| * Dans l'article "UTOPIE,, subst. fém." UTOPIE, subst. fém. A. − SOCIOPOLITIQUE 1. Plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale, qui réaliserait le bonheur de chacun. Dégager de tout la vertu, construire des utopies, déranger le présent, arranger l'avenir (...) c'est la liberté de l'Allemand. Le Napolitain a la liberté matérielle, l'Allemand a la liberté morale (Hugo, Rhin, 1842, p. 474).Quand un Thomas More ou un Fénelon, un Saint-Simon ou un Fourier construisent une utopie, ils contruisent un être de raison, isolé de toute existence datée, et de tout climat historique particulier (Maritain, Human. intégr., 1936, p. 140). 2. P. ext. Système de conceptions idéalistes des rapports entre l'homme et la société, qui s'oppose à la réalité présente et travaille à sa modification. Le peuple remplira tout à la fois le rôle de prince et celui de souverain. Voilà en deux mots l'utopie des démocrates, l'éternelle mystification dont ils abusent le prolétariat (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 315).En opposant ainsi idéal historique concret et utopie, nous ne méconnaissons pas, du reste, le rôle historique des utopies (Maritain, Human. intégr., 1936, p. 140). 3. P. méton. a) Gén. au plur. Idées qui participent à la conception générale d'une société future idéale à construire, généralement jugées chimériques car ne tenant pas compte des réalités. Utopies sociales, humanitaires. Le socialisme ne finira pas. Mais sûrement le socialisme qui triomphera sera bien différent des utopies de 1848 (Renan, Avenir sc., 1890, p. xv). Il s'apercevait brusquement du degré d'impréparation dans lequel l'avait plongé une longue période d'utopies pacifistes (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 58). b) Ouvrage qui conceptualise une société idéale à construire. Il y a quelques années, Kautsky écrivait la préface d'une utopie passablement burlesque (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 206).Ils y rédigent d'orgueilleuses biographies ou, comme Fourier, des utopies fastueuses (Mounier, Traité caract., 1946, p. 553). B. − Au fig. Ce qui appartient au domaine du rêve, de l'irréalisable. Synon. chimère, fiction, illusion, rêve.Rodolphe ganté, avec une canne, chimère! utopie! quelle aberration! Rodolphe frisé! (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 264).Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation: l'homme? Le principe: « Aime ton prochain » est une hypocrisie. « Connais-toi » est une utopie mais plus acceptable car elle contient la méchanceté en elle. Pas de pitié. Il nous reste après le carnage l'espoir d'une humanité purifiée (Tzara, Manif. Dada, 1918, p. 17). − [Avec ell. du déterm.] Un nouvel équilibre devait être trouvé qui permît de libérer les capacités d'initiative et de responsabilité des salariés en leur reconnaissant des droits nouveaux. Était-ce utopie? (Reynaud, Syndic. en Fr., 1963, p. 223). REM. Utopien, -ienne, adj. synon. vieilli de utopique.Toutes tes pensées n'ont jamais eu pour objet (...) que la liberté politique et individuelle des citoyens, une constitution utopienne (Desmoulinsds Vx Cordelier, 1793-94, p. 214, note 1). Prononc. et Orth.: [ytɔpi]. Att. ds Ac. dep. 1762; 1762, 1798 avec majuscule; dep. 1835 avec minuscule; Littré avec majuscule au sens de Pays imaginaire et avec minuscule au sens fig. de Plan d'un gouvernement et de projet imaginaire; Rob. 1985 majuscule pour Pays imaginaire et Plan de gouvernement mais minuscule pour idéal politique et pour conceptions chimériques. Étymol. et Hist. 1. a) 1532 nom d'un pays imaginaire (Rabelais, Pantagruel, chap. 2, éd. V.-L. Saulnier, p. 17); b) 1550 (Bonivard, Anc. et nouv. police de Genève, p. 37 ds Littré: la malice que havons de Adam pour heritage s'est treuvee tousjours à Geneve comme ailleurs [...] si qu'il ne fault chercher ronds et entiers plaidoieurs qui par cavillations ne prolongent les procez, sinon en utopie); c) 1580 (Du Verdier, Biblioth. Franç., III, 210 cité ds Les Utopies à la Renaissance, p. 150: La République d'Utopie, œuvre grandement utile, démontrant le parfait état d'une bien ordonnée police, traduite du latin de Thomas More, chancelier d'Angleterre, lequel sous une feinte narration d'une nouvelle isle d'Utopie, a voulu figurer une morale République et très parfaite police); 2. a) 1821 (Saint-Simon, Du syst. industr., t. 3, p. 30: Les hommes seront aussi heureux que leur nature puisse le comporter et la science politique aura réalisé ce que, jusqu'à ce jour, on n'avait considéré que comme une utopie); b) 1846 (Proudhon, op. cit., p. 40: l'utopie socialiste; p. 43: l'utopie platonique; p. 48: l'utopie communiste); c) 1855 (Sand, Hist. vie, t. 3, p. 32: J'exposais naïvement mon utopie à Deschartres). Empr. au lat.utopia (formé du gr. ο
υ
̓ nég. et τ
ο
́
π
ο
ς « endroit, région ») nom donné par l'humaniste et homme d'État angl. Thomas More [1478-1535] à une île imaginaire jouissant d'un système soc. et pol. idéal, dans un ouvrage paru en lat. en 1516, trad. en fr. en 1550 (la trad. angl. date de 1551; l'angl. utopia est att. en 1734 au sens de « plan idéal et irréaliste, dans le domaine social », v. NED). Sur la notion d'utopie v. Les Utopies à la Renaissance, Presses universitaires de Bruxelles, Presses universitaires de France, 1963; J. Servier, Histoire de l'Utopie, 1967; C. G. Dubois, Problèmes de l'utopie, Archives des lettres modernes, 1968, no85; R. Ruyer, L'Utopie et les utopies, 1950. Fréq. abs. littér.: 277. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 159, b) 555; xxes.: a) 424, b) 489. DÉR. Utopisme, subst. masc.,synon.La gloire de Marx est d'avoir été le plus net, le plus puissant de ceux qui mirent fin à ce qu'il y avait d'empirisme dans le mouvement ouvrier, à ce qu'il y avait d'utopisme dans la pensée socialiste (Jaurès, Ét. soc., 1901, p. XI).− [utɔpism̭]. − 1reattest. 1901 id.; de utopie, suff. -isme*; cf. angl. utopism (1888, v. NED). BBG. − Dub. Pol. 1962, pp. 440-441. − Quem. DDL t. 11 (s.v. utopien), 12 (id.). − Utopie... utopies. Mots 1993, no35, 127 p. − Vardar Soc. pol. 1973 [1970], p. 315. |