Ernout (
Philologica, II, p. 180), obj. animé (
St Jérôme,
Adv. Jovin., 1, 48,
ibid. 89, 26); cet emploi trans. a été assumé par le nouvel *
accordare. À la différence de
consentio, réputé « abstrait »,
concordo, au contraire concr. (
Ernout,
loc. cit.), s'intègre dans la série des verbes exprimant un accord intellectuel ou moral d'apr. une image empr. aux sens : type
concino, consono : d'où association faite dès le lat., de
cor- c(h)orda (au plur. « instruments à cordes, lyre ») dans
concordare : cf. Festus ds
Ernout,
loc. cit., p. 182 : Fides genus citharae dicta, quod tantum inter se cordae ejus quantum inter homines fides concordet, et
Cassiodore,
Var., 2, 40, 12
ibid. : hinc etiam appellatam aestimamus cordam, quod facile corda moveat. Cette hyp. d'Ernout écarte donc l'hyp. lat. *
acchordare (du lat.
chorda « corde d'un instrument de mus. ») (
FEW, REW3) et celle de
accorder terme de mus., dér. de
corde (Gamillscheg ds
Z. rom. Philol., t. 43, 1923, 516). −
Gröber ds
Arch. lat. Lex., I, 234. − Pour l'emploi de
accorde comme terme de mar., on peut se demander si l'explication habituelle comme forme impér. du verbe
accorder est acceptable, et s'il n'est pas plutôt la continuation techn. de l'a. fr.
accorde, subst. fém. synon. de
accort « accord ». (
Cf. estre d'acorde; faire qqc. d'une acorde, Gdf. « de concert »).