| VIEILLIR, verbe A. − Empl. intrans. 1. [Le suj. désigne une pers.] a) [Relativement à l'avance normale du temps]
α) Prendre de l'âge, aller progressivement vers la vieillesse. Synon. avancer en âge*, prendre de la bouteille*.Vieillir de jour en jour. − [Sans compl.] Je vieillis, voilà les dents qui s'en vont, et les cheveux qui bientôt seront en allés. Enfin! pourvu que la cervelle reste, c'est le principal (Flaub., Corresp., 1853, p. 145).J'ignorais encore (...) cette diminution progressive qui s'appelle vieillir, et l'apaisement de tout instinct, et les abandons multiples par lesquels l'homme déchu de sa jeunesse devient le complice de sa propre mort (Green, Autre sommeil, 1931, p. 154). − Vieillir de + subst. indiquant l'obj. du vieillissement.Quand on vieillit de corps, et que l'âme reste jeune, on trouve difficilement quelqu'un avec qui l'on puisse s'entendre (Delécluze, Journal, 1827, p. 466). − En partic. Vieillir en subissant plus ou moins les assauts du temps et les altérations physiques et morales propres à la vieillesse. Vieillir bien, mal. Le duc de Guermantes, dont j'avais admiré, en le regardant assis sur une chaise, combien il avait peu vieilli bien qu'il eût tellement plus d'années que moi (Proust, Temps retr., 1922, p. 1047).
β) Avancer en âge, sans être vieux pour autant. C'était loin déjà ce temps-là qu'on était arpètes ensemble... Merde! Ce que ça vieillit vite un môme! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 475).
γ) DÉMOGR. [Le suj. désigne une population] ,,Comporter, proportionnellement, un nombre croissant de personnes âgées`` (Lar. Lang. fr.). Le dilemme croître ou vieillir, encore d'actualité pour certaines populations, ne comportera bientôt pour tous que le second terme de l'alternative (PressatDémogr.1979). b) [Relativement à certaines circonstances ralentissant ou précipitant les effets de la vieillesse]
α) [L'accent est mis sur la dégradation physique] Synon. se décatir, décliner, se décrépir.Vieillir rapidement, soudainement, à vue d'œil, d'heure en heure. Il y est resté, il y a vécu, il y a vieilli avant l'âge, il s'y est éteint (Senancour, Obermann, t. 1, 1840, p. 201). − Souvent p. exagér. Vieillir de dix ans, vingt ans... Il semblait qu'elle eût vieilli tout d'un coup de dix ans dans son agonie (Zola, Page amour, 1878, p. 1062).Je l'avais encore vue la semaine dernière. En trois jours elle a vieilli de dix ans (Péguy, Myst. charité, 1910, p. 93).
β) [L'accent est mis sur l'expérience acquise avec l'âge] Apprendre, c'est vieillir, disait-elle, et l'enfant Se nourrira trop tôt du fruit que Dieu défend (Desb.-Valm., Élégies, 1859, p. 5). − P. plaisant. − Alors, qu'est-ce que t'as fait? − J'ai vieilli (Queneau, Zazie, 1959, p. 253). c) [Le suj. désigne une partie du corps] Subir les effets du vieillissement
α) physique ou physiologique. Visage qui vieillit. L'activité de croissance des tissus diminue aussi avec l'âge. (...). Certains tissus (...) vieillissent plus vite que les autres (Carrel, L'Homme, 1935, p. 197).Ah! la belle vieille dame, la jeune vieille dame; et comme le corps sait dignement vieillir quand une âme le soutient (Colette, Pays connu, 1949, p. 109).
β) psychique. J'ai de pauvres idées comme une troupe d'oies dispersées. Et c'est le cerveau qui vieillit (Renard, Journal, 1910, p. 1231). d) P. ext.
α) S'attarder, rester longtemps au même endroit. Synon. fam. moisir.La tourmente approchait toujours. − Il ne faut pas vieillir ici, dit le guide (Toepfer, Nouv. genev., 1839, p. 350).
β) [Gén. sous la forme vieillir dans] Passer de longues années au même poste, occuper longtemps le même emploi. Cette gueuse de presse, malgré les dégoûts du métier, est une sacrée puissance, une arme invincible aux mains d'un gaillard convaincu... Mais, si je suis forcé de m'en servir, je n'y vieillirai pas, ah! non! (Zola, L'Œuvre, 1886, p. 175).Le journalisme est une école de bon sens (...) ceux qui ont vieilli dans ce métier apprennent à juger les événements et les hommes (L. Daudet, Brév. journ., 1936, p. 216). − Vieillir sous le harnois. Vieillir dans le métier des armes et, p. ext., dans toute autre fonction. Synon. blanchir sous le harnais*.Je compris enfin que c'était un vrai guide et n'eus pas honte de lui offrir vingt sous qu'il accepta avec l'indifférence d'un qui a vieilli sous le harnois (Renard, Journal, 1898, p. 501). 2. [Le suj. désigne un inanimé concr.] a) [Avec une valeur dépréc.]
