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TRÈS, adv.
Adv. non prédicatif marquant l'intensité forte devant un mot susceptible de recevoir une gradation.
Rem. ,,Le mot très recouvre un être de langue qui est déficient du côté de la matière et ne constitue qu'une forme imposée à la matière fournie par l'adjectif (...) comme est le signe d'une forme le suffixe de superlatif qui dans certaines langues (cf. ital. -issimo) vient s'ajouter au radical de l'adjectif`` (G. Moignet, Ét. de psycho-systématique fr., Paris, Klincksieck, 1974, p. 145).
A. − [Devant un adj.] Vinrent huit petits cochons (...) ils luttaient entre eux, arc-boutés comme des chèvres, et leurs très petits pas étaient précipités (Jammes, De l'angélus, 1898, p. 115).Où ai-je déjà vu ce menton net et ce regard froid, et ces cheveux très blonds lissés en bandeaux? (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 109).Il y avait (...) un voyou très « modern' style » qui ressemblait à une bottine jaune (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 132).
[Dans un titre (souvent avec une majuscule) pour qualifier une pers. (ou un pays) auxquels on attribue une certaine prééminence] La Très Sainte Mère l'Église; la Très Sainte Vierge Marie; sa Très Gracieuse Majesté. Louis XVIII était affligé de la froideur avec laquelle l'ambassadeur de Sa Majesté Très Chrétienne avait été reçu (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 97).
[Dans les formules de politesse] Je suis, Monsieur, votre très humble et très dévoué (Flaub., Corresp., 1872, p. 35).
[Précédé de très, l'adj. de relation prend une valeur caractérisante] C'est un défaut très féminin d'aller d'une exagération à l'autre (Frapié, Maternelle, 1904, p. 224).Mais qu'entend-on par une personne ou une chose très parisienne ? (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 171).
Rem. 1. Très, qui permet de représenter la qualité à son degré le plus élevé sans compar. avec d'autres (superl. abs.), est en principe exclu devant un adj. compar. (meilleur, moindre, pire) ou devant un adj. qui ne peut recevoir une gradation (infime, essentiel) ou qui a la valeur d'un superl. (excessif, extrême, primordial, supérieur). On peut noter toutefois qq. ex. de ces empl.: Avant de quitter Paris, il était très essentiel de s'assurer de quelques moyens d'influence (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 311). Heine a tous les défauts d'un journaliste très supérieur (Du Bos, Journal, 1927, p. 199). Vous êtes sans doute trop orgueilleuse pour me faire, à moi très infime, l'honneur d'une scène de jalousie (Duhamel, Cécile, 1938, p. 164). 2. Très fonctionnait, d'apr. Littré, comme un élém. de compos. indiquant une qualité supérieure: C'est une assez grande île, où l'on trouva du bois, de l'eau, des rafraîchissemens, et des habitans très-pacifiques (Voy. La Pérouse, t. 1, 1797, p. 103). À la très-chère, à la très-belle Qui remplit mon cœur de clarté (...) Salut en l'immortalité (Baudel., Fl. du Mal, 1867, p. 268).
B. − [Devant un adv.] Et le grand soleil équatorial buvait très vite toute cette eau tombée sur nous (Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 71).Il parlait très curieusement et très abondamment d'un retable qu'il venait de voir (Goncourt, Journal, 1894, p. 680).
C. − [Devant un subst. non déterminé en fonction d'adj.] J'étais un enfant très enfant, un petit garçon garçonnant, un petit animal vif et joyeux (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 234).Très modecol lacet mélangé argent et or (Catal. jouets (Louvre) 1936).
[Le subst. est précédé d'un adj.] Un régime de république suisse, esprit radical et très petit bourgeois (Maurras, Kiel et Tanger, 1914, p. 86).
[Le subst. est suivi d'un compl. déterminatif] Je la trouvai très « femme du monde », et ce grade, que je lui décernai d'emblée, ne m'emballa pas sur elle (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 82).
