| SURVIVRE, verbe I. − Empl. trans. indir. Survivre à A. − [Le suj. désigne un animé] 1. Qqn survit à qqn.Vivre au delà de la mort de quelqu'un. Survivre à son époux, à tous ses amis. Il y a aujourd'hui vingt ans que mon frère est mort, aujourd'hui vingt longues années que je lui ai survécu (Goncourt, Journal, 1890, p. 1192). − [Le compl. désigne la génération ou l'époque à laquelle appartenait la pers. dont il est question] Quand on a rencontré comme moi Washington et Bonaparte, que reste-t-il à regarder derrière la charrue du Cincinnatus américain et la tombe de Sainte-Hélène? Pourquoi ai-je survécu au siècle et aux hommes à qui j'appartenais par la date de ma vie? (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 680).Je viens de voir l'image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur, du vieux poète sans amis, sans famille, sans enfants (Baudel., Poèmes prose, 1867, p. 74). 2. Qqn survit à qqc.[Le compl. désigne une cause considérée comme pouvant entraîner ou réclamer la mort] Rester en vie dans des circonstances où d'autres périssent après des événements rendant la vie insupportable. Synon. réchapper de.Survivre à ses blessures, au déshonneur, à l'humiliation. Je me brûlerai la cervelle plutôt que de survivre à cette honte (Maupass., Une Vie, 1883, p. 219).Votre camarade, si même il a survécu à la chute, n'a pas survécu à la nuit (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 161). B. − [Le suj. désigne un inanimé] 1. Qqc. survit à qqn.Continuer d'exister après la disparition de la personne qui est à l'origine de la chose dont il est question. Cependant Jocelyn, épisode de poésie intime, va paraître dans peu de jours (...). Je veux que cela me survive un demi-siècle (Lamart., Corresp., 1836, p. 177). 2. Qqc. survit à qqc. a) Continuer d'exister après la cessation des circonstances qui ont produit la chose dont il est question. Ainsi l'anxiété survit au cauchemar, présence invisible, inexplicable (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 150). b) Continuer d'exister en dépit de causes de disparition. Le cœur ainsi blessé connoît toutes les délicatesses des sentiments; sa tendresse s'accroît dans les larmes et survit aux désirs satisfaits (Chateaubr., Martyrs, t. 2, 1810, p. 150).En fait le principe de l'existence de juridictions administratives distinctes des tribunaux judiciaires est solidement établi depuis plus d'un siècle et demi et a survécu à tous les bouleversements constitutionnels (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 564). II. − Empl. intrans. A. − [Le suj. désigne un animé] 1. a) Lang. jur. Être en vie après la mort de quelqu'un. Si la clause n'établit le forfait qu'à l'égard des héritiers de l'époux, celui-ci, dans le cas où il survit, a droit au partage légal par moitié (Code civil, 1804, art. 523, p. 281). b) Rester en vie dans des circonstances où d'autres périssent. Le 9 thermidor arrive (...): on a soif de plaisir; les soirées de l'hôtel Thélusson, du pavillon d'Hanovre, les bals de Richelieu, de Frascati, rassemblent tous ceux qui survivent, et dont le premier besoin paraît être de danser sur des ruines (Jouy, Hermite, t. 3, 1813, p. 22): 1. Avec le concours de bon nombre d'officiels et d'une masse de délateurs (...), 60 000 personnes [en France] avaient été exécutées, plus de 200 000 déportées dont à peine 50 000 survivraient.
