| VILAIN, -AINE, subst. et adj. I. − HIST. FÉOD., subst. A. − [P. oppos. à serf] Paysan libre. On voit aussi, dans un autre fabliau, un autre vilain admis au paradis, bien que le soc de sa charrue ait quelquefois mordu de quelques sillons sur le champ de son voisin (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p. 124). B. − [P. oppos. à bourgeois] Habitant de la campagne. Bourgeois et bourgeoises, vilains et vilaines se flairent, se choisissent à loisir. Il en va tout autrement pour les têtes couronnées (Audiberti, Mal court, 1947, II, p. 161). C. − [P. oppos. à noble] Roturier. Il n'est, ne fut, ni ne sera jamais, pour nous autres vilains, qu'un moyen de fortune, c'est le travail; pour la noblesse non plus il n'y en a qu'un et c'est... la prostitution (Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 102). ♦ Savonnette à vilain. V. savonnette A 2. D. − Loc., avec valeur péj. Jeux de mains, jeux de vilain. V. jeu I A 1.Oignez vilain, il vous poindra; poignez vilain, il vous oindra. V. oindre A. II. − Adj. et subst. A. − (Celui, celle) qui est méprisable; qui manifeste de la bassesse, de la malhonnêteté. 1. [En parlant d'une pers.] Vilain bougre. Ajoutez à ça qu'il y a des vilaines gens partout, qu'il faut savoir garder les distances (Colette, Music-hall, 1913, p. 36). − En partic. ♦ (Personne) peu recommandable pour ses mœurs, sa conduite. − C'est que, comme ça, dit-elle, je ne verrai plus ce vilain monsieur. − Quel monsieur? − Celui de l'autre jour. Baccarat tressaillit et se souvint du regard que sir Williams avait jeté à la petite juive (Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p. 454).Vous voyez il ne s'est rien passé d'extraordinaire. − Quel vieux vilain, dit Pierrette. − Il a été très correct en fin de compte, dit Ginette (Queneau, Loin Rueil, 1944, p. 127). − Vilain oiseau. V. oiseau I B 1.Vilain moineau. V. moineau A 3. ♦ Vilaine (femme). Femme de mœurs légères; prostituée. Mais il y a dans ta vie une femme qui te tient d'une façon ou d'une autre (...), c'est quelque vilaine femme des vieux quartiers et tu as peur d'elle? (Pagnol, Marius, 1931, II, 6, p. 139). 2. [En parlant d'un inanimé] Vilain défaut; vilaine action, besogne. Voulez-vous que je vous dise, mon ami? Vous avez obéi à un fort vilain calcul (Becque, Parisienne, 1885, I, 3, p. 279).Raconter par exagération qu'on a eu très peur d'un chien « gros comme une vache » est un vilain mensonge puisqu'on n'a jamais vu de chiens de cette taille et que personne n'y croit (Traité sociol., 1968, p. 243). − En partic. Que la morale réprouve, qui blesse la pudeur. Vilaines pensées; vilaines choses. [Le peintre] avait eu autrefois, disait-on, une vilaine affaire de mœurs (Maupass., Une Vie, 1883, p. 93).V. mot ex. 7. ♦ Vilaines maladies (vieilli). Maladies vénériennes. (Dict. xxes.). B. − [Dans un discours enfantin ou adressé aux enfants, avec valeur affective, p. oppos. à gentil] (Celui, celle) qui se conduit mal, qui est turbulent, impoli. En partic. [En parlant d'un enfant] Désobéissant. Être vilain; faire le vilain. Synon. méchant.Ce barbu de Kervazec me fit un cours mondain sur le péché de gourmandise. Un cours à l'usage d'enfants gâtés, où revenait sans cesse le mot « vilain » (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 91). − [En empl. appellatif] Ah! le vilain! Ma mère me dit seulement: « Comme tu m'as fait peur, vilain garçon, j'ai passé la nuit sans dormir » (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Garçon, un bock! 1884, p. 900).La petite Suzanne apparut en