ABANDONNER, verbe trans.
ÉTYMOLOGIE
I.− Trans. 1. Obj. inanimé
a) ca 1100
le frein abanduner « lâcher la bride » (
Rol., éd. Bédier, 1536 : Brochet le [ceval],
le frein li
abandunet), d'où part. prés. « à disposition » (
ibid., 1522 : Seint pareis vos est
abandunant); 1207
abandonner que « permettre que » (
Villehard., éd. Wailly, 377 ds
Gdf. : Li marchis li
abandona qu'il i alast);
b) 1165-70 « mettre en activité, appliquer » (
Chrét. de Troyes,
Erec, éd. M. Roques, 6110 : Erec le [cor] prant et si le sone; tote sa force i
abandone); 1225-30
abandonner la lance en « enfoncer la lance dans » (Beuve d'Hanst., Vat. chr., 1632 ds
Gdf. : el cors li
a la lance abandoné);
2. obj. animé
a) début
xiies. « laisser aller (un cheval) la bride sur le cou » (
Mon. Guill., Bibl. nat., 368,
ibid. : Parmi la presse son cheval
abandonne);
b) ca 1200 « livrer (une femme) à la débauche » (Jourdains de Blaivies, éd. Hofmann, 3368 ds T.-L. : a un bordel sera mise et boutee, Lors si
sera a touz
abandonnee);
xves. « laisser (qqn) à lui-même » (
Cent Nouvelles nouvelles, Bartsch., 92, 3 : qu'il
abandonne sa belle et bonne femme).
II.− Réfl. a) ca 1100
s'abandonner de « se laisser aller à » (
Rol., éd. Bédier, 390 : Kar chascun jur
de mort
s'abandunet); emploi absolu 1160-70 « se livrer (en parlant d'une femme) » (
Wace,
Rou, éd. Andresen, 2845 ds T.-L. : Tute
se pout
abanduner Senz sa chemise reverser);
b) ca 1100
s'abandoner a « se précipiter vers » (
Rol., 928 : Franceis murrunt si
a nus
s'abandunent), emploi absolu 1160-70 « s'exposer au danger » (
Wace,
ibid., 3917 d'apr.
Keller,
Vocab. Wace, 250b : Trop vus
abandunates si feïstes folie).
Dér. de
abandon*.
HIST. − Mot entré très tôt dans la lang. (
xiies.,
cf. étymol.) et attesté régulièrement jusqu'à nos jours. Offrant dès l'orig. une grande richesse sém., il donne lieu à de nombreux emplois (surtout à partir du
xviies.) dont la plupart subsistent.
I.− Accept. disparues av. 1789. − A.− Trans. −
1. « Mettre en activité, appliquer »; attesté uniquement au
xiies. (1165-60,
cf. étymol. I 1).
2. « Permettre que »; attesté régulièrement du début du
xiiieau début du
xves. (
cf. étymol. I 1 b et 5 ex. ds
Gdf.).
3. Abandonner en « enfoncer dans »; une seule attest. au
xiiies. (1225-30,
cf. étymol. I 1).
B.− Réfl. −
S'abandonner à « se précipiter vers », emploi absolu « s'exposer au danger », attesté dep. le
xiies. (
cf. étymol. II b) jusqu'au début du
xves. : Onques sanglier escumant ne loup enragé plus fierement ne
s'abandonna. Hist. de Boucicaut [1409], I, 24, Buchon (Gdf.). Se rencontre fréquemment au
xives. surtout ds Froissart (
cf. 5 ex. ds
Gdf.).
II.− Accept. attestées apr. 1789. − Nombreuses et anc. pour la plupart (
xiies.), elles ont pour composante dominante une idée de recherche d'autonomie, obtenue par une rupture de liens, par une séparation; d'où la valeur dépréc. du verbe (
xviies.). Ainsi
abandonner évolue-t-il non sans anal. avec
abandon dont il est dér.