De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 107. 2. a) Rester en vie au delà d'un terme où la mort est probable. Le blessé n'a survécu que quelques heures. Moi aussi, j'avais les fièvres, je les avais rapportées du Tonkin. Mais j'ai survécu; je ne me serais pas cru si robuste (Arland, Ordre, 1929, p. 497). b) [Le suj. désigne un être ou un organisme vivant] Continuer de vivre, ne pas mourir. Les animaux vivent sans elles [les carotides], au moins pendant un certain temps. J'ai conservé en cet état, et durant plusieurs jours, des chiens (...): deux cependant n'ont pu survivre que six heures (Bichat, Rech. physiol. vie et mort, 1822, p. 261). − P. anal. Mener une existence précaire, comme réduite aux seules fonctions biologiques. Synon. végéter.Je ne vais pas très bien. Je me sens même très fatigué. Je m'abandonne. Rien ne me dit. Je suis d'une indifférence crevée. L'impression croissante de survivre est insupportable. Il me semble que je ne suis qu'à la surface (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1914, p. 439). c) [Le suj. désigne une espèce, une collectivité] Se maintenir en vie en luttant contre un environnement naturel difficile. Lorsque surviennent de telles calamités [la sécheresse, les épidémies], il faut pour survivre avoir recours aux méthodes plus humbles utilisées par les primitifs pour se procurer leur nourriture (Lowie, Anthropol. cult., trad. par E. Métraux, 1936, p. 34).Dans des conditions de vie imposées, la tribu [des Iks] perd peu à peu les liens avec la nature qui donnaient sens à sa vie, et à sa mort. Elle survit, au niveau le plus bas (Le Monde, 21 sept. 1989, p. 35, col. 1). − Au fig. Résister au déclin. Des nouvelles de France, lettres, revues, toutes disant la même volonté de survivre, de remonter l'horrible pente qui part de 1918 pour aboutir à 1940 (Green, Journal, 1941, p. 59). 3. P. anal. ou au fig. a) [Dans certaines croyances relig.] Continuer d'avoir une existence personnelle après la mort. Les Pharaons veulent vivre coûte que coûte, de gré ou de force (et non survivre), vivre comme ils vivaient sur terre (Cocteau, Maalesh, 1949, p. 94). b) Continuer d'exister dans la mémoire collective d'une communauté, après sa mort. Je trouve encore très fort aujourd'hui que les Goncourt aient eu l'idée de survivre grâce à une Académie comme il n'y en a pas deux (Mauriac, Mém. intér., 1959, p. 97). B. − [Le suj. désigne un inanimé] 1. Durer au delà du terme normal, au delà des circonstances qui ont fait naître. Synon. subsister.Tant que survit une rougeur On l'entend [une voix] soupirer encore: Elle s'éteint et s'évapore Avec la dernière lueur (M. de Guérin, Poés., 1839, p. 55).Il n'y avait plus en elle pour son mari que de la cendre d'affection. Pourtant les appellations caressantes, comme cela arrive souvent, avaient survécu (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 889). − Survivre dans.Dans l'amour ainsi, survivent, se réfugient des sentiments anciens venus de l'enfance, et dont la fraîcheur vous saisit tout à coup (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 270). 2. a) Se perpétuer dans le temps. Elle seule [la beauté] survit, immuable, éternelle. La mort peut disperser les univers tremblants, Mais la beauté flamboie, et tout renaît en elle, Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs (Leconte de Lisle, Poèmes ant., 1852, p. 7). b) Se maintenir à travers les époques, sous une forme affaiblie ou marginale. Royauté et aristocratie sont deux choses qui survivent; elles ne vivent pas: l'idée démocratique creuse (...): quand la galerie souterraine sera finie, la fougasse chargée, l'étincelle mise à la poudre, les remparts voleront en l'air, et les peuples entreront par les brèches des murs écroulés (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 250).Au reste, l'administration des notables n'a, malheureusement, pas totalement disparu. Elle