ABJURER, verbe trans.
Étymol. − Corresp. rom. : a. prov.
abjurar; n. prov.
ajura; ital.
abiurare; esp.
abjurar; cat.
abjurar; roum.
abjura.
1. Ca 1327 « rejeter par serment l'autorité de qqn » (
Jean de Vignay,
Miroir hist., 26, 51, éd. 1531;
Delboulle; Quem. :
a. l'empereur) et 1616-20 (
Aubigné,
Hist. univ., X, 22 ds
Hug. :
a. le roi d'Espagne);
2. 1611 « renoncer avec serment » (
Cotgr. : to abiure, forsweare); d'où ultérieurement, terme relig. « renoncer à sa religion »;
3. 1611 « nier avec serment » (
Cotgr. : denie with an oath).
Empr. au lat.
abjurare « nier qqc. avec serment », dep. Plaute (
Rudens, 14 ds
TLL s.v., 102, 16), d'où 3. S'emploie en lat. chrét. avec un nom de pers. comme obj. (post 465,
Maximus ep. Taurinus,
Homelia, 28, Migne, 57, 287 ds
TLL s.v., 102, 48 : hunc regem Judaea infidelis abjurat); fréq. emplois similaires en lat. médiév. (1096,
Frutolfus,
Chronicon, p. 208, 2 ds
Mittellat. W. s.v., 27, 67 : qui ab imperatore jamdudum abjuraverat), d'où 1. Le sens 2 est attesté en lat. chrét. (
Ambroise,
De Jacob, 2, 10, 44 ds
TLL s.v., 102, 43 : non abjurabo... instituta majorum) et les corresp. sont fréq. en lat. médiév. (1076,
Bernoldus Constantieus,
Chronicon, p. 433, 2 ds
Mittellat. W. s.v., 28, 4 : obedientiam ... papae exhibendam;
cf. surtout 1079,
Bertholdus,
Annales, p. 317, 42,
ibid. 28, 1 : heresim). La date tardive de la 1
reattest. fr. s'explique par l'usage ant. de
forjurer, reneier, parjurer.
HISTORIQUE
I.− Sens disparus av. 1789. − A.− « rejeter par serment l'autorité de qqn », 1
ersens du mot attesté en fr. (
ca 1327,
cf. étymol) : Tous ceulx certes, qui par avant
avoient abjuré Hildebran, tous assemblez abjurerent l'Empereur. (
Cf. réf. ds étymol.)
− Emploi noté aussi ds
FEW (
s.v. jurare II 3 a) et ds
Hug. : Les Flamands ... déclarèrent par serment son autorité descheu de sa seigneurie et principauté des Pays-Bas ... A cela fut adjousté une forme de serment pour
abjurer le roi d'Espagne.
Aubigné,
Hist. univ., X, 22. − Mention ds
Trév. 1771 et
Ac. Compl. 1842 à propos de l'hist. d'Angleterre : Dans les lois d'Angleterre,
abjurer une personne, c'est renoncer à l'autorité ou au domaine d'une telle personne. Par le serment d'abjuration on s'oblige à ne reconnaître aucune autorité royale dans la personne appelée le Prétendant et de ne lui rendre jamais l'obéissance que doit rendre un sujet à son Prince.
Trév. 1771.
B.− Abjurer la patrie « quitter la province pour n'y plus retourner, comme font les bannis, les proscrits », sens jur. qui n'est donné que par la série
Fur. 1690 −
Trév. 1771 (tandis que la série des dict. de l'
Ac. n'en parle pas); de plus
Trév. donne ce sens comme étant ,,d'autrefois`` et le met en rapport avec
abjuration pris dans un sens qu'il définit ainsi : ,,
Abjuration se dit aussi dans l'histoire et les lois d'Angleterre du serment qu'un homme qui a commis un crime de félonie, et qui s'est réfugié dans un asile, fait de sortir du Royaume pour toujours. C'est S. Edouard le Confesseur qui en fit la loi, mais depuis elle a été changée``. Suivant le crime, l'
abjuration était absolue ou limitée.