A.− Trans. −
1. Abandonner, cf. sém. I A.
Ca 1100 « lâcher la bride » (
cf. étymol. I 1 a),
abandonner les rênes, une corde; début
xiies. « lâcher en liberté, laisser courir » en parlant d'animaux (
cf. étymol. I 2 a et ds
Gdf.); d'où au
xviies. « lâcher, laisser échapper » notamment un cheval attelé
(FEW). Dans un sens analogue apparaissent un emploi techn. en fauconn. :
abandonner l'oiseau « le lâcher dans la campagne » (
Fur. 1690 et
sqq), arch. de nos jours, et l'expr. proverbiale et fam.
abandonner les étriers « retirer les pieds de dedans les étriers », empl. souvent au fig. :
n'abandonnez pas les étriers « servez-vous bien des avantages que vous avez » (de
Fur. 1701 à
Lar.).
xiies. et
sqq « quitter, délaisser entièrement »; dep. le
xves.
abandonner une affaire « ne pas continuer à s'occuper de »
(FEW), d'où
abandonner son poste, la partie, etc. (cf. sém.), et en partic. dep. le
xxes. (
cf. Lar.; mais déjà : ,,La victoire est revenue à Sébille, car Rouault a dû
abandonner au quatrième round.``
La vie au grand air, 5 mai 1904, p. 357) « renoncer » terme de sport peut-être par l'intermédiaire de la lang. des jeux;
xves. et
sqq. aussi « laisser (qqn) à soi-même » (
cf. étymol. I 2 b
in fine), d'où « quitter qqn, s'en séparer » (
abandonner ses enfants, un malade, etc.
cf. sém.);
xvies. (1553
ds FEW) « venir à manquer de » en parlant des forces phys. et morales, toujours attesté (
cf. Besch. 1845,
Littré,
DG, Rob.).
− Rem. A signaler dans le même sens 2 emplois techn. de faible vitalité : anc. jurispr. (
Ac. Compl. 1842) « faire un abandon, un abandonnement » (sens conforme à l'étymol., alors que le verbe est davantage usité dans des accept. moins spécialisées; toutefois
abandonner [p. ex. le domicile conjugal] peut appartenir à la lang. jur.), et mar.
(Lar. encyclop.) : abandonner son bâtiment « le quitter après avoir sauvé l'équipage; en faire le délaissement aux assureurs ».
2. Abandonner... à, cf. sém. I B.
xiies. et
sqq : abandonner (qqc. ou qqn) à (qqn ou qqc.) « mettre à son entière disposition, laisser agir en toute liberté »
(FEW); « exposer à, livrer à », prenant le sens partic. de « livrer à la débauche »
ca 1200 (
cf. étymol. I 1 b), qui s'emploie plus souvent avec le pron. pers.
(cf. inf.); xviiies. [
Ac. 1718-
Lar., cf. FEW] « remettre, confier à », etc. (
cf. ex. 35 à 44). Avec ce sens, les expr.
abandonner au bras séculier « remettre un ecclésiastique au juge laïc », ou, proverbial et au fig. :
abandonner (de la nourriture, etc.)
au bras séculier « laisser à la discrétion des domestiques après s'être servi » se disent dep.
Fur. 1690, l'une désignant une réalité jusqu'à
Ac. 1798, et ne subsistant plus ensuite dans les dict. qu'avec une valeur hist., l'autre n'étant plus attestée au-delà de
Ac. 1835.
Ac., 1835 et
sqq : abandonner un point à qqn, « le lui concéder ».
B.− Réfl. −
1. Ca 1100 et
sqq : s'abandoner de « se laisser aller à » (
cf. étymol. II a); d'où, au
xiiies. (1270,
cf. FEW) et
sqq, s'abandonner à, « se livrer à »; à partir du
xvies. (1553,
cf. FEW) « s'en remettre à qqn, à sa volonté » ensuite « se confier à »; dep. le
xviies. (1636, Monet ds
FEW)
s'abandonner à la fortune, à un sentiment, etc. (
cf. sém. II B).
2. S'abandonner, empl. absolument, connaît certaines accept. partic. : 1160-70 et
sqq « se prostituer », désuet de nos jours (peut se construire aussi avec un compl.);
xviies. (1636, Monet
ds FEW) « se négliger dans son maintien, dans son habillement », encore en usage (
cf. ex. 56 à 58); dep. le
xviies. aussi (
cf. FEW) « se laisser aller à des mouvements naturels », d'où « se détendre »; en outre, au
xixes., en parlant d'un orateur qui se lance sans ménagement dans l'improvisation, ou à propos d'un enfant qui commence à faire ses premiers pas (
cf. Littré); au
xixes.
s'abandonner « ralentir sa marche (en parlant d'un cheval) » est mentionné ds
Littré comme terme d'équit.