ABSTINENCE, subst. fém.
Étymol. − Corresp. rom. : prov.
abstinensa; ital.
astinénza; esp., cat., port.
abstinencia.
1. xiies. « action de s'interdire l'usage de qqc., la participation à qqc. » (
Rois, p. 58 ds
Gdf. Compl. : Seintefiad Ysai et ses fiz, car il les fist estre en
abstinence encuntre le sacrefise);
2. début
xiiies. « action de se priver de nourriture et en partic. de viande » terme relig. (
Guiot,
Bible, 1404
ibid.; de char
abstinance); emploi absolu :
Poème Moral, éd. Cloetta, 119 a,
ibid. : jors est d'
abstinence;
3. xiiies. « suspension d'arme » (emploi absolu), terme jur. (
Beaumanoir, éd. Beugnot, 60, 3 ds T.-L. : A ce respondit Pierres qu'il nel voloit pas (les trèves) doner, car por le fet que il proposoit il estoit en
astenanche vers li par amis).
Empr. au lat.
abstinentia (dér. de
abstinere « non frui », voir
s'abstenir) au sens 1, dep. Varron (
TLL s.v., 191, 4) et en lat. médiév. (
cf. 983-993
Gerhardus,
Vita Udalrici I, 9, p. 396, 22 ds
Mittellat, W. s.v., 58, 65); empl. au sens 2, dep.
Celse,
De Medic. 1, 2 (ds
TLL s.v., 191, 64) mais spécialisé dans cet emploi par le lat. chrét. (Tertullien,
passim;
TLL s.v., 192, 15-21;
cf. C. 866
Rimbertus,
Vita Anscarii, 30, p. 62, 32 ds
Mittellat. W. s.v., 59, 3, 3, ne semble pas avoir d'équivalent en lat. médiév. av. le
xives. (
Du Cange).
HIST. − À l'orig.
abstinence possède 2 sens
1. « Action de s'interdire un acte ». Le mot dans ce sens n'a pas survécu au-delà du
xviies. et a été supplanté par
abstention. 2. « Action de s'interdire l'usage de qqc. ». Dans ce sens qui s'est maintenu jusqu'à nos jours, le mot apparaît d'abord appliqué au domaine de la mor. ou de la relig.; il s'étend ensuite à d'autres domaines partic., comme la méd. et l'hist. nat. et se trouve également empl. comme terme gén.
I.− Disparition av. 1789. − « Action de s'interdire un acte ».
1. Dans le domaine de la guerre. 1
reattest.
xiiies.,
cf. étymol. 3, ne survit pas apr. le
xviies.
− xvies. : La feste et solennité d'Apollo Tymbree approcha. Et furent donnees treves et
abstinence de guerre d'un costé et d'autre, pour vaquer à icelle.
Lemaire de Belges,
Illustrations de Gaule et singularités de Troie, [1513], II, 20 (Hug.).
− xviies. : Ce sera une simple
abstinence d'hostilités.
Louis XIV,
Au duc de Chaulnes, Négociations relatives à la succession d'Espagne, [22 déc. 1667], II, 580
(DG). 2. Domaine gén. 1
reattest. 1507, ne subsiste guère au-delà du
xviies. (
cf. cependant styl.).
− xvies. : Homme de grand intégrité et non hay des Flamengz à cause de sa preud'hommie et
abstenence de pillaige.
Lemaire de Belges,
Chronique annale, [1507], IV, 491 (Hug.).
− xviies. : Dans cette
abstinence et ce silence que j'ai tant souhaité. M
mede Sévigné,
Lettres, 14 août 1680, 842
(DG).
II.− Hist. du sens attesté apr. 1789. − La classification ci-dessous a été déterminée par l'ordre d'apparition des différents emplois.
A.− Terme de mor. et de relig.,
cf. sém. A. 1
reattest.
xiies.,
cf. étymol. 1.
− xives. : Mainte
estenance fist et penance porta.
Le chevalier au cygne et Godefroid de Bouillon, 3024 (Gdf.
Compl.).
− xvies. : Le plus grand los que l'on donne aux Gracques, d'
abstinence de ne point prendre argent, est qu'en tous leurs magistrats et en toutes leurs entremises des affaires publiques, ilz eurent tousjours les mains nettes.
Amyot,
Comparaison de Tibérius et Caius Gracchus avec Agis et Cléomène, 1, [av. 1593], (Hug.).
− xviies. : Employant à la charité les restes de sa pauvreté et les fruits de ses
abstinences. Fléchier,
Panégyriques et autres sermons, [1696], II, 392 (Littré).
− xviiies. : Vertu morale par laquelle on s'abstient de certaines choses, en vertu d'un précepte moral, ou d'une institution cérémonielle. (...) C'est une espèce de la tempérance, et elle se confond quelquefois avec la sobriété.
Trév. 1771.
− Rem. Le sens spécial que possède le mot dans la lang. relig. (Église cath.) est attesté dès le début du
xiiies. (
cf. étymol. 2) et manifeste une grande contin. :
− xives. : De jeunes et d'
austinance. Vie de Saint Alexi, 656 (Gdf.
Compl.).
− xviies. : L'
abstinence des viandes assaisonnée de devotion, et accompagnée de la priere est un des moyens les plus efficaces pour avancer nôtre sanctification.
Bossuet (Fur. 1701).
− xviiies. : Il n'est pas jeûne aujourd'hui, il n'est que jour d'
abstinence. Ac. 1762.
B.− Emploi dans le domaine méd.,
cf. sém. B 1
reattest. 1595 : Or ayant choisi de se tuer par
abstinence, voylà sa maladie guérie par accident : ce remède qu'il avait employé pour se deffaire, le remet en santé.
Montaigne,
Essais, II, 13 (Pléiade).
− xviies. : On luy a ordonné une grande
abstinence. Ac. 1694.
− xviiies. : La diète et l'
abstinence sont nécessaires, pour rétablir l'estomac affoibli par la débauche.
Trév. 1752.
− Rem. Dans le vocab. techn. de la psychanal. le mot est attesté pour la 1
refois en 1915 (
cf. sém. B
in fine).
C.− Terme gén.,
cf. ex. 1 à 3 1
reattest.
xviies. : Donnons à ce grand œuvre une heure d'
abstinence Et qu'en retour tantost un ample déjeûner Long-temps nous tienne à table.
Boileau,
Le Lutrin, [1683], IV, v. 210-122 (Ed. Soc. des Belles-Lettres, Paris, 1952).
− xviiies. : Il se dit (...) de la modération dans l'usage des alimens.
Trév. 1771.
− Rem. On note chez Marivaux l'expr. métaph.
abstinence de paroles (ds
Brunot t. 6, 2, 1 p. 1058).
D.− Terme d'hist. nat. (
cf. sém. C). L'emploi du mot dans ce domaine n'est signalé que par
Besch. 1845.