ABSORBER, verbe trans.
Étymol. − Corresp. rom. : ital.
assorbire; port.
absorver; roum.
absorbi.
I.− 1. Mil.
xies. trans.
assorber « engloutir (des hommes, en parlant de la terre) » (
Alexis, éd. Paris et Pannier, 61
eds T.-L. : Ne guardent l'ore que terre les
assorbe (var. pour
encloded);
ca 1200
assorbir «
id. » « engloutir (en enfer, en parlant du diable) » (
Poeme moral, éd. Cloetta, 41d,
ibid. : Ke m'arme n'
assorbisset en abisme diables);
2. 2
emoitié
xiies. trans.
asorbir « introduire (dans sa bouche) » trad. (
Dial. St. Grég., éd. Förster, 371, 24 : Aleiz vos en, car je sui doneiz par devoreir a un dragon... Il at ia
asorbit mon chief en sa boche); début
xvies. réfl.
s'absorber « pénétrer dans (d'un liquide, qui doit être avalé) » (
Gringore, I, 96,
IGLF : Mais voulez-vous messieurs les prelatz Que le fleuve Jourdain, sans estre las,
Se absorbe en vous, par vostre gorge passe?); d'où « avaler (un liquide) ».
II.− 1. 2
emoitié
xiies.
absorbir « avoir raison (de qqc.) » emploi fig. dans texte relig., trad. (
Dial. St Grég., éd. Förster, 196, 8 ds T.-L.) : des a tant ke mëisme la mortaliteit de la char avrat
absorbit la gloire de la resurrection (quousque et ipsam mortalitatem carnis gloria resurrectionis absorbeat);
2. mil.
xiiies.
asorbir « détruire (en crevant les yeux) » (
Phil. Mousket ds
Du Cange s.v. absorbere : ... li Sire li fist Les deux ious
asorbir el cief);
3. av. 1307
être assorbi « être dévoré, anéanti (par un sentiment; d'une pers.) » emploi fig. (
G. Guiart,
Roy. lignages, éd. Buchon, I, 3023 ds T.-L. : D'angoisse
est l'enfant
assorbi).
Empr. au lat.
absorbēre (dep.
Plaute,
Bacchides, 471 ds
TLL s.v., 184, 68 « dévorer », emploi fig.), sens propre « avaler, boire (le sujet désigne une pers.) » dep.
Horace,
Sat. 2, 3, 240,
ibid., 183, 79 (emploi méd.
ibid. 1, 184, 3 sq.) d'où I 2; « engloutir, faire disparaître » (le sujet désigne la terre) dep.
Lucain,
Pharsale, 3, 261,
ibid., 184, 47 : Tigrim subito tellus absorbet;
cf. avec I 1,
Cyprien,
Epist., 3, 1
ibid., 184, 49 (Chore, Dathan, Abiron... hiatu terrae absorbati ac devorati) et
Isidore,
Sent., 1, 29, 7,
ibid., 184, 66 : illos infernus absorbebit; emplois fig. :
− « avoir raison de (qqc.) », synon. de
devincere, lat. chrét. dep.
Irénée, 5, 9, 4
ibid., 185, 18 : ut absorbeatur infirmitas carnis a fortitudine spiritus,
cf. avec II 1
Vulg., I, Cor., 15, 54 : absorpta est mors in victoria;
− « dévorer, anéantir (qqn; d'un sent.) » dep.
Cicéron,
Brutus, 13,
ibid., 184, 74 : hunc quoque absorbuit aestus quidam gloriae;
cf. avec II 3
Vulg., II, Cor., 2, 7 : ne tristitia absorbeatur;
cf. avec II 2 « détruire, anéantir physiquement »
Vulg., II, Rois, XVII, 16 : ne forte absorbeatur rex et omnis populus.
Lat.
absorbēre devenu *
absorbire par chang. de conjug. à l'époque prélitt. (
Nyrop t. 2, § 662), d'où formes semi-sav.
assorbir, sav.
absorbir (cf. ital.
assorbire); parallèlement, assimilation aux verbes fr. en
-er (
Nyrop t. 2, § 632), d'où
assorber, absorber; cf. a. fr.
sorbir et
sorber, ital.
sorbire, cat.
sorbir, roum.,
sorbi (< lat.
sorbēre); a. prov.
eisorbir, a. fr.
essorber « éteindre, étouffer », m. fr.
essorbir « détruire » (< lat.
exsorbēre).
HIST. − Le mot est attesté pour la 1
refois au
xies., dans un cont. relig. au sens fort de « faire disparaître brusquement ». Peu à peu ce sens s'atténue et ne s'emploie plus qu'au fig., dans des domaines où l'idée commune est celle d'une destruction non plus brusque mais progressive de l'élément considéré. Le facteur hist. déterminant semble avoir été un recul de l'influence du lat. chrét. au profit du lat. class. où le sens phys. mod. est cour. Il est en effet remarquable que du
xviiieau
xxes. « s'imprégner d'un liquide » soit considéré comme le sens propre du verbe et que ses autres applications soient senties comme des ext. On note parallèlement un sens fig. dans le domaine moral et intellectuel, attesté dès le
xives., mais ne connaissant une réelle vitalité qu'à partir du
xviies.
I.− Disparitions av. 1789. − A.− « Engloutir », c.-à-d. « faire disparaître brusquement, abîmer », au sens fort, originel, attesté pour la 1
refois mil.
xies. (
cf. étymol. I 1), ne se maintient pas apr. le
xvies. Au
xviies., « il est peu en usage au propre » (
Fur. 1690) :
− xiiies. : Se ferirent el flum de la Dynoe si que il
furent dedenz
absorbi et noié.
Chron. de St Denis, ms. Ste Gen., [1274], f
o116d (Gdf. et T.-L.).