[Devant un nom propre] Très Ève, « éternel féminin »; elle est belle (Gide, Voy. Congo, 1927, p. 759).Le ton est très Rilke, et me faisait penser à sa voix (Larbaud, Journal, 1934, p. 278).
D. − [Devant un groupe prép. en fonction d'attribut] Le docteur est très en verve ce soir (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 139).Les sièges formaient là un endroit retiré très hors du monde (Jouve, Scène capit., 1935, p. 241).La marche chantée était très en faveur dans l'armée allemande (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 263).
E. − [Empl. improprement dans une loc. verb. formée d'un auxil. ou d'un verbe support (avoir, être, faire, prendre...) et d'un subst. abstr. désignant des ,,sensations ou des sentiments à l'état brut: faim, soif, froid, chaud, sommeil, mal, peur, envie, plaisir, honte, hâte...`` (G. Moignet, op. cit., p. 154); empl. critiqué] Un jour, elle se retrouva dans son lit, bien faible, ayant très faim (A. France, Jocaste, 1879, p. 74).Il faut que nous fassions très attention, il faut que nous soyons très prudents (Guitry, Veilleur, 1911, iii, p. 19).
[Dans une loc. à la forme impers. désignant un phénomène météor.] Cosette pensait donc qu'il était nuit, très nuit, qu'il avait fallu remplir à l'improviste les pots et les carafes dans les chambres des voyageurs (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 462).Dans la rue, il faisait très doux, déjà l'on pressentait les caresses de juin, malgré l'heure tardive (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 324).
F. − [Devant un part. passé]
1. [Le part. passé est pris adj.] Son domestique par derrière, très enveloppé de manteaux (Nerval, Voy. Orient, t. 1, 1851, p. 9).De grands triangles de pâte très feuilletée où se niche un œuf mollet (Gide, Journal, 1943, p. 169).
2. [Très renforce le procès exprimé par le part. passé qui conserve une valeur verbale passive] Cette dernière chanson fut très applaudie par les inconnues (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 235).La rivière est très grossie par les pluies précédentes (Maine de Biran, Journal, 1816, p. 249).
En partic.
[Si le procès exprimé par le verbe est réitérable, la gradation porte soit sur le nombre d'agents effectuant le procès, soit sur le nombre de fois que chacun de ces agents effectue le procès] On risquait (...) à traverser un carrefour très fréquenté (Camus, Peste, 1947, p. 1335).Cette passerelle est très utilisée par Marie et Jean. Cette passerelle est très utilisée, quotidiennement, une fois à l'aller une fois au retour (J. Authier, Note sur l'interprétation sémantique de « très + participe passé passif »ds Cah. Lexicol.1980, no37, p. 28).
[L'obj. (suj. du passif) peut désigner un type, un modèle...] Cette maison est très construite par ici. Ce modèle a été très vendu (J. Authier, Note sur l'interprétation sémantique de « très + participe passé passif »ds Cah. Lexicol.1980, p. 30).
[Avec un verbe de sentiment, très porte sur la force du sentiment éprouvé par une pers. donnée ou sur la quantité de pers. éprouvant ce sentiment] Mais il est aimé, très aimé, souvent aimé (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 359).
[Très peut marquer qu'une partie importante de l'obj. (suj. du passif) est affectée par le procès] Des souvenirs qui datent de si loin (...) sont très-brisés dans ma mémoire, et ce n'est pas ma mère qui eût pu m'aider par la suite à les enchaîner (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 187).Ma jambe! (...) La carne!Était-elle très abîmée! (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 147).
Rem. 1. Très peut être empl. absol., spéc. dans la reprise d'un discours où l'on omet de reprendre le terme modifié par l'adv.: Henriette: Denis est très intelligent! Gabrielle: Très! Henriette: Il sait un tas de choses (Bernstein, Secret, 1913, I, 5, p. 8). − (...) Elle est très habile.Très! soupira Elsa (Sagan, Boujour tristesse, 1954, p. 94). 2. Très est fréq. repris pour en renforcer l'intensité: On y buvait du petit vin blanc très... très passable (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 159). Il est vrai que la dame a plus de cinquante ans, mais elle est très-très riche (Lorrain, Modern., 1885, p. 106).