chemise, mal éveillée, les yeux éblouis, pour embrasser son frère. « Veux-tu bien vite te recoucher, vilaine fille! » On rit beaucoup (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 297). − Loc. C'est vilain (de + inf.).Il est inconvenant, répréhensible (de). Ah! que c'est vilain de s'échauffer pour la politique! Un jeune homme, fi donc! Occupez-vous plutôt de votre voisine! (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 180).Ce serait pourtant vilain de quitter mon mari au moment où tout le monde s'écarte de lui (Curel, Nouv. idole, 1899, II, 3, p. 196). C. − 1. Qui est déplaisant à la vue, laid, voire répugnant. Vilaine bête; vilaines dents; vilaine couleur. Je comprends bien la répulsion que Louise manifeste pour ce vilain visage (...), cet homme a quelque chose (...) de repoussant (Dumas père, Intrigue et amour, 1847, I, 1ertabl., 4, p. 197).Il alla loger à l'hôtel Saint-Quentin, rue des Cordiers, près de la Sorbonne. Vilaine rue, dit-il, vilain hôtel, vilaine chambre (Guéhenno, Jean-Jacques, 1948, p. 157). 2. Qui est désagréable, fâcheux. Synon. mauvais, sale.Vilaine affaire; vilain temps; vilains jours d'hiver. Nous traversions une bien vilaine année; je me souviens que jamais on ne vit de plus grande confusion dans le pays, de plus grande inquiétude et de plus profonde misère qu'après la mort de Robespierre (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 349).Voyons! J'ai tout dit maintenant! Jure-moi que j'ai tout dit? − Tu as fait un vilain rêve, Mouchette (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 113). − Rare, empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le vilain, c'est qu'ils [les insurgés] mutilaient horriblement les mobiles qu'ils prenaient, qu'ils assassinaient les parlementaires (Mérimée, Lettres ctessede Boigne, 1848, p. 27). − Expr. et loc., en emploi adj. ou adj. subst. ou adv. ♦ Jouer un vilain tour. V. jouer G 2 c β.Être dans de vilains draps. V. drap B 1 b α. ♦ Il va y avoir du vilain. Les choses vont mal tourner, il va y avoir une dispute. Les gens d'Argos virent leurs visages rougis par le soleil couchant (...) et ils pensèrent: « Il va y avoir du vilain » (Sartre, Mouches, 1943, I, 1, p. 15). ♦ Il fait vilain. Le temps est désagréable, mauvais. Vous deviez sortir, ça vous aurait fait du bien. − Non, il fait vilain. − Mais non, il fait beau (Goncourt, Journal, 1858, p. 565). ♦ Faire (du) vilain. Faire toute une histoire, faire (du) scandale, Synon. fam. rouspéter.La cahute était vide. Tant mieux. J'étais en rogne. J'aurais fait du vilain (Cendrars, Main coupée, 1946, p. 146).Empl. impers. Ça a fait vilain, au Bois-Sabot! Quand le comte a su la nouvelle, il en a raconté long! (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 151). ♦ Tourner au vilain. Tourner mal. Buteau et Lise se retrouvèrent pour la première fois en face de Françoise et de Jean, que la Grande avait accompagnés par plaisir, sous le prétexte d'empêcher les choses de tourner au vilain (Zola, Terre, 1887, p. 387). 3. Qui peut présager quelque chose de grave, de dangereux. Synon. fam. sale.Vilain rhume; vilaine fièvre, grippe, plaie, toux. J'ai la figure toute rose, mais d'un vilain rose, ayant été brûlé par le soleil sur le bateau (Mallarmé, Corresp., 1866, p. 229).Je vois mon pauvre de Nittis avec la figure d'un vilain jaune et une inquiétude hagarde des yeux (Goncourt, Journal, 1884, p. 366). 4. Qui est mauvais, de qualité médiocre. Je suppose qu'il voulut ainsi conseiller à ses fils de faire comme son héros, de briser une vilaine petite carrière de bourgeoisie et d'égoïsme pour se donner tout entier à une femme? (Larbaud, Barnabooth, 1913, p. 281). REM. Vilené, adj.,hérald. Animal vilené. Animal mâle, dont le sexe est d'un émail particulier. (Dict. xixeet xxes.). Prononc. et Orth.: [vilε
