ABRUPT, E, adj. et subst. masc.
ÉTYMOLOGIE
I.− abrupt, adj. Corresp. rom. : esp.
abrupto; cat.
abrupte, -ta. 1. 1512 « dissonant, rauque (de la voix) » (
J. Le Maire,
Illust. de Gaule, I, 258, Stecker ds
R. Hist. litt. Fr., 1, 181 : D'une voix aigre, sonoreuse et
abrupte ... increpa son juge Paris);
2. prob. existence ant. d'apr. l'adv.
abruptement, ca 1327 (éd. 1531) « d'une manière brusque, hâtive » (
Jehan de Vignay,
Mir. historial, XXVII, 85,
cf. inf. s.v. abruptement étymol.)
Empr. au lat.
abruptus « escarpé, à pic », attesté dep. Catulle (éd. Lafaye, 68, 107, emploi fig. : te ... amoris aestus in abruptum detulerat barathrum) fréq. au sens propre et au sens fig. (caractère, discours) à l'ép. impériale et en bas lat.; pas d'emploi lat. attesté qualifiant la voix;
cf. avec 2, av. 435
Cassien,
Collationes, 20, 12, 3,
abrupta definitio, ds
Blaise.
II.− abrupt, -e, subst. masc. et fém. 1. 1869 « escarpement », emploi abstr.,
abrupt (E. et
J. de Goncourt,
Gervaisais, éd. Charpentier, Paris, 1876, p. 25 :
l'abrupt du roc envahissait les gradins);
2. 1876, 29 mai « escarpement », emploi concret,
abrupte (
J. François,
Ac. des sc. C.R., t. LXXXII, p. 1245 ds
Littré s.v. : Montagnes à sommets rectangulaires, dont les gigantesques
abruptes présentent des perspectives étranges [dans le Caucase]); 1925 «
id. »,
abrupt (
J.-R. Bloch,
La Nuit Kurde, 21 ds
Quem.,
s.v. : A leurs pieds, une série d'
abrupts).
Substantivation de l'adj.
abrupt* au sens propre de « escarpé, à pic ». Cependant le subst.
abruptum, -i est déjà attesté en lat. class. au sens concr. de « ravin, précipice » (
Pline,
Épistulae, livre 8, 4, 2 ds
TLL s.v., 143, 8 : insessa castris montium abrupta;
cf. lat. médiév.,
ca 778
Hugeburc.,
Vita Willibaldi, 3, p. 91, 23 ds
Mittellat W. s.v., 42, 65 : per concava vallium, per abrupta montium).
HIST. − A.− Abrupt, adj. L'acception fig. du lat. est la 1
reattestée en fr., le plus fréquemment en parlant du caractère (
cf. inf. 1
erex.) et surtout du style (2
eet 3
eex.), mais aussi de la voix (
cf. étymol. 1) ou encore, dans la lang. techn. de la bot., en parlant d'un type de feuille (4
eex.). Ce n'est qu'en 1834 (5
eet 6
eex.) que l'accept. propre du lat. apparaît. Dep. lors les 2 accept. coexistent. Après une stagnation du
xvies. (
cf. étymol. 1) au
xviiies. (
cf. 1
erau 4
eex.), il semble que la vitalité du mot aille croissant (
cf. docum.
xixes. comparée à docum.
xxes.;
cf. aussi
Ac. 1878 qui transcrit
Ac. 1835 en supprimant la mention
peu usité). (...) peu poli, saccadé (style, forme, caractère).
Diderot. (Journet-Petit). On en a trouvé le style haché,
abrupt, incorrect.
Diderot,
Essai sur les règnes de Claude et Néron. 1778. II, 109.
(DG). Ce discours d'un Otaïtien me paraît véhément; mais à travers je ne sais quoi d'
abrupt et de sauvage, il me semble y retrouver des idées et des tournures européennes.
Diderot. (Journet-Petit). Feuilles
abruptes, au sommet desquelles manque la foliole impaire terminale.
Rousseau,
Dict. de bot., 1778
(DG). Rapide, escarpé (rocher, action) (...).
Boiste 1834 (Journet-Petit). Il se dit des terrains et des rochers bizarrement coupés, et comme s'ils avaient été rompus. Il se dit figurément d'un discours, d'un style rompu, sans liaison.
Style abrupt. Il est peu usité.
Ac. 1835.
B.− Abrupt, subst. Dep. sa 1
reattest. (récente, 1869), rel. stab. de
abrupt (dans les 2 emplois abstr. et concr.).
1. L'entrée du mot dans la lang., dans son emploi abstr., relève de la création litt. :
le roc abrupt devient
l'abrupt du roc, selon un procédé de « l'écriture artiste » des Goncourt et conformément à une longue tradition de la lang. litt. remontant au moins à
Du Bellay (
Def. et illustr., p. 160, éd. Chamard);
cf. Mar. 1950.
2. L'emploi de
abrupt comme subst. n'est pas mentionné dans tous les dict. gén. des
xixeet
xxes. : il n'est pas signalé ds
Pt Littré,
DG, Rob., ni ds
Dub. En revanche, il figure ds Littré,
Lar. encyclop., Lar. 3, Pt Rob., sous l'entrée de l'adj. La docum. rel. au subst.
abrupt est très restreinte (4 ex.).