C.− « nier avec serment », sens premier du lat.
abjurare mais qui n'est mentionné que par 2 lexicographes étrangers du
xviies.,
Cotgr. 1611 (1
reattest. en fr.,
cf. étymol.) et Widerhold 1675.
D.− « adjurer », sens noté une seule fois dans la docum. disponible : il envoya devers lui un gentilhomme (...) pour lui annoncer les nouvelles et l'
abjurer (...) de le tant gratifier que de venir après luy en Piedmont.
Carloix,
Mém. de Vieilleville, 1, 177 (Quem.).
− Rem. 1. On peut se demander si dans l'ex. du sens D il ne s'agit pas d'une coquille pour
adjurer. 2. Les sens B, C, D, sont négligeables en regard du sens A qui semble le sens fondamental de l'anc. lang. (
ca 1327-1611,
cf. étymol.).
II.− Hist. des sens attestés apr. 1789. − Le passage du sens A anciennement fondamental, où l'obj. est une pers., aux sens I et II de la lang. mod. où l'obj. est une chose, a pu se faire ainsi :
abjurer qqn, par ex. Calvin (= A) >
abjurer l'autorité religieuse de Calvin >
abjurer le calvinisme (c.-à.-d. qqc., = Sém. I et II).
Cotgr. 1611 est le 1
erà signaler ce passage du mot au sens de « renoncer avec serment à qqc. » (
cf. étymol. 2).
1. Les luttes théol. et relig. des
xvieet
xviies. font que l'obj. du verbe est gén. une doctrine ou une relig. et princ. ,,la religion prétendue réformée``. Au moment de la révocation de l'Édit de Nantes (1685), l'objet peut être sous-entendu et la constr. devient absolue. Tel est l'emploi class. par excellence, que
Fur. 1690 résume bien :
Abjurer. Renoncer solennellement à quelque mauvaise doctrine, à des maximes erronées.
Cet homme a abjuré les erreurs de Calvin; ou simplement,
a abjuré, pour dire,
il a changé de Religion, il s'est converty (...)
− Cf. aussi ex. de Bossuet et Bourdaloue ds
DG. − A noter à cette époque le caractère public et solennel de l'action.
− Rem. Abjurer est pris en bonne part, car il s'agit de rejeter qqc. qui est présenté comme mauvais, par l'auteur de l'acte d'abjuration et ses nouveaux associés ou coreligionnaires. A la famille
abjurer, abjuration, converti s'opposent en mauvaise part, c.-à.-d. dans la bouche de qui est abandonné, les familles
renier, reniement, renégat ou
apostasier, apostasie, apostat. Au
xixes. seulement le verbe tend à se neutraliser. En 1878
Ac. le définit « renoncer, par serment et acte public, à une religion ou à une doctrine », sans porter de jugement de valeur sur la dite doctrine ou sur la dite religion.
2. Fur. 1701 précise cependant l'ext. exacte de ce sens : L'usage de ce terme n'est pas restreint aux matières de Religion. Il sert à exprimer que l'on renonce pour toujours à certaines choses, et qu'on les abandonne;
Il a abjuré la Poësie. Sca. Elle a abjuré tout sentiment de pudeur et de vertu. Pasc. − Cf. aussi
FEW (
s.v. jurare) : « renoncer formellement à » (dep.
Pomey, 1671), « renoncer (à une habitude, un sentiment, une occupation) » (dep. Scarron, voir
Rich. 1680).
− Cf. aussi
Regnard,
Le Distrait, 193
(ds
IGLF) : La loi devroit contraindre une mère coquette, Quand la beauté la quitte, ainsi que les amants, (...) D'
abjurer la tendresse (...)
− Cf. aussi ds
DG : Abjurant la satire (
Boileau,
Ep. 1);
Abjurer ses erreurs, ses soupçons. Ma maîtresse
abjura le théâtre (
Lesage,
Gil Blas, VII, 7); Avoir
abjuré les dîners trop brillants (
Voltaire,
Lettre 2/5/
1751).