| TOI, pron. pers. Pronom personnel tonique de la deuxième personne du singulier; permet au locuteur de situer le procès en dehors de lui-même et de le rapporter à un interlocuteur qu'il désigne comme sujet ou comme objet. I. − Pron. prédicatif A. − Empl. prép. [Après une prép. (ou après une loc. prépositive) à l'exception des prép. temp. dès, durant, pendant, passé, aussitôt] − C'est que je voudrais ne pas te fâcher. − Si tu gardes tes questions par-devers toi, je me fâcherai bien davantage (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1151): 1. Aucun de mes serviteurs, hors toi, ne doit passer la nuit dans l'hôtel. Tu leur remettras les gages de trois années, et qu'ils se retirent. − Puis, tu fermeras la barre du portail; tu allumeras les flambeaux en bas, dans la salle à manger; tu nous suffiras. − Nous ne recevrons personne à l'avenir.
Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 27. 1. À toi a) [Toi fournit le cas régime prép.] − [des verbes ou des loc. verb. constr. avec la prép. à (je pense à toi)] Robert donne le change à l'abbé, à ta mère, à toi, et, je le crains bien, à lui-même, ce qui est encore plus grave! (Gide, École femmes, 1929, p. 1263).J'ai pensé à toi beaucoup plus souvent qu'au mètre de platine. Il n'y a pas de jour où je n'aie pensé à toi. Et je me rappelais distinctement jusqu'au moindre détail de ta personne (Sartre, Nausée, 1938, p. 175). − [des verbes à double constr.] :
2. Et pourtant, ce n'est pas la joie insidieuse
D'une aimable couleur
Qui me rattache à toi, mais l'ombre pluvieuse
Qui te vêt de malheur:
C'est par elle qu'ainsi le sens de ma nature
Au tien a répondu,
Elle qui d'Apollon l'esprit plein d'imposture
A du coup confondu.
Moréas, Stances, 1901, p. 122. − [des verbes réfl.] ♦ [Toi est renforcé par même] Il aura donc fallu que tu inventes un langage pour te parler à toi-même (J. Bousquet, Trad. du sil., 1935, p. 12). ♦ [Le verbe réfl. est conjugué à une pers. autre que la seconde (nous nous présenterons à toi, ils se présenteront à toi)] Elles s'habitueront à toi. Elles ne piquent que ceux qui ont de mauvaises idées en tête (Pourrat, Gaspard, 1931, p. 33).Bah! Tu m'as toujours eu l'air d'un brave homme. Autant m'en rapporter à toi là-dessus (Bernanos, Dialog. Carm., 1948, 5etabl., 2, p. 1694). b) [Dans des formules de bienvenue, de salutation] Embrasse tes fils de ma part et à toi, ma chère Laure, avec deux très longues poignées de main, la meilleure pensée de ton vieil ami (Flaub., Corresp., 1863, p. 74).Si intéressant est le défilé des fantômes. « Salut, à toi! salut! (...) » (Jacob, Cornet dés, 1923, p. 36). c) [À toi marque le terme d'un mouvement (je vais à toi)] Tu m'interroges comme l'on interroge le voyageur. Moi qui éprouve, comme chacun, le besoin d'être reconnu, je me sens pur en toi et vais à toi (Saint-Exup., Lettre otage, 1943, p. 404).Ma gratitude, mon amour sont donc allés à toi, qui habitais ma maison, que j'ai vu partir si souvent dans la nuit pour prendre un avion qui n'était jamais là (Mauriac, Mal Aimés, 1945, p. 151). d) [Empl. après le verbe être, à toi marque l'appartenance (c'est à toi)] À présent je te félicite!... Tu vas entrer dans la vie!... L'avenir est à toi!... (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 158): 3. − Ça suffit? − Bien sûr. Quand tu trouves un diamant qui n'est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n'est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter: elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n'a songé à les posséder.
