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ABSTRACTION, subst. fém.
Étymol. − Corresp. rom. : prov. abstraccio; ital. astrazione; esp. abstracción; cat. abstracció; port. abstracção. 1. xiiies. « action d'extraire (un corps étranger d'une blessure) » terme de chir. (Brun de Long Borc, Cyrurgie, ms. de Salis, fol. 25 a ds Gdf. : et puis recommenceras l'abstraction de la saiete); 2. 1370 « opération de l'esprit qui consiste à isoler un élément d'un tout pour y concentrer son observation » terme philos. (Oresme, Éthiques d'Aristote éd. Menut, VI, 10, p. 347 : la cause est pour ce que les choses de mathématiques sont cogneües par abstraccion, ymaginacion et phantaisie; mais des autres sciences ... aucuns principes sont sceus par experience); 3. 1510-12 « action d'enlever (une femme) » (Lemaire de Belges, Illustr. II, 15 ds Hug. : Achilles tenant a grand injure l'abstraction de sa concubine Briseis). Empr. au b. lat. abstractio dep. ives. au sens 3 (Dictyos cretensis, Ephem. belli. Troiani 1, 4 ds TLL s.v. : abstractio conjugis [i. raptus]); dep. 447 comme terme méd. (Cassius Felix, De medicina, 36 ibid. : ne abstractione violenti emeatus emorroidis sequatur); terme philos. dep. Boèce au sens de « opération de l'esprit qui consiste à isoler un élément d'un tout pour y concentrer son observation » (Analytic. poster. Aristotelis versio lat., 1, 4 ibid. : quae ex abstractione dicuntur, est per inductionem nota facere; cf. Albert le Grand, Comment. in Dionys. Areopagitae « De caelesti hierarchia », 12, 1 ds Mittellat. W. s.v., 60, 65 : secundum philosphi probationem... in rebus non sunt nisi tres gradus abstractionis et concretionis, scilicet coniuncta materiae secundum esse et secundum rationem, ut naturalia, separata secundum rationem tantum, ut mathematicalia, et separata per esse et rationem, ut metaphysicalia). HIST. − Ainsi que pour abstraire (cf. hist. s.v.), disparition rapide du sens I phys. et développement de 3 sens fig., intellectuels. I.− Le sens premier et sa disparition. − « Action d'extraire », n'apparaît dès les orig. que dans les emplois partic. : A.− « action d'extraire » (un corps étranger d'une blessure), xiiies. cf. étymol. 1. B.− « action d'enlever » (une femme), xvies., cf. étymol. 3 et aussi : Taking away by violence − rapt, abstraction. (Palsgrave, Esclairc., 1531, p. 279 ds Gdf.). Il s'agit sans doute d'un latinisme. C.− « action de s'isoler du monde, solitude », xvies. : En abstraction demeure tristesse. (Lef. d'Étaples, Bible, Ecclés. 38 ds DG). D.− abstraction « opération chymique » (cf. Encyclop. t. 1 1751, III, table 1). II.− Hist. des sens fig. attestés apr. 1789. − A.− Sém. sens I « opération mentale » (cf. déf. d'Alain ds sém. ex. 6). Grande stab. de ce sens dep. ses orig. (1370, cf. étymol. 2) : Séparation qui se fait par le moien de l'esprit. (Rich. 1680). Détachement qui se fait par la pensée de tous les accidents ou circonstances qui peuvent accompagner un être, pour le considérer mieux en lui-même. (Fur. 1690). − Rem. 1. Trév. 1771 distingue, d'apr. l'Abbé Girard, abstraction/précision : La précision a plus de rapport [tout en les considérant à part] aux choses (...) qu'on peut (...) concevoir être l'une sans l'autre (...), l'abstraction regarde plus particulièrement les choses qu'on ne sauroit concevoir être l'une sans l'autre. 2. Faire abstraction de (cf. sém. I par restriction), ext. à de nombreux domaines du sens I. Permanence de cette tournure apparue au xviies. : a) xviies. : En faisant abstraction de tout sens. (Pascal, Provinciales, 1656, I. ds Littré). b) xviiies. : De quelque manière que l'on considère cette République, abstraction faite de sa grandeur. (J.-J. Rousseau, Contrat social, IV, 1762, 3 ds Littré). La synon. de cette loc. et du verbe abstraire, sans doute due à des raisons d'euphonie (cf. abstraire, hist. II, rem.), est dénoncée tardivement par Littré, qui s'efforce de distinguer les 2 termes : Faire abstraction, c'est ne pas tenir compte de. Abstraire, c'est exécuter l'opération intellectuelle par laquelle on isole, dans un objet, un caractère. B.− Sém. sens II « résultat de l'action d'abstraire ». Apparaît au xviies. et subsiste : xviies. : [Il] est dans des abstractions continuelles. (Ac. 1694). xviiies. : L'étendue est l'abstraction de l'étendu. (Leibniz, Nouv. essais, II, 13 ds DG). xixes. : Humanité, raison, vertu, savoir, blancheur (...) sont des abstractions. (Ac. 1835). xxes. : grande vitalité (cf. sém.). − Rem. 1. Au xixes., synon. très vague universaux/ abstractions (cf. sém. II A philos.). 2. Sém. sens II A péj., nuance péj., vivante dès le xviies. : Pour les abstractions, j'aime le platonisme. (Molière, Les Femmes sav., III, 2 ds DG). Grande vitalité aux xixeet xxes. (cf. sém.). C.− Sém. sens III « état mental » (cf. sém. III A). Ac. 1694 est le 1eret le seul à le mentionner jusqu'en 1752, où il est aussi relevé par Trév. : on dit aussi qu'Un homme est dans des abstractions continuelles, pour dire qu'Il resve continuellement, qu'il est appliqué à toute autre chose, qu'à celles dont on parle. (Ac. 1694). Ce sens est alors voisin de « distraction ». − Rem. Cet ex. de l'Ac. 1694 montre bien par son ambivalence la filiation du sens II au sens III (au sens II les abstractions sont dissociées de l'esprit qui les produit; au sens III cette dissociation n'est plus faite). Ce sens se nuance diversement à l'époque mod., au point qu'il faut se demander s'il n'y a pas plutôt recréation que continuité (cf. sém.).