| VOUER, verbe trans. A. − RELIG. Vouer qqn/qqc. à (une divinité, Dieu) 1. a) Vieilli. Promettre, offrir en vertu d'un vœu. Vouer un culte à une déesse, aux muses; vouer un sacrifice, une victime à un dieu; vouer un pèlerinage à Dieu, à un saint. C'étaient [deux jeunes guerriers] les Dioscures, auxquels le dictateur avait voué un temple pendant la mêlée, et qu'on avait vu combattre et décider la victoire (Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 85).D'autres vierges (...) Aux autels d'Erycine ont voué leurs tuniques (Leconte de Lisle, Poèmes ant., 1852, p. 11). − En partic. Placer sous l'invocation d'une divinité. Synon. dédier.Flots voués à Poséidon. Je pense que les Grecs en vouant à Minerve l'olivier montrèrent qu'ils avaient entrevu chez cet arbre, ce que cet arbre pressentait chez l'homme − un parallèle effort vers la lumière (Gide, Journal, Feuillets, 1925, p. 810). b) Au fig. Vouer un culte à qqn, à la mémoire de qqn. Dévouer à quelqu'un toute sa personne, le vénérer profondément. Elle était sensible à ce culte que lui vouait cet adolescent plein de grâce (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1077).Guillaume de Lorris était le plus dévôt officiant du culte chevaleresque voué à la femme (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p. 240). 2. Consacrer par un vœu. RELIG. CATH. Consacrer à la Vierge, à un saint pour en obtenir une protection particulière. Vouer un enfant à la Vierge; vouer une église à un saint; autel voué à Marie. D'un commun accord, son père et sa mère l'avaient voué à Dieu, dès avant sa naissance, « pour lui appartenir comme les premiers nés d'Israël » (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 297).En apprenant que l'abbaye était vouée à saint Jean, l'incendiaire cria: « Quoique l'époque soit passée, nous allons fêter le saint » (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 272). − Vouer un enfant au bleu, au blanc. Habiller un jeune enfant aux couleurs de la Vierge en signe de cette consécration. Juive ayant un enfant: tout le temps de ses couches, promettant de le vouer à la Vierge. Enfant très beau, son seul amour, voué au blanc et au bleu (Goncourt, Journal, 1858, p. 559). ♦ P. anal., au passif. Être toujours vêtu d'habits de la même couleur. Femme vouée au noir. [Le duc de Rohan-Chabot] avait été voué au rouge, ayant porté l'habit de chambellan, l'uniforme de chevau-léger et la robe de cardinal (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 364).Paule descendait l'escalier à petits pas soyeux. − Décidément, tu es vouée au violet! dit-il avec un sourire (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 11).Pop. Voué au blanc. V. blanc ex. 33. − Littér. [Dans des formules imprécatoires] Vouer qqn aux puissances infernales. Faire le vœu qu'une personne (ou un groupe de personnes) soit livrée aux puissances infernales. Malheureux! Je te voue aux blêmes Érinnyes, Aux chiennes de ta mère! (Leconte de Lisle, Poèmes trag., 1886, p. 229). − Empl. pronom. réfl. Se consacrer par un vœu. Se vouer à Dieu. Il redouta de pécher en son âme, et de se vouer ainsi au diable (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 122).Étant aux fers (...) Perrot Chapon se voua à madame sainte Catherine et s'endormit. Il se réveilla, tout enchaîné encore, dans sa maison (A. France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 119). ♦ Fam. Ne (plus) savoir à quel saint se vouer. V. saint II A 3 a. B. − Au fig. 1. Vouer qqc. à (qqn, qqc.) a) [L'obj. désigne un sentiment] Engager définitivement ou solennellement. Vouer à qqn son amitié, son attachement profond, son respect; vouer son admiration à l'Antiquité, à un livre. L'amitié que je vous porte, la reconnaissance que je vous ai vouée, ont pu seules m'y décider (Sandeau, Sacs, 1851, p. 21).De neuf à quinze ans, il lui avait voué la première ferveur de sa tendresse, un amour délicat et pieux de gamin tendre (Martin du G., Devenir, 1909, p. 30). − [L'obj. désigne un sentiment nég.] Porter de manière profonde et durable. Vouer une aversion profonde à qqn, une exécration au mensonge. Ce fils aîné voua plus tard une haine mortelle à Valincour, l'ami de son père (Mauriac, Vie Racine, 1928, p. 219). b) [L'obj. désigne l'activité, les qualités, le temps] Employer durablement, exclusivement pour l'accomplissement de quelque chose. Vouer ses efforts, son existence, ses talents à qqn; vouer son attention à ses enfants. Cette candide enfant (...) à qui j'ai voué ma jeunesse, ma vie, à qui j'ai juré éternelle foi (Borel, Champavert, 1833, p. 179).Un homme qui avait voué sa vie aux recherches scientifiques (Champfl., Bourgeois Molinch., 1855, p. 176). 