| SUPRÊME, adj. et subst. masc. I. − Adjectif A. − Qui est au-dessus de tout. 1. [En parlant d'un inanimé abstr.] a) [L'adj. est souvent postposé] − Au-dessus de quoi il n'y a plus rien; qui ne peut être dépassé dans son genre, dans son domaine. L'éclaircissement de cette suprême antinomie [des lois physiologiques et des lois de la conscience morale] n'a paru nous conduire qu'à des conclusions négatives (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p. 187).Cette espèce d'oisiveté suprême, cette fonction de contremaître sans spécialité du chantier divin ne vous détourne pas de lui, au contraire? (Giraudoux, Amphitr. 38, 1929, ii, 5, p. 119). ♦ P. métaph. Le thème essentiel de la fugue et de la sonate s'affirme encore, en énergiques accords. Mais, au lieu de retomber, à la quatrième mesure, comme dans le dessin initial, il monte encore (...) jusqu'à cette crête suprême de la montagne, d'où le flot de passion, enfin assouvie, retombe irrésistiblement dans la plénitude du la bémol (Rolland, Beethoven, t. 2, 1937, p. 463). − Qui occupe la première place dans une hiérarchie de pouvoirs. Autorité, conseil, direction, loi, organisme, rang, Soviet suprême. L'absence de commandement suprême dans notre camp, qui était une des sources majeures de nos faiblesses (Joffre, Mém., t. 2, 1931, p. 85): 1. En effet, diront-ils [des traîtres à la Patrie], c'est enlever au Monarque ses prérogatives que de transférer au Conseil national le pouvoir suprême, le droit de faire les lois, de contrôler l'administration, de surveiller les Ministres, de gêner la gloire des conquêtes...
Marat, Pamphlets, Suppl. Offrande à la Patrie, 1789, p. 67. ♦ DR. Cour suprême. [En France désigne souvent la cour de cassation] Juridiction la plus élevée. Savez-vous ce que c'est que l'ordonnance de la Cour suprême invitant Dreyfus à se défendre? (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 441). − Qui occupe la première place dans une hiérarchie de valeurs. La vie, le travail, toute la destinée humaine tient dans ces deux mots suprêmes (L. Blanc, Organ. trav., 1845, p. viii).Il existe enfin pour les compositeurs une récompense suprême, le grand prix de Rome (Arts et litt., 1936, p. 80-2). ♦ Dieu suprême. V. dieu 1reSection I B 2 a.Être suprême. V. être2II B 1.Raison suprême. V. raison I A 5 b. b) [L'adj. est antéposé ou postposé] − Qui est extrême. Je lui dis que cet homme gouvernoit en despote, que, sans talens, sans aucun des dons extérieurs qui paroissent faits pour séduire, il avoit pris un suprême ascendant sur la multitude (Genlis, Chev. Cygne, t. 1, 1795, p. 300).New-York est l'image même de la ville, l'expression suprême de la ruée urbaine (Morand, New-York, 1930, p. 267). ♦ Au suprême degré. V. degré C 1 c.P. ell., vieilli, au suprême. L'intelligence et la bonté. J'aime au suprême de rencontrer ces deux choses ensemble (E. de Guérin, Journal, 1840, p. 393). ♦ Vieilli, empl. subst. masc. Ce qu'il y a de mieux. La note personnelle de l'auteur [Cladel] (...) n'est pas assez voilée (...) Le suprême de l'art eût consisté à rester glacial et fermé, et à laisser au lecteur tout le mérite de l'indignation (Baudel., Art romant., 1861, p. 571). ♦ [En parlant d'un affect] Qui est très vivement ressenti; intense. Bonté, douleur, espérance, félicité, jouissance suprême; suprême bonheur. Joie suprême du travailleur se voyant complété, continué, voyant sa couronne d'enfants: celui-ci et l'autre apportant déjà de l'argent à la maison (Michelet, Journal, 1854, p. 237): 2. Il ressassait sa déception, le mouvement trotzkyste russe décapité, le surréalisme qui se perdait dans les clichés littéraires, les républicains espagnols enlisés dans le réformisme et jusqu'aux trotzkystes français qui se repliaient, suprême honte, sur la S.F.I.O.