α) Se dégrader, s'abîmer, s'user, se détériorer progressivement avec le temps. Ce coin avait cruellement vieilli. Il vit le mur rongé de mousse, le tapis d'herbe brûlé par la gelée, les tas de planches pourries par les eaux (Zola, Fortune Rougon, 1871, p. 310).La machine, quand l'homme n'est plus là pour la rafistoler, la régler, la badigeonner, vieillit à une allure vertigineuse. Ces voitures, ce soir, paraîtront âgées de mille années. Il me semble assister à l'agonie de la machine (Saint-Exup., Pilote guerre, 1942, p. 321).
β) Se démoder, être dépassé. « Madame, » tout vieillit vite en France; chaque jour ouvre de nouvelles chances à la politique et commence une autre série d'événements (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 58).Ces parquets de noyer brillant, ces tables massives qui pouvaient traverser les siècles sans se démoder ni vieillir (Saint-Exup., Courr. Sud, 1928, p. 35). b) [Sans valeur dépréc.]
α) [Le suj. désigne une chose] Prendre la patine du temps, en résistant aux atteintes du vieillissement. Grâce à elle, l'appartement modeste vieillissait sans trop déchoir (Colette, Gigi, 1944, p. 39).
β) [Le suj. désigne un végét.] Mûrir puis s'acheminer vers l'étape finale de dessèchement et de mort. Quand l'ortie est jeune, la feuille est un légume excellent; quand elle vieillit, elle a des filaments et des fibres comme le chanvre et le lin (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 206). − [Dans un cont. métaph.] La reconnaissance des gens (...) est un fruit qu'il faut cueillir à temps. − Si on le laisse vieillir sur l'arbre, il ne tarde pas à moisir (Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 847). c) Spécialement
α) [Le suj. désigne un alliage; corresp. à vieillissement C 1 a] Subir les effets du vieillissement. (Ds Peyroux Techn. Métiers 1985).
β)
ŒNOL. [Le suj. désigne un vin ou un spiritueux] Acquérir certaines qualités sous l'effet du temps ou des conditions spéciales de vieillissement et de conservation auxquelles le vin est soumis. Les grands vins vieillissent, mis en masses, sur pointe, dans les berceaux (Hamp, Champagne, 1909, p. 158). ♦ Faire vieillir (un vin, un alcool). Le soumettre à une des méthodes de vieillissement. On vient de découvrir une manière de coller les vins qui les fait vieillir de quatre ans en moins de quinze jours (Jouy, Hermite, t. 2, 1812, p. 156). d) LITT., LING., BEAUX-ARTS
α) Sortir progressivement de l'usage, tomber en désuétude. Sens, style qui vieillit. Ossian n'est plus guère à la mode (...). Je conçois que la forme de ses poèmes ait vieilli et que leur phraséologie semble désormais caduque (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 207).
β) Passer de mode, ne plus correspondre aux goûts et aux aspirations d'une époque plus moderne. Genre, ouvrage, peinture, texte qui vieillit/a vieilli. La musique de Cimarosa a vieilli. Les oreilles sont tellement façonnées au rythme saccadé des productions de Rossini que la largeur de son prédécesseur paraît être de la monotonie (Delécluze, Journal, 1825, p. 132).Relu des nouvelles de Balzac, non sans une grande admiration, mais ce qui a vieilli chez lui a mal vieilli (Green, Journal, 1948, p. 213). 3. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] a) Ne plus être adapté aux exigences et aux conditions de la vie moderne. Idée, science, société qui vieillit. Ce qui vieillit dans l'Église, ce sont les structures, édifiées par l'homme et périssables (Mauriac, Nouv. Bloc-Notes, 1960, p. 286). b) S'émousser, perdre de sa vigueur avec le temps. Notre amour vieillissait, un jour il mourrait sans avoir vécu (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 397). B. − Empl. trans. 1. [Le compl. désigne une pers.] a) Rendre (quelqu'un) (plus) vieux, accélérer le processus du vieillissement. Le chagrin, la douleur, l'épreuve, la fatigue, la maladie vieillit. Que veux-tu! Ça vous vieillit un homme que d'être dans la misère et d'avoir toujours soif! (Huysmans, Marthe, 1876, p. 130). − Vieillir de + nombre d'années.À la vérité, le contrecoup de cette grande résolution avait été de la vieillir de dix ans (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 437). − [Le compl. désigne une partie du corps] L'usage des stimulans vieillit nos organes (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 92). b) Faire paraître (quelqu'un) plus âgé qu'il ne l'est réellement.