Saint-Exup., Pt Prince, 1943, p. 450. e) [Empl. dans les tours présentatifs c'est à toi de..., c'est à toi que...] Le monde où je te place ne fut pas fait pour toi, et cependant je t'en accorde l'usage; tu le trouveras mêlé de biens et de maux: c'est à toi de les distinguer; c'est à toi de guider tes pas dans des sentiers de fleurs et d'épines (Volney, Ruines, 1791, p. 41).Ils sont auprès d'une pyramide, et j'y lis le nom de l'éloquent et généreux Malesherbes. C'est à toi qu'elle est consacrée, ministre du plus vertueux des rois, défenseur du meilleur des hommes (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p. 1621). − [Avec ell. du verbe] À toi seulement de veiller à ce qu'il ne tire pas à lui, après, toute la couverture (Benoit, Atlant., 1919, p. 58).Alors, M. Paul crie: « À toi, Dantès! » La bête revient, tente une autre issue: « À toi, Piquemil. » Nouveau retour, nouvel avertisse-ment: « À toi! Taillemagre! » (Pesquidoux, Chez nous, 1923, p. 9). f) [À toi marque la possession (un disque à toi) ou la renforce (ton disque à toi)] Enfin, la vieillesse, ta vieillesse à toi, vieux lion au milieu des crinières des ânes! (Bloy, Journal, 1904, p. 230).C'est dans tes rêves à toi que mon visage grimace, quand tu crains la foudre cent fois méritée. Tu t'éveilles par la terreur même, et tu reconnais mon vrai visage, mon rassurant visage, qui ne blâme ni ne menace (Alain, Propos, 1929, p. 875): 4. − Je voudrais parler à Laurence Decoin. Alors son interlocuteur devint presque féroce. − Et encore quoi?... De la part de qui, s'il vous plaît, jeune homme?... − D'un ami... − Vraiment?... Laurence!... cria-t-il à la cantonnade. Viens ici, que je te présente un ami... Un ami à toi, paraît-il...
Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 65. g) [Entrant dans la constr. de nombreuses loc.] ♦ Être à tu* et à toi ♦ Libre à toi. Inutile, Simon, de t'encourager au travail. Ou tu travailleras, ou tu te passeras de pain. Cela est ton affaire et je ne m'en mêlerai plus. S'il te plaît de mourir au pied d'une borne kilométrique couvert de haillons, libre à toi (Giraudoux, Simon, 1926, p. 7). ♦ Gare à toi. Tant que Mars sommeille, cela prouve que vous ne le piquez pas bien avant; si vous enfoncez la pointe, eh bien, voilà qu'il s'éveille, ce roi des dieux et des hommes. Gare à toi, fantassin! Je mesure le dieu; et même je l'admire (Alain, Propos, 1922, p. 421). ♦ Quant à toi. − Les timides! Je commence à les connaître. Il y en a qui sont incurables, même par la méthode des exercices. Ce sont les sadiques de la timidité. Ils doivent y prendre plaisir. D'autres sont de faux timides. Une leçon, deux leçons, et ils deviennent comme des lions. Vous ne dites rien, mes garçons. − J'écoute, fit Joseph, bourru. Je ne pense pas, en tout cas, que ce n'est pas intéressant. − Et quant à toi, Laurent, poursuivit le docteur, tu juges sûrement que tout cela ce n'est pas très scientifique (Duhamel, Combat ombres, 1939, p. 46). 2. De toi a) [Empl. comme attribut (l'idée est de toi)] − C'est de toi, ces jolis vers? − Penses-tu! − dit-elle gaminement (Gide, Geneviève, 1936, p. 1407). b) [Empl. comme compl. de l'adj. (las de toi)] Je... vais... recommencer... parce que... parce que... je suis fou de vous... de toi... Célestine... parce que je ne pense qu'à ça (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 86). c) [Empl. comme compl. de nom, à la place de l'adj. possess. quand celui-ci n'est pas de mise (voici une belle lettre de toi)] J'ai pensé que cette petite croix que tu aimais, une fille de toi la porterait un jour en souvenir de moi, oh! sans savoir de qui... Et peut-être pourrais-tu aussi lui donner... mon nom... (Gide, Porte étr., 1909, p. 577).Aimer en d'autres le peu de toi qu'elles contiennent (Maurois, Climats, 1928, p. 139). d) [Empl. avec des verbes constr. à l'aide de la prép. de (je m'éloigne de toi)] La nuit de ton arrivée à Alexandrie on m'a parlé de toi; et depuis il ne s'est pas écoulé un seul jour où l'on ne m'ait prononcé ton nom (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 50).Cher pays, cher pays, jamais je ne douterai de toi! (Rolland,J.