ABJECTION, subst. fém.
Étymol. − Corresp. rom. : a. prov. 
abjectio; ital. 
abiezióne; esp. 
abyeccion; port. 
abjeccão; cat. 
abjecció.
1. 1372 « état de ce qui est rejeté, bas » (
J. Corbichon, 
Propriété des choses, 14, 5, éd. 1522; Delboulle ds 
Quem. : Ung nom de vilité et de 
abjection); dans un texte relig. « abaissement volontaire, humilité » (1609, 
St François de Sales, 
Introd. à la vie dévote, III, 40 ds 
Hug. : La vraye vefve est en l'Église une petite violette de mars, qui respand une suavité nompareille par l'odeur de sa devotion, et se tient presque tous-jours cachee sous les larges feuilles de son 
abjection); 
2. xives. « action de rejeter, de dédaigner » (
Fabl. d'Ovide, Ars. 5069, fol. 85
eds 
Gdf. : Pelops denote 
abjection De richesse et perfection D'umble et de vraie povreté); dans un texte relig. « mépris, dédain (de soi) » (1609, 
St François de Sales, 
op. cit., III, 1 ds 
Hug. : Sainte Elizabeth, toute grande princesse qu'elle estoit, aymoit sur tout l'
abjection de soy mesme). [
abjeccion terme jur., attesté uniquement en 1374 (Arch. Nat., MM 30, fol. 3 v
o), et que 
Gdf. explique par « aliénation » n'a aucun fondement en lat. médiév. et paraît plutôt signifier dans ce cont. « redevance »; il s'agit prob. d'un hapax, créé par le copiste à partir du lat. 
jacĕre, jactare, en relation avec l'a. fr. 
get « redevance »].
Empr. au lat. 
abjectio (dér. de 
abicere au sens de « abaisser, rejeter, mépriser ») seulement attesté au sens « abattement (de l'âme) » en lat. class. (
Cicéron, 
Pis., 88 ds 
TLL s.v., 92, 21 : quid debilitatio atque abjectio animi tui). Se spécialise en lat. chrét. au sens d'« abaissement volontaire, humilité » (
Greg. le Grand, 
In Evang. homeliae, 6, 1 ds 
Blaise : abjectio mortis suae) et de « mépris, dédain » (
Tertullien, 
De patientia, 7 ds 
TLL s.v., 92, 27 : abjectionem divitiarum.)
HIST. − Dès son entrée dans la lang. et simultanément (
cf. étymol.), le mot renferme les 2 notions d'état et d'action; la 1
rel'emporte au 
xviies. Le mot s'applique d'abord à une chose et dans cet emploi disparaît très tôt (
cf. inf. I A). Au 
xviies., il s'applique à une pers. et prend 2 orientations parallèles, l'une relig., disparue au 
xviiies., sauf dans une expr. stéréotypée (
cf. inf. II B), l'autre, morale, toujours attestée.
I.− Sens et emplois disparus av. 1789. − A.− En parlant d'une chose : 
1. « action de rejeter, de dédaigner une chose » (
cf. étymol. 2); 
2. « état de mépris où est une chose », attesté en 1372 comme ex. isolé (
cf. étymol. 1). Ung nom de vilité et de 
abjection. B.− Abjection d'esprit « état d'abjection où se trouve l'esprit », expr. signalée uniquement par 
Fur. et 
Trév. 1704 et 1752 : Quelques-uns ont écrit 
abjection d'esprit pour dire abattement d'esprit. (
Fur. 1690). Empr. au lat. class. (
cf. étymol. 
abjectio animi « abattement de l'âme »). 
C.− Sens issu de A 
sup. : dans la lang. relig., en parlant d'une pers. « humiliation, mépris de soi, humilité » (
cf. étymol. 1 et 2 et 
abject, hist. I B) : 
1. action : 
St François de Sales, 
Introd. à la Vie dévote, III, 1 (
cf. étymol. 2); 
2. état : La vraye vefve est en l'Eglise une petite violette de mars, qui respand une suavité nompareille par l'odeur de sa devotion, et se tient presque tous-jours cachee sous les larges feuilles de son 
abjection. Id., 
ibid., III, 40 (Hug.). 
− Rem. 1. Le mot peut, pour exprimer l'état, présenter un emploi absolu : Avec combien peu d'orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu! avec combien peu d'
abjection s'égalet-il aux vers de la terre! 
Pascal, 
Pens., éd. Havet, I, 189 (
cf. aussi 
Dub.-Lag., 
s.v. abjection). 
2. Ce sens, usuel à la fin du 
xvies., vieillit au 
xviies., disparaît vers la fin du 
xviiies. (
cf. Trév. 1752, 1771), bien qu'il soit encore noté ds certains dict. à vocation hist. tels que 
Besch. et 
Littré (
cf. Brunot, IV, p. 586 et 
Dub.-Lag. s.v. abjection). 
3. Ce sens a été remis en usage par 2 écrivains mod. traitant de biogr. relig. (
cf. sém. II, ex. 1, 2, 3). 
D.− En parlant de la condition sociale (
cf. abject, hist. I A) : 
1. sens apparu au 
xviies. sans idée péj. : S'il était permis à ce malheureux que vous outragez de vous répondre, si l'
abjection de son état n'avait pas mis le frein de la honte et du respect sur sa langue. 
Massillon, 
Car (
Dub.-Lag.); 
2. ne semble pas s'être maintenu au-delà du 
xviiies. Les différentes éd. de 
Fur. et 
Trév. en donnent une signification ambiguë où cependant le cont. 
condition servile paraît indiquer un sens princ. ou primitivement social : 
Abjection. Condition servile qui fait tomber une personne dans le mépris. La fortune a réduit ce gentilhomme dans une grande 
abjection. Trév. 1752. 
E.− Terme jur., « aliénation » ou mieux « redevance » (
cf. étymol.) : Ledit frère Jehan sera tenus de fere le fait de la baillie et a soustenir tous les frais, missions et coustemens et paier ledit chapitre, avecques autres subvencions ou 
abjections quelconques. (ds 
Gdf., réf. ds étymol.).
II.− Historique des sens attestés apr. 1789. − A.− « état de mépris où est une pers. » (
cf. sém. II). Apparaît au 
xviies. : Il est tombé dans une telle 
abjection que, etc. 
Ac. 1694. À partir de 
Ac. 1798, le mot s'applique p. ext. à certaines valeurs humaines d'ordre psychol., moral ou social : L'
abjection de ses sentiments et de ses mœurs. Perman. de ce sens dans ces 2 accept. (
cf. sém.) 
B.− « obj. de rebut », dans la lang. de l'Écriture, pour désigner le Christ; il s'agit d'une ext. de I, C. 
− 1
reattest. ds St François de Sales (d'apr. 
H. Lemaire, 
Les Images chez St François de Sales, Paris, 1962). Transcription littérale de la Vulgate (Ps. XXI, 7). 
− Perman. attestée jusqu'à l'époque contemp. : 
Ac. 1694 à 1932; 
Besch.; Littré; 
DG.