survit en quelques endroits (Guéhenno, Journal « Révol. », 1937, p. 73). III. − Empl. pronom. A. − [Le suj. est un subst. de l'animé] 1. a) Prolonger son existence au delà d'un terme où la vie est considérée comme achevée. Ce modèle des époux et des pères, persuadé que la mort alloit saisir sa proie, vouloit encore se survivre pour veiller sur sa femme et sur son fils (Fiévée, Dot Suzette, 1798, p. 35). ♦ Se survivre à soi-même.Nous voyons beaucoup de gens qui se survivent à eux-mêmes et se trouvent au milieu de la nouvelle France comme des hommes fossiles, débris d'un vieux monde impossible à reconstruire (Balzac,
Œuvres div., t. 2, 1842, p. 43).[Les vieillards] se contentent de sortir, de manger, de lire les journaux, ils se survivent à eux-mêmes (Proust, Fugit., 1922, p. 635). b) Continuer à vivre en ayant perdu ses raisons de vivre, ses capacités créatrices. Si, jusque-là, la peur de la lente déchéance l'avait dévoré, ce n'était qu'un doute; et, maintenant, il avait une brusque certitude, il se survivait, son talent était mort, jamais plus il n'enfanterait des œuvres vivantes (Zola, L'Œuvre, 1886, p. 316).À présent, je vais faire comme Anny, je vais me survivre. Manger, dormir. Dormir, manger. Exister lentement, doucement (Sartre, Nausée, 1938, p. 198). ♦ Se survivre à soi-même.Comme les hommes de talent finissent de bonne heure! Les uns meurent jeunes, comme Byron; les autres se survivent à eux-mêmes et ont la douleur de se sentir éteints avant de finir (J.-J. Ampère, Corresp., 1825, p. 331). 2. Au fig. Se survivre en/dans qqn.Perpétuer la mémoire de son nom, ses idées par l'intermédiaire de quelqu'un. Je me survivrai en vous, mes disciples fidèles. Mes vérités sont de l'ordre de celles qui ne périssent pas (Renan, Drames philos., Eau jouvence, 1881, iv, 1, p. 486): 2. Qu'est-ce donc se continuer? sinon se prolonger, se survivre dans les siens, aux mêmes lieux, par les mêmes moyens, pour les mêmes buts? Où mieux assurer cette survie que sur le bien paternel?
Pesquidoux, Livre raison, 1932, p. 128. B. − [Le suj. est un subst. de l'inanimé] 1. Prolonger son existence au delà du terme où normalement le processus s'achève. Le sort des grandes offensives se règle très vite. Dans les trois ou quatre jours, ou elles réussissent, ou elles ratent (...). Celle-ci dure depuis le 21. Elle a largement dépassé la semaine. Donc elle se survit. Ce sont les derniers remous (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 102). 2. Continuer d'exister sous une forme affaiblie ou marginale. Michel-Ange mort, que fait cette misérable architecture qui se survivait à elle-même à l'état de spectre et d'ombre? (Hugo, N.-D. Paris, 1832, p. 220).Le judaïsme vit, malgré tant de crises qui semblaient devoir, selon les prévisions humaines, avoir raison de lui. Il se survit, disent détracteurs ou sceptiques. Il s'est montré, en tout cas, capable de multiples renaissances (Weill, Judaïsme, 1931, p. 195). Prononc. et Orth.: [syʀvi:vʀ
̥], (il) survit [-vi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « vivre plus tard que » (Roland, éd. J. Bédier, 2616: Ço est l'amiraill, le viel d'antiquitet, Tut survesquiest e Virgilie e Omer); 1160-74 sorvivre (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 1967), rarement empl. trans. dep. le xviiies., v. Ac. 1718; 1290 part. prés. subst. sourvivant (Cart. de Cysoing, p. 254 ds Gdf. Compl.); 2. 1580 fig. survivre à « subsister après la perte de » (Montaigne, Essais, II, 8, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 400); 3. 1694 (Ac.: Survivre à soy-mesme [...] Perdre avant la mort l'usage des facultez de la vie); 1718 se survivre (Ac.). Dér. de vivre* verbe; préf. sur-*. Cf. le lat. supervivere « survivre », dér. de vivere (vivre*), préf. super- marquant la supériorité. Fréq. abs. littér.: 1 473. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 236, b) 1 822,; xxes.: a) 1 773, b) 2 305. |