ABUS, subst. masc.
Étymol. − Corresp. rom. : ital., esp., port.
abuso; cat.
abus; roum.
abuz.
1. 1370
abus de « usage immodéré de (qqc.) » (
Oresme,
Eth., 203 ds
Gdf. Compl. : Abus de deliz charnels);
2. 1451 emploi absolu « résultat d'un mauvais usage : erreur » (
Ord., XIV, 152,
ibid. : Pour eschever plusieurs
abbus et faussetes);
3. 1532 « ce qui a pour but de tromper » (
Rabelais, éd. Marty-Laveaux, I, 54 ds
Hug. : Cy n'entrez pas, Hypocrites, bigotz. Tirez ailleurs pour vendre voz
abus).
Empr. au lat.
abusus, terme jur. dep.
Cic.,
Top., 17 ds
TLL s.v. au sens de « utilisation des choses fongibles » : non debet illa mulier, cui vir bonorum suorum usum fructum legavit, cellis vinariis et oleariis plenis relictis, putare id ad se pertinere. Usus enim, non abusus legatus est; fréq. chez Ulpien. Sens « mauvais usage, usage immodéré » exprimé en lat. class. par
abusio que
abusus concurrence en ce sens dep.
Augustin,
Doctr. christ., 1, 4, 4 ds
TLL s.v. abusio, 237, 76 : usus illicitus abusus potius vel abusio nominandus est;
cf. avec 1,
Albert le Grand,
Summa theologiae, II, 18, 122, 1, 4 ds
Mittellat, W. s.v., 69, 40 : fornicatio est, quando solutus cognoscit solutam abusu naturali;
cf. avec 2,
Id.,
ibid., I, 2, 11,
ibid., 69, 46 : si non referantur omnia ad gloriam Dei, abusus est. « Mauvais usage établi » attesté en lat. médiév. :
Constitutiones imperatorum, II, 8, 3,
ibid., 69, 48 : abusus... in ecclesiis habuerunt. Sens 3, venu de
abuser* 2.
HISTORIQUE
I.− Dep. son apparition au
xives.,
abus s'est maintenu avec une grande stab. dans son sens premier « usage immodéré, mauvais de »; la not. de « usage excessif » présente dans le mot, semble-t-il, dep. l'orig., n'apparaît nettement dans les dict. que dep.
Ac. 1798. De là vient l'expr. fam.
il y a de l'abus, citée par
Pt Rob. On constate un élargissement du champ d'application de ce mot au cours des siècles, spéc. dans le domaine jur.
− Appel comme d'abus, institution que
Rich. t. 1 1680 et
Encyclop. t. 1 1751 datent du
xives., attestée au
xvies. : Les
appellations comme d'abus ont lieu quand il y a contravention contre les saints decrets, libertés de l'Église gallicane, arrest des cours souveraines, jurisdiction seculiere ou ecclesiastique, et tient-on qu'elles sont de l'invention de messire Pierre de Cugnieres, ores qu'elles semblent plus modernes.
Loysel, 888 (Littré). Signalé par les dict. dep.
Rich. t. 1 1680, il a été supprimé par la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905; encore mentionnée par les dict. du
xxes., l'expr. ne se rencontre plus que dans des ouvrages hist. ou jur.
− Au
xixes., apparaissent les not. de
abus de pouvoir, abus de confiance, abus de jouissance, abus de droit, etc.
II.− Dès le
xves.,
abus a été empl. absol. et a désigné le résultat d'un usage mauvais, immodéré ou excessif; c'est ainsi qu'il a pris le sens de « erreur », de « tromperie » et enfin de « usage mauvais qui s'est établi ».
A.− Abus « erreur » (
cf. étymol. 2) a connu une très grande vitalité;
Hug. donne environ 30 ex. pour le
xvies. Au début du
xxes., il est considéré comme vieilli.
B.− Abus « tromperie » n'apparaît qu'au
xvies. (
cf. étymol. 3) et semble avoir connu une vitalité moins grande que le précédent. Au
xviiies., seules les différentes éd. de l'
Ac. en font une mention partic.,
Trév. et
Fur. ne le distinguant pas du sens A. De
Ac. 1798 à
DG, il semble n'être plus empl. que dans l'expr. proverbiale
le monde n'est qu'abus et vanité. Il disparaît complètement au
xxes.
C.− Au
xviies., prob.,
abus prend le sens de « usage mauvais, coutume mauvaise qui se sont établis », toujours issu du sens premier, mais, jusqu'à la fin du
xviiies., les dict. ne le distinguent pas nettement de celui-ci, malgré les ex. qu'ils en donnent : Il faut distinguer entre un usage reçu, et un
abus qui s'est introduit.
Ac. 1718. (
Cf. également les ex. des
xviieet
xviiies. cités par
Littré). C'est le seul emploi absolu de
abus qui subsiste.