− xvies. : Les gouffres de la mer de Libie
absorbirent aulcunes nefz des Grecz.
Boccace,
Des nobles malh., [1515], XV, f
o20 r
o(Gdf.). Le roy Menelaus qui pas ne
fut par tempeste
absorby en la mer.
Id.,
ibid. − Rem. S'absorber « s'engloutir », une seule attest. ds
Gdf. : Dedens ceste mer horrible une chandelle de feu alumee nage sans afonder et celle qui est estainte incontinent
se absorbit et va au fons.
Traict. de Salem, ms. Genève 165, f
o224 r
o.
B.− « Introduire dans sa bouche. » Attesté pour la 1
refois 2
emoitié du
xiies. (
cf. étymol. I 2). Aucune autre attest. av. le
xviies. où il ne se dit plus qu',,en parlant des animaux voraces`` (
Fur. 1690); ne subsiste pas apr.
Trév. 1752 dans ce sens gén. et fort.
C.− « Avoir raison de qqc. » (fig.), 1 ex., 2
emoitié du
xiies.,
cf. étymol. II a; un 2
eex. ds
St. Bern. 33, 39 (T.-L.). Dans les 2 cas, il s'agit de trad. de textes relig. lat.
D.− « Détruire, anéantir » (au propre et au fig.). 1
reattest.
xiiies. (
cf. étymol. II 2); disparaît au
xvies. :
− xives. : Apres reviennent les communes Dont l'ost n'
est pas trop
assorbie. Guiart,
Roy. Lign. 1306, 6602 (Gdf.). D'angoisse
est l'enfant
assorbi. Id.,
ibid., I, 3023.
− xves. : Qui (le fait de la marchandise) par les inconveniens dessusdiz, l'en y dit grandement estre adommagié et
asorby. Ord., 1401, VIII, 490 (Gdf.).
− xvies. : [Un livre] A l'honneur est de la foy crestienne Pour
assorber l'erreur Lutherienne.
J. Bouchet,
Epistres familieres du Traverseur, [1536], 47 (Hug.).
II.− Hist. des sens et emplois attestés apr. 1789. − A.− Sém. I A « faire pénétrer en soi », sens atténué du sens fort originel.
1. 1
reattest. prob.
xvies.,
cf. étymol. I 2 « avaler (un liquide) », et aussi
Cotgr. 1611.
2. xviies. Le mot est princ. empl. au fig., surtout en parlant des biens (il signifie alors « consumer » et s'emploie péjor.,
cf. Ac. 1694 ,,il se prend le plus souvent en mal``), mais aussi en parlant de toute chose qui peu à peu est engloutie par une autre ou se perd dans une autre : Ce goinfre
a absorbé tout son patrimoine.
Fur. 1690. La voix
est absorbée dans les voutes.
d'Ablancourt (Fur. 1701). La question de l'infaillibilité de l'Église
absorbe toutes les autres controverses.
Claude (Fur. 1701).
3. xviiies. Il subsiste dans tous ces emplois, mais est aussi empl. « au propre », en parlant d'un élément liquide, et il entre dans la lang. sc. et techn. : Les sables, les terres sèches et légeres
absorbent les eaux de la pluye en un moment.
Ac. 1718.
Absorber, Se dit aussi, En parlant des couleurs, des sons, des odeurs, des saveurs. Le noir
absorbe toutes les autres couleurs. (...) Le goust de l'ail
absorbe le goust de toutes les autres choses.
Ac. 1718.
− Rem. Emplois sc. et techn. Ils sont cités ci-dessous dans l'ordre chronol. de leur apparition.
− Chim., 1
reattest.
ibid., subsiste : On dit en Chymie, que, Les alcalis
absorbent les acides, pour dire, qu'Ils en émoussent la pointe, (...), qu'ils en suppriment l'activité.
− Jard., attest. ds
Trév. 1752 (mais le sens est à peine techn.) : Se dit (...) des branches gourmandes qui naissent sur les arbres fruitiers, et qui ôtent aux autres branches la plus grande partie de la nourriture dont elles ont besoin. Il faut être très-soigneux de retrancher les branches gourmandes, crainte qu'elles n'
absorbent la substance nécessaire pour nourrir le reste du corps de l'arbre.
− Phys., 1
reattest.
xviiies., subsiste : La disposition des corps à réfléchir les rayons d'un certain ordre et à
absorber tous les autres.
Voltaire,
Lettres philosophiques, 16
(DG). − Rem. Autre emploi techn. en peint. (attesté ds
Lar. 20eet
Lar. encyclop., cf. sém.).
B.− Sém. I B. Ce sens apparaît avec une certaine vitalité à partir du
xviiies., comme un emploi profane dér. de l'emploi relig. (constr. avec prép.
dans ou
en), qui lui-même est un emploi fig. du sens « engloutir »;
cf. Bossuet,
Or., 10 ds
Littré : Cette récompense nous
absorbe tout à fait en Dieu.
− xviiies. :
Absorbé dans ses spéculations, il devait naturellement être et indifferent pour les affaires et incapable de les traiter.
Fontenelle,
Newton (Littré).
− Rem. Le part. passé adjectivé est très usité dans ce sens, surtout à partir du
xviiies. (
cf. Ac. 1718 à 1798,
Trév. 1752 et 1771, et sém.; le sens mod. profane est tout à fait acquis lorsque la prép.
dans est remplacée par la prép.
par).
C.− Sém. II.
S'absorber. Attesté dès le
xvies. au sens phys. (
cf. étymol. I 2), cet emploi connaît à partir du
xixes. une plus grande vitalité au fig.; paraît dér. du sens noté ci-dessus sous B, mais avec maintien de la constr. avec les prép.
dans ou
en.