α) [Le suj. désigne une circonstance précise, un détail physique ou vestimentaire] Il a des lunettes qui l'enlaidissent et (...) vieillissent beaucoup (Gyp, Souv. pte fille, 1927, p. 45).Ses cheveux étaient bien rangés mais elle n'avait pas dessiné ses sourcils et cette espèce de calvitie la vieillissait bizarrement (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 470).
β) [Le suj. désigne une pers.] Attribuer à une personne un âge supérieur à son âge réel. Le chroniqueur, qui me vieillit d'un an, me félicite d'avoir fondé des hôpitaux et des asiles dans l'Amérique du Sud (Larbaud, Barnabooth, 1913, p. 104). − PEINT. Rubens, dont la manière est très formelle, vieillit ses femmes et ses enfants (Delacroix, Journal, 1857, p. 16). 2. [Le compl. désigne un inanimé] a) Rendre plus vieux, dégrader ou patiner avec le temps. Des pierres blanches à grande taille, vieillies par le temps (Pesquidoux, Livre raison, 1925, p. 223). b) Spécialement
α) ÉBÉN., MAÇONN., MENUIS. Vieillir un bois, un meuble, un mur. Lui donner l'aspect du vieux en utilisant une technique spéciale. Les murs sont d'un crépi roussâtre qu'on a vieilli en y passant un jus (Morand, New-York, 1930, p. 180).
β)
ŒNOL. Vieillir un vin. Le laisser reposer et se bonifier avec le temps; le soumettre aux techniques de vieillissement des vins. Des scories semblables à celles que les restaurateurs inventent pour vieillir des bouteilles adultes (Balzac, Cous. Pons, 1847, p. 176). 3. Empl. pronom. réfl. [Le suj. désigne une pers.] a) S'habiller, s'arranger de manière à donner aux autres l'impression d'avoir un âge supérieur à son âge réel. Quel âge avait-elle? Quarante ans? Oui, quarante ans. − Elle n'était pas vieille, cette fille, elle se vieillissait. Je fus soudain frappé par cette remarque. Elle se coiffait, s'habillait, se parait ridiculement, et, malgré tout, elle n'était point ridicule (Maupass., Contes et nouv., t. 2, MllePerle, 1886, p. 630).Elle s'appelait Charlotte et défaisait pour se vieillir l'ourlet de ses robes qu'elle jugeait trop courtes (Green, Journal, 1934, p. 284). b) Tricher sur son âge réel en s'attribuant un âge plus avancé. − Savez-vous qu'ils sont rares, de nos jours, ceux qui atteignent la quarantaine sans vérole et sans décorations! Lilian sourit en haussant les épaules: − Pour faire un mot, il consent à se vieillir! (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1050). REM. 1. Vieillir, subst. masc.,rare, littér. Fait de vieillir, de prendre de l'âge. Il y a une joie dans le vieillir, s'écrie-t-il, (...) qui m'est révélée aujourd'hui (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 300). 2. Bien-vieillir, subst. masc.La clé du « bien-vieillir », c'est l'hygiène de vie physique et mentale (Le Point, 24 nov. 1980, p. 91, col. 1). 3. Savoir-vieillir, subst. masc.La retraite, comme le sexe, ça s'apprend en dix leçons. Les guides de la retraite heureuse et autres manuels du savoir-vieillir en témoignent (Le Nouvel Observateur, 2 mai 1977, p. 69, col. 2). Prononc. et Orth.: [vjeji:ʀ], [vjε-], (il) vieillit [vjeji], [-vjε-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1225 « prendre de l'âge (d'une personne) » (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 3581); b) 1559 « perdre de sa force (d'une passion) » (Amyot, Sylla, 15 ds Littré); c) 1647 « n'être plus guère en usage (d'un mot) » (Vaug., p. 129); d) 1812 en partic. d'un vin (Jouy, loc. cit.); 2. a) 1225-30 trans. (Guillaume de Lorris, Rose, éd. F. Lecoy, 385: li tens, qui tot a emballie de gent vellir, l'avoit vellie si durement); b) 1872 (Littré: Vous me vieillissez, je n'ai pas encore soixante ans); 3. a) ca 1542 « trouver le temps long, s'ennuyer (cf. se faire vieux) » (Marot, Colloque d'Erasme, éd. C. A. Mayer, t. 6, p. 268); b) 1560 « demeurer longuement, passer du temps à quelque chose » (J. Grévin, L'Olimpe ds Théâtre, éd. L. Pinvert, p. 266: vieillir sur un livre). Dér. de vieil, v. vieux , dés. -ir; cf. 1160-74 viescir « s'user (en parlant de tissu) » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 134) dér. de viez (lat. vetus), v. vieux. Fréq. abs. littér.: 1 035. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 270, b) 1 341; xxes.: a) 1 448, b) 1 727. |