-Chr., Maison, 1909, p. 986).Depuis ce sombre enfant que j'étais là-bas, C'est à peine si je me souviens de toi (Jouve, Trag., 1922, p. 49). e) [Comme point de départ d'un mouvement, d'une relation] Pardonne, acacia, c'est vrai, je tombe dans la même erreur, je veux créer un rapport des poètes à toi, il n'y en a pas, mais il y en a de toi sur les poètes, vous les inspirez (Barrès, Cahiers, t. 2, 1898, p. 47). − [Avec mise en relief par c'est... que] Car si j'ai un peu de bonheur à ramasser dans ce désert, c'est de toi qu'il me viendra, de toi seule! (Lenormand, Simoun, 1921, 4etabl., p. 47). 3. Chez toi.Dans ta maison, dans ton foyer, dans ton pays. J'apporterais bien l'habit dans un paquet pour m'habiller chez toi, et repasser ma redingote en sortant, sacrebleu, ne ris pas, mais il n'y a que toi pour me plonger dans des situations pareilles (Villiers de L'I.-A., Corresp., 1869, p. 125).Qu'est-ce que tu fais chez toi? (Lavedan, Beaux dimanches, Paris, Calmann Lévy, 1898, p. 160). 4. Littér. [Toi, précédé des prép. à, de, par, est placé devant un part. passé ou un adj.] Vertu de l'idéal, c'est toi qui donnes la victoire aux faibles, par toi devenus forts (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 395): 5. Près des sources, sous les branches,
Que n'es-tu pas occupé
Du matin au soir à faire
Résonner comme naguère
Un roseau par toi coupé!
Moréas, Iphigénie, 1900, ii, 1, p. 54. B. − [En fonction de suj. prédicatif] 1. [Toi est obligatoirement repris par le pron. conjoint tu] Toi, qui m'as rendu malheureux (s'il est vrai que j'aie été aimé!), peut-être un jour verras-tu cette histoire: je n'y ai dit que l'exacte vérité (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 128).Toi, tu ne sais rien, lui dit du Tillet (Balzac, Mais. Nucingen, 1838, p. 647).Toi, Laurent, tu n'es pas homme à te dérober devant le devoir (Duhamel, Maîtres, 1937, p. 22). 2. [Tu peut cependant ne pas être exprimé] a) [lorsque toi est renforcé par même, seul et aussi] Toi seule ne passes pas, immortelle musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1431).Être aimé, c'est avoir la certitude qu'il y a au monde quelqu'un en qui toujours tu pourras te reposer, quelqu'un qui t'aimera encore quand toi-même ne pourras plus te supporter, quand toi-même ne pourras plus t'aimer (Guéhenno, Journal « Révol. », 1938, p. 103): 6. ... il m'en parla, tout autrement qu'il désirait m'entendre parler du sien: « J'ai su que toi aussi, me dit-il, avais fait un article. Mais je n'avais pas cru devoir t'en parler, craignant de t'être désagréable, car on ne doit pas parler à ses amis des choses humiliantes qui leur arrivent (...) ».
Proust, Fugit., 1922, p. 590. Rem. L'usage de toi-même et de toi seul, sans la forme conjointe tu auprès du verbe, semble cour. mais littér.; la reprise, même dans le cas où toi-même ou toi seul précèdent le verbe, est également fréq.: Toi-même, tu le disais: il faut que ça pète! (Zola, Germinal, 1885, p. 1340). b) [lorsque toi est empl. en coordination avec un autre pron. prédicatif ou avec un subst.] « C'est vrai, Catherine, » insista l'officier, « que le professeur et toi avez organisé l'ambulance idéale, dans ce décor de boiseries peintes, avec ce jardin si frais, ces beaux vieux arbres, ces pelouses vertes, ces massifs de fleurs sous toutes les fenêtres » (Bourget, Sens mort, 1915, p. 56): 7. Nous deux, j'insiste sur ces mots, car aux étapes de ces longs voyages que nous faisions séparément, je le sais maintenant, nous étions vraiment ensemble, nous étions vraiment, nous étions, nous. Ni toi, ni moi ne savions ajouter le temps qui nous avait séparés à ce temps pendant lequel nous étions réunis, ni toi, ni moi ne savions l'en soustraire.