2. Vouer qqn à qqc. (ou verbe à l'inf.).Engager quelqu'un dans un état, une activité, une situation; désigner pour quelque chose de manière irrévocable. Synon. consacrer.Vouer qqn à une tâche. Le caractère et la tournure de Birotteau semblaient le vouer éternellement au vicariat de la cathédrale (Balzac, Curé Tours, 1832, p. 194).Nos parents, très ingénument patriotes (...) nous vouaient à la fois à reconquérir l'Alsace et la Lorraine on ne sait par quels moyens de persuasion offensive, et à ne pas connaître la guerre (Arnoux, Contacts all., 1950, p. 23). − Empl. pronom. réfl. ♦ Se consacrer à quelqu'un. Vous êtes la dame châtelaine inconnue qu'un pauvre chevalier errant rencontre, par hasard, dans une forêt, et à laquelle il se voue corps et âme (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 173).Elle s'était vouée à lui. Cette passion était le premier, le seul amour de sa vie (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1491). ♦ S'appliquer à quelque chose de manière assidue et exclusive. Se vouer à l'art, au célibat, à l'étude, à un idéal, au service de qqn, à un travail. Tout particulier qui désirera se vouer aux fonctions d'instituteur primaire devra présenter au recteur de son académie un certificat de bonne conduite des curé et maire de la commune (Hist. instit. et doctr. pédag., 1816, p. 295). 3. Vouer qqn, qqc. à qqc. (ou verbe à l'inf.) a) Amener à un état, une situation; destiner à quelque chose de manière impérative, inexorablement. Cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie (Ponge, Parti pris, 1942, p. 15).Traitement indéfiniment prolongé, qui vouait les malades à des soins constants (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 135). b) Destiner, déterminer à un état négatif ou mauvais de manière inéluctable. Vouer à l'abandon, au mépris, à la médiocrité, à la perte, à la ruine, à la mort; espèce vouée à la disparition; maison vouée à la démolition. Un caporal de sapeurs (...) fait sauter le pont, vouant ainsi à la perdition tout ce qui demeurait encore au-delà: toute notre arrière-garde (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 29).Neuf heures et demie de travail pour dix heures de présence, ce qui suffisait à les vouer au rhumatisme articulaire (Hamp, Champagne, 1909, p. 152). Prononc. et Orth.: [vwe], (il) voue [vu]. Ac. 1694, 1718: voüer, -é (tréma: prononc. en deux syll. [vue]. V. ds Fér. 1768, Fér. Crit. t. 3 1788 et encore ds Littré: vou-é); dep. 1740: vouer, -é. Étymol. et Hist. 1. 1remoit. xiies. trans. vuer vut a « faire vœu, promettre par vœu [à Dieu] » (Psautier de Cambridge, éd. Fr. Michel, CXXXI, 2); 1130-40 (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 118: casteé que t'ai voée); id. voer a Deu que + prop. (Id., Conception N.-D., éd. W. R. Ashford, 149); fin xves. vouer de + inf. (Philippe de Commynes, Mém., VII, 14, éd. J. Calmette, t. 3, p. 85); 2. 1130-40 réfl. « consacrer par vœu quelqu'un à Dieu » (Wace, Conception N.-D., 685); ca 1165 part. passé adj. none vouee (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 1136); 3. a) α) 1176-81 « se destiner à, s'engager vers » (Chrétien de Troyes, Chevalier de la charrette, éd. M. Roques, 696: Je ne sai preu le quel [passage] je praigne [...] Au Pont desoz Eve me veu); 1269-78 trans. indir. (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 5750: Autre amor naturel i a Que Nature es bestes cria Par quoi de leur feons chevissent [...] Nature les i fet voer, Force leur fet);
β) 1580 hommes vouez à leur devotion [des tyrans] (Montaigne, Essais, II, 12, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 461); 1680 réfl. se voüer au service de quelcun (Rich.); b) 1579 trans. « consacrer, employer » vouer un chapitre à telle question (Paré,
Œuvres, VIII, 11, éd. J.-Fr. Malgaigne, t. 2, p. 29a); 4. av. 1610 [impr. 1615] « promettre de manière irrévocable » (Malherbe, Poésies, LI, 21 ds
Œuvres, éd. L. Lalanne, t. 1, p. 175: Quand je lui vouai mon service, Faillis-je en mon élection?); 1664 vouer une amitié à qqn (Racine, Thébaïde, II, 1); 5. 1671 « employer une chose avec un zèle soutenu » voüer sa vie pour son pays (Pomey); 1872 « id. » vouer sa plume à la défense de la religion (Littré). Dér. de vœu*; dés. -er. Cf. le b. lat. votare « promettre » (xies. ds Blaise Latin. Med. Aev.; v. aussi FEW t. 14, p. 637b, note 5). Fréq. abs. littér.: 458. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 696, b) 483; xxes.: a) 515, b) 782. |