ABRIER, ABREYER, verbe trans.
Étymol. − Corresp. rom. : a. prov.
abriar; n. prov.
abriga; esp., cat.
abrigar.
[
xies. jud.-fr.
abrier ds
Darmesteter,
Les Gloses fr. de Raschi dans la Bible, Isaïe, XXX, 2 d'apr.
R. Lévy,
Contrib. Lex., 13] « protéger, garantir », dans différents emplois :
a) 1
remoitié
xiiies. « protéger, vêtir » (
Guillaume de Lorris,
Roman de la Rose, 402, éd. F. Michel ds T.-L. : Si ot d'une chape forree Moult bien, Si com je me recors,
Abrié et vestu son cors);
b) av. 1307 « couvrir (par affaiblissement, sans notion de protection) » (
Guillaume Guiart,
Branche des Royaux Lignages, II, 220, éd. Buchon,
ibid. : La tresprecïeuse couronne, La tresdigne, la treshonneste Que Jesus Christ ot en sa teste, Si con Jüis l'en
abrïerent Le jour qu'il le crucefïerent); «
id. »
abrier de mort « couvrir du voile de la mort, faire mourir » (
ibid., II, 3669,
ibid. : Ses plaies
de mort l'
abrïerent. Plusieurs autres redevïerent); d'où par un nouvel affaiblissement
c) av. 1307
estre abrïez « se trouver » (
ibid., I, 5107,
ibid. : D'un fruit qui la
iert abrïez Que devée leur avïez, Pristrent [Adam et Eve]);
d) pronom. « se mettre à l'abri » (
Ibid., II, 8892,
ibid. : Des Flamens... Dont l'ost
s'iert au pont
abrïee)
. [Conservé à l'emploi trans. comme terme mar., 1812 (La Coudraye ds
Jal2: Lorsqu'un vaisseau est vent arrière, les voiles de l'arrière
abrient celles de l'avant, c'est-à-dire qu'elles interceptent le vent)].
Du b. lat.
apricare (lat. class.
apricari « se chauffer au soleil » dep. Varron ds
TLL) « chauffer, réchauffer par le soleil », dep. Palladius, dér. de l'adj.
apricus « exposé au soleil », dep. Varron,
ibid. Notion de « chauffer au soleil » liée à celle de « protection contre le vent, le froid, les intempéries » (
cf. ives.
Palladius, 1, 38 ds
Bugge, ds
Romania, IV, 348 : ventis frigoribus altus paries resistat, qui locum possit defensis sedibus apricare); par ailleurs emploi fréq. de
apricus en relation :
− avec
vinea, vindemia, uvae (
TLL s.v., 318, 12
sq.) dont la culture est, en pays méditerranéens, souvent pratiquée en terrasse, à l'abri de murettes de pierre;
− avec
collis, pronus, révélant à la fois l'exposition au soleil et un relief constituant une protection : d'où notion de « protéger, abriter ». Bien que
apricus ait été par fausse étymol. rapproché de
apertus « ouvert » (
Paul. Fest., 2 ds
TLL s.v., 318, 3 : apricum : a sole apertum) il n'y a pas incompatibilité entre
apricus et la notion de « lieu couvert » (
cf. Paulin de Nole,
Carm., 13,
ad Cytherium v. 311 ds
Bugge,
loc. cit. : Martinianum suscipit fraternitas Tecto que apricat et cibo), d'où ensuite la notion de « couvrir, vêtir » :
cf. ive-
ves.
Negotianus, 2, 1 ds
TLL s.v. : apposuit Jovi pallium laneum dicens hoc potius convenire quod hieme apricaret. − Voir
Mahn,
Étym. Untersuchungen..., Specimen
xv-xvi, 1863, pp. 113-118. Même évolution sém. de l'esp.
abrigar, glosé
foveo, 1495 Nebrija ds
DHE. Forme
abrier : − soit d'orig. mérid. (a. prov.
abriar av. 1220,
Rayn.) ou des dial. de l'ouest (
Horning. cf. bbg.
op. cit., p. 449;
Fouché Phonét., 713)
− soit, plus prob. (étant donné
abrier, xies.) interprétation du roman au stade *
abrigare de l'évolution phonét., comme *
a-/brigare (
cf. a. fr.
desbrié « privé d'abri »; ang.
débrier −
Verr.-On.)
EWFS2,
s.v., type région.
avrier dans dial. lorr. et fr.-prov. (
Horning,
loc. cit.). Hyp. de G. Paris ds
Romania, XXVIII, 433 : a. fr.
abrier, issu d'un thème celt. *
bri- est sans obj., une explication étant possible pour -pr- > -br- à partir de
apricare (voir
sup.). Etymon a. h. all.
birîhan « couvrir »,
Diez2,
loc. cit., est incompatible avec jud.-fr.
abrier, xies. et esp.
abrigar, ca 1280
(DHE).
HIST. − 1. Très vivant en a. et m. fr. (17 ex. ds
Gdf.) et encore au
xvies. (12 ex. ds
Hug.), il tend cependant dès cette époque à sortir de l'usage; E. Pasquier reproche à Montaigne l'emploi du mot
abrier : Tout de ceste mesme façon s'est-il dispensé plusieurs fois d'user de mots inaccoustumez, ausquels, si je ne m'abuse, malaisément baillera-t-il vogue;
gendarmer, pour braver;
Abrier pour mettre à l'abry; (...);
Asture, pour à cette heure, et autres de mesme trempe : pour le moins ne voy-je point, que jusques à luy, ils soient tombez en commun usage.
Lettres, XVIII, 1 (Hug.).
2. Au
xviies.
cf. Fur. 1690 : Vieux mot qui signifie, Proteger, deffendre.
3. Au
xviiies.
cf. Trév. 1752 : Il seroit à souhaiter que ce mot pût revivre (...).
Abri est encore en usage. Pourquoi perdre
Abrier, qui en vient naturellement, et dont le son est très-agréable?
M. Coste,
note 10 sur le premier liv. des Essais de Montaigne. 4. Aux
xixeet
xxes.
cf. Darmesteter,
La vie des mots étudiée dans leurs significations, 1932 : Le vieux verbe
abrier, d'origine inconnue, qui avait donné le dérivé
abri, disparaît en moyen français de l'usage général (on le retrouve jusqu'à nos jours dans des sens très spéciaux) et est remplacé par la locution
mettre à l'abri; aux
xvie-
xviies. seulement,
abri donne naissance au verbe moderne
abriter. 5. Cependant, si le mot est vx au sens gén., il prend dès le
xviiies. des accept. techn., toujours vivantes au
xixesinon au
xxes. (
cf. sém.) :
a) Hortic. : 1
reattest. ds
Fur. 1701; subsiste : Les Jardiniers s'en servent, pour dire, mettre une couche, une fleur à l'
abri du vent.
b) Mar. : apparaît d'abord sous la forme
abrié, ds
Trév. 1771; subsiste : Terme de marine, qui est à l'abri du vent. Ainsi on dit, Que le petit hunier
est abrié par le grand hunier, parce que celui-ci empêche le vent de passer jusqu'à lui.