Éluard, Donner, 1939, p. 44. c) [En dehors de ces cas, l'omission du pron. conjoint est exceptionnelle (un élément tonique vient s'insérer entre toi et le verbe)] Des littérateurs... Non, me répondit-il, je n'aime pas, tu le sais, ces réunions nombreuses où l'on ne fait que causer; et je croyais que toi, de même y étouffais (Gide, Paludes, 1895, p. 112).Oui, beaux yeux, si ma vue vous a laissé le même émoi, l'amour, l'amour parfait vivra, nous l'aurons engendré ensemble! Mais si toi, aveugle dieu, t'es servi de flèches différentes, ne te presse pas de triompher (Camus, Chev. Olmedo, 1957, i, p. 719). 3. [Empl. devant un part. ou un inf., toi est seul à pouvoir fournir le suj.] Il n'y a véritablement de problème que quand la tentation est reconnue, quand Jupiter et Alcmène sont face à face, « moi sachant ta vertu, toi sachant mon désir » (Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 383): 8. M. de Coantré ne comprit pas la signification de ce grognement, qui était: « Toi, travailler! Tu ne trouveras rien, parce que tu es un incapable. Et tu retomberas sur les bras de mon frère Octave, et ce qu'il sera obligé de faire pour toi, ce sera autant qu'il ne fera pas pour moi. »
Montherl., Célibataires, 1934, p. 748. 4. [Ne renforçant ni le suj., ni le régime, toi peut servir de thème] Voyons, reprit le jeune homme en souriant. Moi, c'est Jean..., Jean Lévesque. Et toi, je sais toujours bien pour commencer que c'est Florentine (Roy, Bonheur occas., 1945, p. 10). − [Placé devant ou derrière un inf., il peut également lui servir de thème] Tu m'as contraint d'être faible, pour pouvoir, toi, être fort (Duhamel, Deux hommes, 1924, p. 229). C. − [En fonction d'attribut] Pourtant l'unité qui est toi te fuit et s'échappe: cette unité ne serait qu'un sommeil sans rêves si le hasard en disposait suivant ta volonté la plus anxieuse (G. Bataille, Exp. int., 1943, p. 147): 9. Je cherche les endroits où ta robe est allée,
Où flotte un souvenir de ta jupe envolée,
Où je retrouve encor dans l'air je ne sais quoi
Qui me fait palpiter le cœur, et qui fut toi.
Samain, Chariot, 1900, p. 103. D. − [Toi est empl. except. en fonction d'attribut de l'obj. ou bien de compl. d'obj. dir., ou encore de suj. réel] Et je t'en prie encore, si tu m'aimes [dit Blanche à Sibylle], appelle-moi toi, comme je t'appelle (Feuillet, Sibylle, 1863, pp. 221-222).Sois tranquille, ce mot « bistro » N'attaque toi ni ton commerce, Pourquoi crier comme un blaireau? (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 17).De ces trois ans, dans ces pays, j'ai pas dit vingt mots de plus que le nécessaire pour se faire manger et boire. Il a fallu toi et aussi parce que c'est l'heure. Je vais tourner le dos à cette terre, je vais remonter à Baumugnes et, là-haut, c'est fini (Giono, Baumugnes, 1929, p. 27). E. − Autres empl. appos. [Toi permet de mettre en relief] − [Coordonné à un subst. ou à un autre pron. prédicatif, il peut être en appos. à vous ou à nous (on dans la lang. pop.) dont il facilite l'interprétation] Ni toi, ni moi, nous ne savons le nom de cette petite que Bonaparte emmena, par une nuit de novembre, dans sa chambre, à l'hôtel de Cherbourg (Schwob, Monelle, 1894, p. 10).Compositeurs, virtuoses, chefs d'orchestre, chanteurs, et toi, cher public, vous saurez une bonne fois qui vous êtes... Soyez tout ce que vous voudrez; mais par tous les diables! soyez vrais! (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 435).Rappelle-toi, me dit-il entre deux bouffées de pipe, quand toi et moi on est parti... On disait: « Au moins, on ne les fera pas nos trois