ABREUVER, verbe trans.
Étymol. − Corresp. rom. : a. prov., cat.
abeurar; esp.
abrevar; port.
abeberar; ital.
abbeverare.
1. Ca 1100 « faire boire abondamment » (emploi fig.; trad.)
Ps. d'Oxford, éd. F. Michel, 59, 3 :
abevras nus del vin compunctium (
cf. xiiies. forme
abreuvas ds
Liber psalm., LIX, 3 ds
Ps. Oxford éd. F. Michel, Appendice 300 : A ton pueple durté monstras, De compunction l'
abreuvas); 1164 «
id. » (
Chrét. de Troyes,
Erec et Énide, éd. M. Roques, 2045 : Que les cuers dedanz en
aboivrent);
2. 1155 « faire boire abondamment (un homme) » (sens propre) (
Brut., éd. Arnold, 6604 : Bien les pout, bien les
abevra... Assez suvent esteient ivre); «
id. (un animal) » déb.
xiiies., (
Aymeri de Narbonne, éd. Demaison, 3911 ds T.-L. : ces chevax ferrent et moinent
abuvrer).
Du lat. vulg. *
abbĭbĕrare, dér. de
biber, subst. fém. « boisson », (
Caesar Arelatensis,
Regula monachorum, 22 ds
TLL s.v., 1954, 65 : in prandio binas biberes... accipiant), dér. de
biber, inf. syncopé de
bibĕre « boire » (dep.
Caton,
Orig. frag., 121;
cf. iies. av. J.-C. Fannius ds
Annalium fragm. 2 ds
TLL s.v., 1960, 33 : jubebat biber dari). Le lat. vulg. rend souvent « abreuver » par
potāre (fréq. en lat. chrét. : voir
Blaise et
Ronsch,
Itala und Vulg. s.v. cf. av. 1
reattest. :
Vulg., Ps.
lix, 5 : potasti nos vino compunctionis).
Aboivrer a subi l'infl. de l'a. fr.
boivre (voir
boire);
abreuver est une forme métathétique de
abevrer.
HIST. − Le préf.
a- apporte la notion de factitivité (« faire boire » d'où intervention d'une pers.), à laquelle peut s'adjoindre une idée de mouvement (« faire et mener boire ») ou une idée d'approche, d'atteinte d'une limite. Une idée d'abondance s'attache aussi au mot (« faire boire abondamment », « imbiber jusqu'à saturation »). On remarque enfin que les 1
resattest. du mot sont fig. et appartiennent au lang. biblique.
A.− « Faire boire abondamment », des hommes d'abord, puis des animaux (
cf. étymol.), au propre et au fig. (
cf. étymol.). Ce sens, vivant dep. le
xiies., subsiste, mais dès
Fur. 1690 il ne s'applique qu'à des animaux et particulièrement aux chevaux : En ce sens, il ne se dit qu'en parlant des chevaux et des bestiaux.
Ac. 1718. Ce n'est qu'au
xixes. qu'on le trouve à nouveau empl. en parlant des hommes (
cf. sém.), et souvent de façon ironique : Il se dit quelquefois en parlant des personnes, et ordinairement par plaisanterie,
Vous nous avez bien abreuvés. Ac. 1835.
B.− « Imbiber d'eau ou d'un liquide » qqc., attesté dep le Moy. Âge.
− 2
emoitié du
xiies. : Si com la pluie qui bien arose et
aboivre la terre.
Commentaire sur les Psaumes, p. 141 (Gdf.
Compl.)
− xvies. : Un drap
abbreuvé d'eau, c'est trempé et outré d'eau.
Nicot 1606. Ce sens subsiste et donne naissance à plusieurs emplois techn. (
cf. inf., D). A connu cependant une restriction au
xviiies. où il semble réservé à la pluie : Se dit aussi de l'effet de la pluye sur la terre, lorsqu'elle la penetre. (...) on dit que
la terre est bien abbreuvée, quand il a bien pleu.
Ac. 1718.
C.− Au fig.
1. Dep. le
xvies. : On dit par métaphore,
Abbreuver aucun de quelque opinion ou persuasion, pour le remplir, imbuer et outrer de telle opinion ou persuasion.
Nicot 1606. Très fréq. à cette époque,
cf. les 32 ex. ds
Hug., avec différentes constr. et différentes nuances de sens : −
abreuver qqn « le pénétrer profondément (d'une croyance, d'une opinion, d'un goût...) »; −
abreuver qqn de qqc. « l'en informer, lui en parler »; −
abreuver qqn que « faire savoir à qqn que »; −
estre abreuvé de qqc. « en avoir connaissance »; −
abreuver « persuader faussement »; −
estre abreuvé de qqn « se laisser tromper par qqn »; −
se laisser abreuver de « se laisser amener à ».
− xviies. : Instruire, prevenir quelqu'un par quelque chose, et l'en remplir. (...). Tout le monde
est abbreuvé de cette nouvelle.
Fur. 1701. Il est vivant jusqu'au
xixes.,
DG le dit
vieilli. 2. P. ext. du sens précédent (
cf. sup. B) « remplir, saturer » + notion abstr., vivant dep. le
xiiies., subsiste :
− xiiies. : Et si les
aboivrent de joie.
Renaut de Beaujeu,
Le Beau Desconneu, 4716 (Gdf.
Compl.).
− xvies. : Tout le fiel.. Dont un amant
fut jamais
abreuvé. Malherbe, V, 27 (Littré).
− xviiies. : On dit aussi figurément,
Abreuver quelqu'un de chagrins, pour Lui faire essuyer des peines d'esprit.
Ac. 1798.
D.− Emplois techn., cités ci-dessous dans l'ordre chronol. de leur apparition :
1. « Faire subir la question par l'eau », 1 attest. isolée
xiiies. : Se il est pris sur celuy maufait, ou en est ataint par garens qu'il li virent faire, ou par ce que il le gehist en la cort par sa volenté, ou par ce c'on l'
abevra, ou li fist hon aucun autre martire.
Assises de Jerusalem, II, 82 (Gdf.
Compl.).
2. Tonnellerie,
abreuver les tonneaux, 1
reattest. lexicogr. ds
Nicot 1606, subsiste.
3. Agric. « arroser », 1
reattest. lexicogr. ds
Fur. 1690, subsiste.
4. Vernissage, 1
reattest. lexicogr. ds
Fur. 1701, subsiste.
5. Mar., 1
reattest. lexicogr. ds
Encyclop. 1751, subsiste.
6. Peint., 1
reattest. lexicogr. ds
Trév. 1771, subsiste.
Cf. aussi sém. I, B, 2.
− Rem. Le mot peut être empl. sans chang. de sens à la forme réfl. ou absolue.