Prononc. et Orth.: [tʀ ε] devant cons., [tʀ εz] devant voy. ou h muet: très belle [tʀ εbεl], très agréable [tʀ εzagʀeabl̥]. Ac. 1694: tres; 1718: trés ; dep. 1740: très. Ac. 1694: tres-bon, tres-mauvais, tres-bien et 1740-1835: très-bon, très-mauvais, très-bien. V. aussi Littré: ,,Se joint à un adjectif, à un participe et à un adverbe; on unit ces deux mots par un trait d'union; du moins c'est l'usage du Dictionnaire de l'Académie``. Rob. 1985 explique cette façon d'écrire par l'orig. préf. de très: ,,Son caractère originel de préfixe a longtemps subsisté dans l'orthographe: il est accolé au mot dans le Dictionnaire de R. Estienne (tresbon, treslong etc.), et on l'a lié ensuite au mot par un trait d'union (très-bon), que l'imprimeur Didot fut le premier à supprimer, suivi par l'Académie en 1877``. On a, effectivement, très bon, tres bien ds Ac. 1878 et 1935 mais 1718 écrit déjà: trés bon, trés bien. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 placé devant un adj. ou un autre adv. pour marquer le superl. abs. (Alexis, éd. Chr. Storey, 547); 2. 2emoit. xiiies. devant un nom empl. comme adj. ou devant une loc. à valeur adj. (Gaufrey, 292 ds T.-L.); 3. ca 1225 dans des loc. verb. d'état comp. de avoir et d'un subst. (Gautier de Coincy, Mir. Vierge, éd. V. F. Koenig, II Mir 26, t. 4, p. 269: J'ai si tres soif); 4. ca 1450-65 empl. dans les réponses avec ell. de l'adj. ou de l'adv. (Charles d'Orléans, Rondeaux ds Œuvres, éd. P. Champion, t. 2, p. 347); 5. 1668 devant un subst. (Racine, Plaideurs, II, 4); 6. 1715 s'emploie devant un part. à valeur verbale de passif (A. Lesage, Gil Blas, éd. M. Bardon, t. 2, L. XII, ch. VIII, p. 336, éd. Garnier 1962). Du lat. trans « au delà de, par-delà », « par-dessous, de l'autre côté de », qui pouvait comme préverbe avoir le sens de « de part en part, complètement » d'où son empl. comme adv. superl. passé très tôt en a. fr. Très est parfois encore prép. en a. fr. et jusqu'au xvies. au sens de « jusqu'à, dès, depuis, auprès, derrière... » (v. Gdf., T.-L. et FEW t. 13, 2, pp. 197b-199) et a formé de nombreuses loc. tres puis, tres or, etc. Fréq. abs. littér.: 68 535. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 74 526, b) 105 566; xxes.: a) 118 891, b) 99 810. Bbg. Authier (J.). Note sur l'interprétation sém. de « très + participe passé passif ». Cah. Lexicol. 1980, t. 37, no2, pp. 25-33. − Blanc (B.). Ét. de la combinaison très + participe passé passif. Mém., Paris III, 1978, 83 p. − Darm. 1877, p. 146. − Gaatone (D.). Obs. sur l'oppos. très-beaucoup. R. Ling. rom. 1981, t. 45, pp. 74-95. − Gohin 1903, p. 340. − Le Flem (D. C.). Syst. de la compar. en fr. contemporain... Congrès Internat. de Ling. et Philol. Rom. 14. 1974. Naples. Napoli; Amsterdam, 1979, pp. 493-517. − Michaëlsson (K.). Neuphilol. Mitt. 1943, t. 44, pp. 108-112. − Schwarz (Ch.). Zur kategorialgrammatischen Klassifierung von neufr. très. Papiere zur Linguistik. 1977, pp. 17-185. − Togeby (K.). Gramm. fr. vol. 4: les mots inv. Copenhague, 1984, pp. 183-186.