ans! » (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 20). − [Si le verbe est à l'impér. positif, le suj. n'est pas exprimé mais il est contenu dans le verbe de telle sorte que toi peut être interprété néanmoins comme une appos.] Il y avait des médecins pour les chiens, mais il n'y en avait pas pour elle. Crève donc, toi et ton petit! Elle se souvenait d'avoir donné un coup de main chez MmePichon, la dame d'en face, quand elle était accouchée (Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 370). − [La lang. parlée a conservé l'anc. usage de la forme disjointe toi non précédée de la prép. à et servant à accentuer le régime indir. te] Je me charge de Musique et toi je te confie Prouhèze (Claudel, Soulier, 1929, 1rejournée, 2, p. 657). F. − [Empl. en apostrophe] La Princesse: Toi, je te reconnais, et toi! et toi! Le Quatrième, se levant précipitamment: Ouvrez-moi la place! Laissez-moi sortir! La Princesse: Reste, toi! Empêchez-le de sortir! (Claudel, Tête d'Or, 1890, 2epart., p. 63).Bonjour, toi... Un peu pâlot, hein? Tu fais de l'anémie, mon garçon (Arland, Ordre, 1929, p. 52). G. − [Empl. ell., toi est suj. ou régime] 1. [En prop. compar.] Pardon de t'interrompre, mais c'est que je ne suis pas aussi sûr que toi que l'intervention de Jeanne d'Arc ait été bonne pour la France (Huysmans, Là-bas, t. 1, 1891, p. 73): 10. À présent, elle a l'air de dire: « Oui? C'est cela que tu voulais? Eh bien précisément c'est ce que tu n'as jamais eu (rappelle-toi: tu te dupais avec des mots, tu nommais aventure du clinquant de voyage, amours de filles, rixes, verroteries) et c'est ce que tu n'auras jamais − ni personne autre que toi. »
Sartre, Nausée, 1938, p. 58. 2. [En prop. exclam.] Avant qu'il eût parlé, elle vit dans son regard qu'il l'aimait et qu'il la demandait encore, et elle s'aperçut en même temps qu'elle le voulait ainsi. − Vous, dit-il..., vous, toi!... Je suis là depuis midi, j'attendais, sachant que vous ne viendriez pas encore, mais ne pouvant vivre qu'à la place où je devais vous voir (A. France, Lys rouge, 1894, p. 218): 11. Si je savais trouver des choses de poète,
En dirais-je plus − réponds-moi −
Que lorsque je te tiens ainsi, petite tête,
Et que cent fois et mille fois
Je te répète éperdument et te répète:
Toi! Toi! Toi! Toi!...
Géraldy, Toi et moi, 1913, p. 9. 3. [En prop. ell. du verbe] − Pour le reste, c'est des bêtises et on n'a même jamais pu savoir exactement ce qui s'était passé là-haut, parce que ceux qui y étaient se sont tous contredits. Et puis c'est du vieux, ça fait vingt ans... Je n'y étais pas, toi non plus... Il riait (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 36).Écoute un souvenir sur les tiens, sur ton père. Il était âgé déjà, et toi, adolescent (Pesquidoux, Livre raison, 1932, p. 134). 4. [Faisant phrase à lui seul, dans les questions et les réponses] − « À quoi pensez-vous donc? » − « À toi », et elle se glissa dans ses bras avec un relèvement de robe impudique et passionné, la gondole vacilla; elle sourit en dedans, à un souvenir (Péladan, Vice supr., 1884, p. 270). Elle se retournait, croyant peut-être qu'il cherchait à se frayer passage, et ses yeux demandaient: « Que voulez-vous? » − « Toi », disait la face de l'homme (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 474). H. − [Coord. ou juxtaposé à un subst. ou à un pron. disjoint, sans empl. conjoint de vous, toi peut être suj. ou régime (dir., indir. et prép.), v. supra B 2 b] Ma mère envoie toutes ses amitiés à ta femme et à toi (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1897, p. 286).Il l'enleva de sa bouche: − Si ton père ou toi voulez la lui