ABORDER, verbe trans.
Étymol. − 1. 1306 trans. « heurter un navire afin de l'attaquer, d'y monter » terme mar. (Guill.
Guiart,
Royaux lignages, éd. Buchon, II, 989 ds T.-L. : cil des galïes françoises Assaillent les sarrazinoises; Ja en
ont pluseurs
abordees); 1
remoitié
xives.
aborder contre « attaquer (qqn; combat singulier) »
(Perceforest, III, 28 ds
Gdf. Compl. : Quant la chevalerie fut toute assemblee, ilz coucherent leurs lances et
aborderent l'une
contre l'autre le grant randon); 2
emoitié
xives.
aborder a « attaquer (combat naval) »
id. (
Hugues Capet, éd. La Grange, 238,
ibid. : A sarrasins alerent si en haste
aborder Que tout ly plus hardi se prent a effraer);
2. 1416-18 trans. « amener sur le rivage » terme mar. (Arch. mun. Orléans,
Compte de Gilet Baudry, Despense, LV ds
Gdf. Compl. : Pour faire pescher et
aborder deux pelz qui estoient avallez au Portereau); 1440-1475
aborder a « arriver près de (qqn) [en franchissant une rivière] » (
Chastellain,
Chron., I, 224-20 ds
Heilemann,
Wortschatz, 35 : riviere, laquelle il falloit passer, premier que
aborder a eux);
3. id. aborder a « s'approcher de (qqn) » (
ibid., V, 503, 12,
ibid. : vint
aborder a luy tout a l'ombre de bonne foy);
id. aborder a « s'adresser à (qqn) » (
ibid., I, 42, 20,
ibid., 76 :
abordans premierement
a maistre Jehan de Toisy); 1539 trans. «
id. » (
Est.,
Dict. fr.-lat. : Viens m'
aborder si tu oses, pourveu que ce ne soit que sur le cas des crimes dont il est question).
Dér. de
bord* 1 et 2; préf.
a-* et suff.
-er*
; formation du mot,
cf. arriver.
HIST. − Les sens originels du mot sont tous deux mar. : d'une part « heurter un navire pour l'attaquer », apparu en 1306 (
cf. étymol.) et continuellement attesté dep. (
cf. ex. 6), ainsi que
aborder à « attaquer dans un combat naval », apparu dans la 2
emoitié du
xives. (
cf. étymol., pas d'attest. post.); d'autre part « amener (un navire) sur le rivage », attesté pour la 1
refois en 1416-18 (
cf. étymol.) et continuellement attesté dep. L'aspect mar. s'est ensuite estompé, faisant place à l'idée que l'on peut attaquer, approcher ou heurter autre chose qu'un navire, et joindre (autrement qu'à bord d'un navire) autre chose qu'un rivage.
I.− Historique des sens. − A.− « Heurter un navire pour l'attaquer » a pu dégager, successivement ou simultanément, les idées d'attaque, d'approche et de heurt (accidentel), d'où les sens et emplois suiv. :
1. « Attaquer ». L'obj. de l'attaque devient autre chose qu'un navire; apparaît ds
Fur. 1690 « attaquer l'ennemi ». À noter ds
Trév. 1771 :
Aborder, se dit dans le même sens des hommes qui se battent, et signifie, non l'action d'attaquer l'ennemi (...) mais l'action de l'approcher hardiment, pour l'attaquer. L'idée d'approche de l'ennemi domine en effet par la suite, et « approcher d'un endroit que l'on veut attaquer » apparaît à la fin du
xixes. (
cf. ex. 7).
− Rem. Aborder contre « attaquer dans un combat terrestre », 1
remoitié du
xives., sans attest. post. : Quand la chevalerie fut toute assemblee ilz coucherent leurs lances et
aborderent l'un
contre l'autre de grant randon.
Perceforest, vol. III, ch. 28 (Gdf.
Compl.). De même
aborder sur « attaquer dans un combat terrestre »,
xves., sans attest. post. : Affin... qu'il seust mener les crestiens si proprement que sans faillir ils peussent
sur leurs ennemis
abourder. Chevalereux Comte d'Artois (Gdf.
Compl.). Également
aborder à « attaquer dans un combat sur terre succédant à une traversée », 2
emoitié du
xves., sans attest. post. : Lors le conte de Salsebery, admonestant ses gens de bien faire en escriant : Saint George! sa banniere devant luy, passa l'eaue et vint
aborder a ses ennemis.
Wavrin,
Cron. d'Englet., I, 247 (Gdf.
Compl.).