Abellio, Pacifiques, 1946, p. 35. Rem. Suprême est un superl., mais dans cette accept. on relève qqf. un empl. positif précédé d'un adv. de quantité: Un coup d'œil empreint du plus suprême mépris (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 160). − P. ext. Considérable. Affirmant que le plus sûr des exorcismes, pour cette sorte de bougres, était un raclée suprême et qu'il ne comprenait pas Gacougnol de leur avoir infligé ce saltimbanque (Bloy, Femme pauvre, 1897, p. 154).La méthode des tests fait ici un effort suprême pour rejoindre, au-delà d'une simultanéité, une structure verticale en profondeur (Mounier, Traité caract., 1946, p. 20). 2. [En parlant d'une pers.] a) [L'adj. est gén. postposé] Au-dessus de qui il n'y a personne (dans une fonction, une responsabilité, une qualité, etc.). Chef, juge, législateur, magistrat, maître suprême. Ô ton front qui fourmille de lentes! Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût! Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes! (Rimbaud, Poés., 1871, p. 113).L'Assemblée, pour sa part, voudrait organiser des relations organiques avec les ministres, responsables suprêmes de la politique européenne (Ginestet, Ass. parlem. eur., 1959, p. 69). b) [L'adj. est antéposé ou postposé] Qui se distingue, qui excelle (dans un domaine, une activité). Une grande demeure pleine de marbres et de tableaux, avec des paons sur des pelouses, des cygnes dans des bassins, une serre chaude et un suprême cuisinier (Flaub., Corresp., 1853, p. 352).La France où les poètes suprêmes, et surtout les poètes de naissance, font à tel point défaut (Du Bos, Journal, 1928, p. 208). ♦ Artisan, auteur, horloger suprême. Dieu. Forcer le philosophe le plus obstiné à reconnoître qu'ici la volonté du suprême auteur de toutes choses a été nécessaire (Lamarck, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 67). ♦ Ouvrier suprême. V. ouvrier I B 2 a. B. − [En parlant d'un inanimé abstr.] Qui est le dernier. 1. Qui revêt une très grande importance parce qu'il est le dernier. Synon. ultime.[Les] cahiers dressés par les trois ordres, en 1789 (...) resteront comme le testament de l'ancienne société française, l'expression suprême de ses désirs, la manifestation authentique de ses volontés dernières (Tocqueville, Anc. Rég. et Révol., 1856, p. 45).La civilisation occidentale risque sa dernière mise. Ces divertissements sublimes de Salzbourg seront-ils la fête suprême que s'offre le vieux monde à l'agonie? (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 133). − P. ext. Qui vient après tous les autres. Mallarmé s'inquiétait des suprêmes détails de la fabrication du Coup de dés. L'inventeur considérait et retouchait du crayon cette machine toute nouvelle (Valéry, Variété II, 1929, p. 189).Notre objectif suprême est la défaite de l'ennemi (De Gaulle, Mém. guerre, 1956, p. 21). 2. Relatif aux derniers moments de la vie. Heure, instant, moment suprême. Je te raconterai ma peine encore amère. Oui, le dernier baiser que me donna ma mère, Suprême embrassement après de longs adieux (Leconte de Lisle, Poèmes ant., 1852, p. 348).Roland vainqueur, mais grièvement blessé, se traîne dans le val de Roncevaux à la recherche des pairs de France et ramène un à un leurs cadavres au pied de l'archevêque Turpin qui leur donnera la bénédiction suprême (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 265). ♦ Honneurs suprêmes. V. honneur II A.Volontés