prendre, j'y dirai (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 206). Rem. Except., l'accord du verbe se fait avec un seul des termes coord.: Vous parlerez d'amour La valse et la romance Tromperont la distance et l'absence Un bal où Ni toi ni moi n'étais va s'ouvrir Il commence Les violons rendraient les poètes jaloux Vous parlerez d'amour avec des mots immenses (Aragon, Crève-Cœur, 1941, p. 19). I − [Dans des tours exceptifs ou présentatifs] 1. [Empl. après ne... que] Et, dès qu'il ne fut plus là, elle eut une crise d'attendrissement, se jetant dans les bras de Daguenet, répétant: − Ah! mon Mimi, il n'y a que toi... Je t'aime, va! je t'aime bien!... Ce serait trop bon, si l'on pouvait vivre toujours ensemble (Zola,Nana,1880,p. 1189).− (...) Je ne veux rien voir, je ne veux voir que toi... Doucement, je l'avais grondé (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 137). 2. [Dans des tours présentatifs] Comment! c'est toi, tu es du quartier? dit Satin, stupéfaite de la voir en pantoufles dans la rue, à cette heure (Zola, Nana, 1880, p. 1296).« Toi! c'est toi! », balbutia Paul, dès qu'il entendit la voix de Séryeuse. Encore avec les Orgel! se dit-il. Que signifie cette farce? (Radiguet, Bal, 1923, p. 68).Ce n'est pas moi, c'est toi, fit-elle qui auras raison de mon âme... Une âme, vois-tu, c'est un grand mot, ça n'est pas si terrible qu'on le suppose (Bernanos, Dialog. ombres, 1928, p. 53). Rem. Après le tour c'est toi qui, on peut rencontrer un verbe accordé fautivement à la 3epers.: Eh bien, mon cher, c'est toi qui jugera (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1894, p. 199). Rem. gén. Dans tous ces empl., toi peut être déterminé par une rel. (prép.): Toi, dans qui j'ai constitué Pour me consoler de la terre, L'amour stérile et solitaire (Moréas, Cantil., 1886, p. 210). Peut-être t'ai-je blessé, Pasquier, toi qui es chrétien? (Duhamel, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 16). La parole de Dieu! c'est un fer rouge. Et toi qui l'enseignes, tu voudrais la prendre avec des pincettes, de peur de te brûler, tu ne l'empoignerais pas à pleines mains? (Bernanos, Journal curé camp., 1936, p. 1071). II. − Var. tonique de te. [Constr. avec l'impér., dont le suj. implicite est de la 2epers., le pron. régime toi (toujours réuni au verbe par un trait d'union) est le signe du pronom. (v. Moignet, Pron. pers. fr., 1965, p. 37)] Il va te pincer, méfie-toi! dit Pluton, un farceur, qui remontait en s'essuyant les lèvres d'un revers de main (Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 1220).Voilà! Là-dessus, amène-toi... Je parie que tu n'as pas encore mis le pied chez les tziganes? (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 172).Ô homme, aide-toi toi-même! (Rolland, Beethoven, t. 1, 1937, p. 45). Rem. 1. Except. on trouve te derrière l'impér.: Mets-te le dans la tête pour ne jamais l'oublier (Lautréam., Chants Maldoror, 1869, p. 204). 2. Si l'impér. est suivi de en ou de y, le pron. garde la forme non prédicative et s'élide en t': [Une femme] tendant son bras à son mari. − Cramponne-t'y (Dam.-Pich. t. 6 1940,2374, p. 326). 3. Cependant, la lang. pop. connaît la constr. toi z'en: Démerde-toi et occupe-toi z'en (Barbusse, Feu, 1916, p. 130). 