̃], fém. [-εn]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1119 subst. « paysan libre » (Philippe de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 132) − xives., repris par les historiens du dr. au xviies., v. K. Baldinger ds R. Ling. rom. t. 26, p. 313; 1169-78 « roturier » (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 18587); ca 1135 adj. « qui a les caractères du paysan » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, 5), pour l'évol. sém., v. aussi Hollyman, pp. 162-164; d'où 2. a) 1135 « bas » (ibid., 1886); ca 1155 « laid (moralement) » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 1478); b) ca 1200 « laid (physiquement), qui déplaît à la vue » (Roman de Guillaume de Dole, éd. G. Servois, 268); c) mil. xiies. n'estre pas vilain de « se faire prier pour (servir Dieu) » (Jeu Adam, éd. W. Noomen, 594). Du lat. tardif villanus « habitant d'un village astreint à certains services » 779 ds Nierm., également att. comme adj. « du village, de la campagne » 864, ibid., « muni d'une tenure » ca 1050, ibid., dér. de villa, -ae, v. ville. Fréq. abs. littér.: 1 782. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 724, b) 3 183; xxes.: a) 3 781, b) 2 127. DÉR. 1. Vilainage, vilenage, villenage, subst. masc.,hist. (féod.). a) Condition, état du vilain. (Dict. xixeet xxes.). b) P. méton. Habitation, exploitation agricole du vilain; rentes que le roturier doit payer au seigneur. Les droits (...) de péage, de vilainage, de chevage (...) s'étoient venus joindre aux droits de justice (Chateaubr., Ét. ou Disc. hist., t. 3, 1831, p. 384).− [vilεna:ʒ]. Formes vilenage, villenage [vil(ə)na:ʒ]. − 1resattest. a) ca 1283 féod. vilenage « tenure de vilain tenue à cens » (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon,461), répertorié comme terme hist., b) 1842 (Ac. Compl.: Villenage. Condition des vilains, privés de l'exercice des droits civils), c) 1872 (Littré: vilainage. Habitation des serfs ou vilains); de vilain, suff. -age*. Cf. le lat. médiév. villenagium « tenure de vilain » ca 1185 ds Latham, villanagium 1198, ibid. 2. Vilainement, adv.a) [Corresp. à supra II A] D'une manière méprisable, basse. Trahir vilainement. Son prince enlève vilainement une femme (Giraudoux, Guerre Troie, 1935, II, 13, p. 188).b) [Corresp. à supra II C 1] D'une manière laide, déplaisante à la vue. Le papier vilainement damassé en grimaçante mosaïque blanchâtre marque peu de goût véritable (Amiel, Journal, 1866, p. 142).c) [Corresp. à supra II C 3] D'une manière dangereuse, inquiétante. Synon. pop. salement.Son cou, à deux endroits, était assez vilainement balafré (Gide, Caves, 1914, p. 831).− [vilεnmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. − 1reattest. ca 1180 vileinement (Thomas, Tristan, éd. J. Bédier, 1765); de vilain, suff. -ment2*. − Fréq. abs. littér.: 26. BBG. − Baldinger (K.). L'Importance de la lang. des doc. pour l'hist. du vocab. gallo-rom. Les Anc. textes rom. non littér. Paris, 1963, pp. 44-45. − Burgess (G. S.). Contribution à l'ét. du vocab. pré-courtois. Genève, 1970, pp. 35-43. − Hollyman 1957, p. 89, 145, 151, 155, 162-164. − Littré (É.). Pathol. verbale... [Paris], 1986, p. 93-94. − Quem. DDL t. 32. − Robreau (Y.). L'Honneur et la honte. Genève, 1981, pp. 181-188. |