suprêmes. Dernières volontés d'un mourant. Sur la grotte où l'impie ourdissait ses blasphèmes, Sa mort avait vengé leurs volontés suprêmes (Lamart., Chute, 1838, p. 981). II. − Subst. masc., ART CULIN. Ensemble des blancs et de la chair des ailes de volaille ou de gibier à plumes. La cuisson des suprêmes de volaille ou de gibier (souvent truffés, apprêt délicat et de grand style, d'où leur nom) se fait généralement rapidement, à sec ou à très court mouillement (CourtineGastr.1984). − P. anal. Filet de poisson. Le saucier, pressé par les commandes, poussait son cri de guerre: − Des filets de soles! Le Gascon lui apporta, au trot, les suprêmes des poissons de la Marie-Rose (Hamp, Marée, 1908, p. 67). − P. ext. Suprême(s) de. Préparation(s) très élaborée(s) de; ce plat. Suprême de homard au beurre de Montpellier (Mallarmé, Dern. mode, 1874, p. 719).On appelle « suprêmes » des apprêts de mets raffinés (suprêmes de foie gras) (CourtineGastr.1984). − Sauce au suprême, ou en appos., sauce suprême. Velouté de volaille et/ou de veau que l'on fait réduire et auquel on ajoute de la crème. Égoutter la poularde. La dresser sur un plat rond. La napper avec une sauce suprême que, avec une partie de la cuisson de la poularde, on aura préparée ainsi (Gdes heures cuis. fr.,P. Montagné, 1948, p. 190). ♦ P. ell. Au suprême, à la suprême. Avec une sauce suprême. Les lexicographes (...) ne sont pas de ces savants aimables qui embouchent avec grâce une aile de perdrix au suprême (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 140).« Volailles à la suprême! » reprit le maître d'hôtel quand les perdreaux et les truffes eurent disparu sans laisser de traces de leur passage (Ségur, Auberge ange gard., 1863, p. 346). Prononc. et Orth.: [sypʀ
εm]. Passy 1914, Barbeau-Rodhe 1930, Martinet-Walter 1973 [-pʀ
ε:m], le dernier à raison de 3 sujets sur 17. Ac. 1694: supreme, 1718: -préme, 1740: -prème, dep. 1762: -prême. Étymol. et Hist. 1. Mil. xves. adj. suppreme « qui est au-dessus de tout » (Jean de Bueil, Le Jouvencel, éd. L. Lecestre, t. 2, p. 67); 2. 1679 suprême « qui est le dernier de tous » (La Fontaine, Fables, Discours à Madame de la Sallière, éd. H. Régnier, t. 2, p. 465, 81: Ce sont tous ses honneurs suprêmes); 3. a) 1808 subst. masc. désigne une sauce (Grimod de La Reynière, Man. des amphitryons, p. 169 ds Quem. DDL à paraître: sauté de volaille au suprême); b) 1813 subst. masc. « parties les plus délicates d'une volaille » (Jouy, Hermite, t. 3, p. 91). Empr. au lat.supremus « le plus au-dessus, le plus haut »; « le dernier » superl. de superus « qui est au-dessus, supérieur », dér. de super « sur, au-dessus ». Fréq. abs. littér.: 4 680. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6 607, b) 7 192; xxes.: a) 6 898, b) 6 262. DÉR. Suprêmement, adv.,littér. D'une manière suprême. a) [Corresp. à supra I A 1 a] C'est parce que la pensée divine est suprêmement immatérielle qu'elle est suprêmement formelle, et c'est parce qu'elle est suprêmement formelle qu'elle est acte pur (Gilson, Espr. philos. médiév., 1931, p. 188).b) [Corresp. à supra I A 1 b] Jetant de temps en temps une parole tranchante, contradictoire, suprêmement dédaigneuse (Goncourt, Journal, 1870, p. 588).− [supʀ
εmmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1878. − 1reattest. 1542 (N. de Bris, Institut., fo91 vods Gdf. Compl.); de suprême, suff. -ment2*. − Fréq. abs. littér.: 48. BBG. Quem. DDL t. 13. |