4. La lang. pop. emploie toi avec l'impér. nég. d'un verbe pronom., la nég. n'étant signifiée qu'au moyen d'un morph. tonique (tout se passe comme si, au groupe impér. + toi, on ajoutait ensuite pour le rendre nég. le 2eterme de la nég.: méfie-toi pas): Tourmente-toi point, lui répétait son mari sans cesse (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 200). Assis-toi pas là. Tu sais à qui la chaise appartient? (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 115). III. − Empl. subst. A. − [Toi, pron. qualifié par un adj. ou déterminé par un indéf.] Toi, il n'y a rien dans ta forme, dans ton corps, dans tout toi, qui ne me soit précieux. Si je faisais ton buste, je m'attacherais servilement à ces riens qui sont tout pour moi, parce qu'ils sont un rien de toi (A. France, Lys rouge, 1894, p. 304): 12. Jammes, en quête d'éditeur, me demande d'intervenir pour placer un livre « très gai par endroits » qu'il achève d'écrire « avec beaucoup de verve, au courant de la plume ». Il y « met en scène un personnage du nom d'Élie de Nacre ». « C'est, me dit-il, un toi romancé qui joue des tours désopilants un peu à tout le monde. » Et il ajoute: « Tu en riras le premier. »
Gide, Journal, 1931, p. 1098. − [Le fém. est empl. si on parle d'une femme] Certes, il ne sut une autre toi Le Roi Qui dit la femme plus amère que la mort. Car, de vos lèvres pressées, Vous êtes toutes douceurs, amour, Jusqu'à vos lèvres courroucées (Moréas, Pèlerin pass., 1891, p. 57). B. − [Le mot toi] J'ai mal cité les deux vers de Racine que je prétends particulièrement admirer, remplaçant par un toi brutal le vous craintif qui, dans le second de ces vers, apporte, avec sa douceur chuchotée, une allitération mystérieuse et troublante (Gide, Journal, 1934, p. 1203). C. − [Toi désigne l'interlocuteur (un être humain dans ses relations avec le moi)] La singularité du toi n'apparaît à la conscience du sentiment que dans sa relation dialectique avec la réciprocité des perspectives personnelles; elle donne du sérieux à la communion; et c'est en l'hypostasiant et en l'isolant que l'émotion en fera germer le malheur et la solitude (J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p. 177): 13. L'exigence de justice, qui s'incarne historiquement dans des formes essentiellement variables, a sa racine dans l'affirmation radicale que l'autre vaut en face de moi, que ses besoins valent comme les miens, que ses opinions procèdent d'un centre de perspective et d'évaluation qui a la même dignité que moi. L'autre est un toi: telle est l'affirmation qui anime souterrainement la maxime de la justice...
Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 120. Prononc. et Orth.: [twa], [twɑ]. Homon. toit. Barbeau-Rodhe 1930, Warn. 1968, Lar. Lang. fr., Rob. 1985 [a] mais Martinet-Walter 1973, 9/17 [ɑ], 8/17 [a]. Toi s'élide devant en, y et l'on emploie l'apostrophe et le trait d'union: surtout, garde-t'en, place-t'y (place-toi-z'y); toi mis toujours apr. l'impér. se sépare de lui par le trait d'union: hâte-toi. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Pron. pers. tonique de la 2epers. du sing., cas régime. I. En autonomie 1. 2emoit. xes. apr. prép.; te forme prov. (St Léger, éd. J. Linskill, 94: Meu'evesquet neˑm lez tener Por te qui sempreˑm vols aver); ca 1050 devant tei, pur tei (St Alexis, éd. Chr. Storey, 361 et 397); ca 1100 spéc. apr. de, fait fonction de poss. (Roland, éd. J. Bédier, 2934: l'anme de tei); 2. fin xes. compl. d'une interj.; te forme prov. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 54: gai te); 3. 1remoit. xiies. apr. l'adv. de présentation ez (este) « voici » [datif éthique] (Psautier de Cambridge, éd. Fr. Michel, X, 2: Kar este tei li felun... [ecce impii]; L, 6); 4. fin xiies. accompagnant un numéral ordinal (Béroul, Tristan, éd. E. Muret, 3408: Toi tiers seras fait chevaliers). II. A. Placé av. le verbe; en tête de prop. 1. a) fin xes. (Passion, 513: Te [Christ] posche retdrae graciae; v. éd. p. 83); fin xiies. a. lorr. ti mismes (Sermons de St Bernard, éd. W. Foerster, p. 167, 1: Ti mismes tient Deus a flor); b) ca 1100 apr. une conj. de coord. (Roland, 2454: « Charle, chevalche, car tei ne falt clartet »); 2. régime de verbes unipersonnels sans support de il a) ca 1050 (St Alexis, 411: Tei cuvenist helme e brunie a porter); b) id. apr. conj. de sub. (ibid., 202: Se tei ploüst); 3. 