2 « Approcher ».
a) Aborder à « s'approcher de (qqn) ». Attesté en 1440-75 (
cf. étymol.). Pas d'attest. post.
b) Aborder ensemble « avoir commerce ensemble ». Attesté ds
Gdf. Compl. Pas d'attest. post. : Philippe de Bourgogne fut amoureux de la comtesse de Salsebri, mais ils n'
aborderent point
ensemble. P. de Fenin [✝ 1506]
Mem. an 1424 (Gdf.
Compl.).
c) « S'approcher de qqn pour lui parler ». 1
reattest. en 1539 (
cf. étymol.) et continuellement attesté dep.
d) « Approcher d'un navire ». Apparu ds
Fur. 1690, mais sans doute ant. se trouve attesté durant toute notre période.
e) Aborder de « s'approcher d'(un lieu) ». 1
reattest. ds
Vaug. 1934 (✝ 1650) : La ville était battue des flots de tous côtés (...) et le mur qui était avancé dans la mer et escarpé empêchait qu'on ne pût
en aborder. Vaugelas,
Quinte-Curce, 209 (
Littré). Continuellement attesté jusqu'à
Ac. 1835 qui le donne comme vieilli. Noté hors d'usage par
Littré, il ne se trouve pas, pour notre période en dehors des dict.
3. « Heurter ».
a) « Heurter accidentellement un navire », apparaît seulement ds
Ac. 1798; mais le subst.
abordage « heurt accidentel » se trouve déjà ds
Rich. 1680. Attesté durant toute la période.
b) « Heurter accidentellement une terre ou un corps quelconque. » Apparaît ds
Besch. 1845. Cet emploi n'est pas noté dans d'autres dict., mais qq. attest. à la fin du
xixeet au
xxes. (
cf. ex. 5).
B.−De même, « amener (un navire) sur le rivage » a pu dégager l'idée d'arrivée, d'où les accept. suiv. :
1. « Parvenir à un lieu quelconque ». Apparaît ds
Rich. 1680 et constamment attesté dep. À noter ds
Fur. 1690 la 1
reattest. de la loc.
aborder la remise (
cf. sém. C 1).
2. P. ext. « affluer ». Noté pour la 1
refois ds
Fur. 1701, avec l'ex. suiv. (déjà cité ds
Rich. 1680 pour illustrer la déf. « arriver ») : Les présens
abordaient chez moi de toutes parts.
Ablancourt (Rich.). Dernière attest. en 1805 (
cf. ex. 59), mais à propos de cette accept., il est à remarquer, d'une part, qu'elle n'est illustrée dans les dict. que par un petit nombre d'ex. dont le cont. suggère toujours l'afflux; d'autre part, que les mêmes ex. sont parfois interprétés différemment selon les dict. Ainsi, dans l'ex. précédent,
aborder est défini « affluer » ds
Fur. 1701,
Trév. 1704, 1752 et 1772, mais « arriver » ds
Rich. 1680 et
Lar. 19e. De même dans : Elle y voit
aborder le marquis, la comtesse, le bourgeois, le manant, le clergé, la noblesse.
Boileau,
Sat. Aborder est défini « affluer » ds
Littré (sous réserves), mais « arriver » ds
DG. Également pour : Un flot continuel de peuple qui
abordait dans cette église.
Racine,
Port-Royal, 1.
Aborder est défini « affluer » ds
Rob., mais « arriver » ds
DG. La distinction demeure donc incertaine.
C.− Enfin, plus tardivement, l'idée d'attaque jointe à celle d'arrivée, a pu donner, au fig., « entamer une entreprise physique ou intellectuelle plus ou moins difficile », qui apparaît ds
Ac. 1798.
Cf. également : Voici encore des phrases du
langage révolutionnaire qui ne me déplurent pas moins :
aborder la question... M
mede Genlis,
Mém. (Brunot, X, p. 886). Constamment attesté dep.
II.− Vitalité des sens. − A.− Sens et emplois disparus.
1. Av. 1789.
a) Du sens A 1 l'emploi intrans.
b) Du sens A 2 les emplois a et b.
2. Apr. 1789.
a) Du sens A 2 l'emploi e.
b) L'accept. B 2.
B.− Parmi les loc.,
aborder la remise (1
reattest. ds
Fur. 1690) n'est plus attesté dep. Littré. Les loc. mar. semblent avoir subi le déclin de la mar. à voile; 2 d'entre elles, attestées dès
Fur. 1701, se trouvent encore dans certains dict.
aborder de bout au corps ou en belle; aborder de franc étable. Enfin, les loc. ferroviaires (attestées de
Lar 20eet
Lar. encyclop. Cf. également ex. 42) ne semblent pas d'une vitalité considérable.
C.− Les sens contenant l'idée d'attaque subsistent uniquement sous la forme trans.; « entamer une entreprise plus ou moins difficile » est le sens actuel le plus vivant.