ABHORRER, verbe trans.
Étymol. − Corresp. rom. : de a) cat.
avorrir; de b) a. prov.
aborrir; ital.
aborrire; a. esp.
aburrir, aborrir.
1488 « avoir en horreur » (
Mer des histoires, I, 36b, éd. 1491 ds
Rom. Forsch., 32, 3 : Par quoy est bon de veoir ung peu des dieux des payens pour les
abhorrer); prob. ant. ds
Jean de Vignay,
Mir. hist. (XXVII, 28), composé
ca 1327, cité d'apr. éd. 1531 ds
R. hist. litt. Fr. I, 179 : Les clercs d'icelle eglise
abhorroient l'aspreté de son propos et de sa vie. En outre :
a) xiiies. jud.-fr.
avourrir «
id. » (plusieurs fois attesté ds
Lévy, n
o140;
cf. Hagins le Juif, Richel. 24 276, fol. 25 r
ods
Gdf. : il est ... hastant, couroucier et
avourrissant le mal);
b) 1492 «
id. » (
Rom. des Sept Sages, ds
Fr. mod., IV, 334 : Nature
aborissoit que le filz deut habiter avec la femme de son pere), prob. attesté ant. d'apr. le dér.
aborrissement, xiiies. (
Comm. s. les Ps., Richel. 963, fol. 232b ds
Gdf. : il me mistrent
aborissement, ce est hideux a eus, ce est a dire : je leur seré achaisons de hideur quant il me verront pendre en la croiz).
Abhorrer, empr. au lat.
abhorrere «
id. » (dep.
Térence,
Andria, 828 ds
TLL s.v., 76, 31 : adulescentulo in alio occupato amore, abhorrenti ab re uxoria). Les autres formes : a été prob. influencé par l'a. prov. de formation pop., attesté sous la forme
aorrir dep.
xiiies. (
Breviari d'Amor, fol. 171 ds
Rayn., III, 54, 3a);
cf. fr.-prov. (Mornant
avorri, Rive-de-Gier
avari « avoir du dégoût pour une chose » ds Puitspelu,
s.v.);
cf. cat.
avorrir, forme pop. dep. 1284 (R. Llul ds
Alc.-Moll.,
s.v.); b demi-sav. :
cf. a. prov.
aborrir xiiies. (Peire Cardenal ds
Lévy,
s.v.); a. esp.
aburrir, 1220-50 (Berceo ds
Cor.,
s.v.), ital.
aborrire, xvies.
(DEI). − Les formes sous a et b remontent au lat. *
aborrīre (abhorrescĕre).
HIST. − Mot entré dans la lang. au
xiiies. (
cf. étymol.). Malgré ses var. phonét. et graph. (
cf. prononc. et orth.), grande stab. sém. de ce terme monosém. Très usité au
xvies. (
cf. Hug.), il entre dans le style noble aux
xviieet
xviiies. (
cf. inf. II, rem.
Brunot) et litt. au
xixes. (
cf. styl.).
I.− Disparitions av. 1789. − A.− Emploi prépositionnel
abhorrer de. 1. Avec un subst.
− xvies. (
Hug. glose « ne pas s'accorder avec ») : L'usage, qui est religieusement gardé par toute la chrestienté, à nommer les jours de la semaine par le nom des planetes, monstre tresevidemment que l'influence celeste n'
abhorre de la pieté chrestienne.
Cholieres,
8eAp. disnée (Hug.).
− xviies., comme part. prés. adjectivé : Je ne suis trop
abhorrant de ceste opinion.
Nicot 1606.
− Cf. aussi
Cotgr. 1611.
2. Avec un inf.
− xvies. : Ilz
abhorrissent de frequenter la compagnie des hommes.
A. du Moulin, Trad. des
Complexions des hommes, 281 (Hug.).
− A l'époque class. : Tout homme
abhorre d'être pris pour dupe.
Bayle (Lar. 20e). − Rem. Cette constr. subsiste de façon isolée au
xixes. chez Stendhal notamment (
cf. sém.).
B.− Sens du part. prés. adjectivé :
abhorrent, -e « inusité », « hors du commun » (Dr.) : Les deux [abhorrir et abhorrer] viennent de
ab et
horror, signifiant le dernier une tremeur causée aussi de peur. Et parce qu'on s'estrange de telles choses,
abhorer signifie aussi defuir et s'esloigner de quelque compagnie, selon laquelle signification l'on dit une chose estre
abhorrente, quand elle est outre la commune et usitée façon de faire.
Res inusitata atque a communi usu abhorrens. Nicot 1606.
− Cf. aussi
Cotgr. 1611.
− Rem. Sens mentionné chez les 2 seuls lexicogr. cités qui confondent peut-être
abhorrant et
aberrant.
II.− Hist. du sens et des emplois attestés apr. 1789. − Cf. déf. ds sém.; est suivi habituellement d'un régime de pers. ou d'un terme à coloration abstr.
− 1
reattest.
ca 1327; mieux attesté à partir de 1488, comme verbe trans.
− xvies. : Innocence (...) fuit et
abhorre toutes choses par lesquelles on fait tort ou injure a autruy.
J. Le Maire,
Œuvres, [1504], (Quem.).
− Rem. Cet ex. constitue l'une des 1
resattest. où le suj. désigne non une pers., mais une entité assimilée à une pers.
− xviies. : Les loix
abhorrent le vice et embrassent la vertu.
Patru,
Plaidoié (Rich.).
− Rem. D'après
Brunot (IV, p. 586) citant Chapelain,
abhorrer n'était pas à cette époque ,,exclu du bel usage`` mais on ne devait l'employer que dans ,,les fortes expressions``.
Brunot précise aussi que le mot pouvait avoir exceptionnellement pour régime un nom désignant une chose concr. produite par l'homme : Les Manichéens
abhorroient le vin.
Bossuet,
Traité de la communion, 151.
− xviiies., selon
Brunot (VI, p. 1030),
abhorrer sert de synon., dans le style noble, aux termes du lang. cour.
haïr et
détester : Les parricides mains d'un tyran qu'elle
abhorre. Voltaire,
Mérope, V, 1.
− Perman. de cet emploi trans. jusqu'à l'époque contemp. (
Trév. 1752,
Ac. 1835,
Dub.).
− Rem. 1. Abhorrer empl. à la forme pronom. (réfl. ou réciproque) sans différenciation de sens : 1
reattest. au
xviies., perman. jusqu'au
xixes. inclus : Objet infortuné des vengeances célestes, Je
m'abhorre encore plus que tu ne me détestes.
Racine,
Phèdre, II, 5, (Fur. 1701).
2. L'emploi absolu, ignoré par les dict., apparaît au
xviiies. et se maintient au
xixes. seulement (ex. 22, 23, toujours en opposition avec
aimer, également en emploi absolu),
cf. encore : Il
abhorre sans cause, il aime par erreur...
E. de Sénancour,
Rêveries, 1799, p. 108.