1176 marque une insistance, une oppos. (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 3448: Por son neveu toi li rendrai); 4. devant un inf. a) 2equart xiiies. avec un verbe de mouvement (Quête du Graal, éd. A. Pauphilet, p. 113, 31: vien toi reposer et seoir); b) 1263-70 l'inf. est amené par un verbe auxil. (Couronnement de Renart, éd. A. Foulet, 3562: Argent, qui toi puet amaser); c) 1269-78 l'inf. est régi par une prép. (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6984: Por toi chastier et aprendre). B. Placé apr. le verbe (termine le groupe verbal) 1. a) 1remoit. xiies. apr. l'impér. (Psautier de Cambridge, XXXVI, 4: delite tei en Seignur); 1130-40 redrece tei, conforte tei (Wace, Conception N.-D., éd. W. R. Ashford, 101 et 441); b) 1remoit. xiies. apr. un subj. de souhait (Psautier de Cambridge, XIX, 1: Oied tei li Sires); 1174-87 (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 1360: Dex beneïe toi); 2. 1remoit. xiies. pour mettre en relief, marquer une oppos. (Psautier de Cambridge, XXIV, 19: Simplicited e dreiture guarderunt mei, kar je atendi tei); ca 1170 (Rois, éd. E. R. Curtius, I, 8, 8, p. 16: Nen out pas degeté tei mais mei que je ne regne sur els); 2emoit. xiies. (Sermons de St Bernard sur le Cantique des cantiques ds Henry Chrestomathie, 101, p. 200, 38: nequedent nes laveras mie [les pieds du Seigneur], mais toi); 3. fin xiies. en l'absence du suj. (Béroul, op. cit., 94: Mandai toi, et or es ici); 4. 1remoit. xiiies. en prop. ell. du verbe (Aucassin et Nicolette, éd. M. Roques, VIII, 16: Ja n'i fieres tu homme ni autres ti). III. En fonction de suj. 1. 1remoit. xiies. précédant une forme en -ant dans une constr. abs. à valeur circ. (Psautier de Cambridge, LXXXIX, 5: Tei ferant els... [Percutiente te eos]); 2. 1174-87 en coord. (Chrétien de Troyes, Chevalier de la charrette, éd. M. Roques, 1802: Siudrons moi et toi, si tu viax, Le chevalier); 1360-70 (Baudouin de Sebourc, XXII, 119 ds T.-L.); 3. 1178 dans un tour compar. (Renart, éd. E. Martin, XIV, 328: J'en ai molt plus boü que toi); ca 1190 (ibid., éd. M. Roques, 12178: G'i sai plus que toi .iiii. parz); 4. xives. en renforcement du pron. suj. tu (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. A. Hilka, 2373, var. ms. S: que dis tu, toi). IV. Empl. subst. ca 1265 uns autres toi (Brunet Latin, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, II, 45, 41, p. 216). Du lat. tē
« toi » en position accentuée, v. aussi te. L'empl. de toi suj. s'explique par l'évol. faisant des pron. pers. suj., des pron. conjoints, cf. lui, moi. Dans les dial. du Nord, ti est anal. de mi, issu du datif lat. mihi (Pope,832). La forme tei est région. (pays de la Loire, norm., anglo-norm.). Fréq. abs. littér.: 37 123. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 51 373, b) 56 593; xxes.: a) 51 801, b) 52 566. Bbg. Chevalier (J.-Cl.). Du Syst. pronom. en esp. et en fr. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1982, t. 20, no1, pp. 283-323. − Hatcher (A. G.). From ce suis-je to c'est moi. P.M.L.A. 1948, t. 63, pp. 1053-1100. − Korting (G.). Neugriechisch und Romanisch. Berlin, 1896, p. 84. − Quem. DDL t. 38. − Wagner (R.-L.). Romania. 1951, t. 72, pp. 139-140. |