| SUPPLICE, subst. masc. A. − Peine corporelle, torture extrêmement douloureuse, entraînant généralement la mort. La croix jadis, c'était le supplice des esclaves (Claudel, Guerre 30 ans, 1945, p. 587).Jean Desbordes (...) a préféré quitter cette vie dans d'épouvantables supplices plutôt que de livrer un seul de ses amis résistants (Green, Journal, 1949, p. 237).V. balancier1ex. 13. SYNT. Supplice abominable, affreux, atroce, cruel, effroyable, horrible, infamant, raffiné; supplice du carcan, du chevalet, de l'estrapade, du feu, du fouet, du garrot, du gibet, de la marque, de la roue; instruments de supplice; infliger un supplice à qqn; condamner qqn à un supplice. Rem. Le mot peut désigner une peine, une condamnation: Ce qu'on regardoit comme le plus grand malheur chez les Anciens, ce qui étoit le dernier supplice dont on punissoit les scélérats (nous entendons la dispersion des cendres) (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 342). ♦ Supplice chinois. Tourment physique ou moral particulièrement cruel, particulièrement raffiné. Tarkington, pour qui ses pieds douloureux, gonflés, faisaient maintenant de la moindre marche un supplice chinois, dut reconnaître qu'il lui fallait demander son évacuation (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 102). ♦ Les supplices éternels. Les souffrances de l'enfer. La dévotion d'une mère qui, dans la consécration de son fils à Dieu, voyait le seul moyen d'éviter les supplices éternels (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 490). ♦ Le (dernier) supplice, le supplice (suprême) . L'exécution capitale. Heure, lieu du supplice; conduire, envoyer, mener, traîner un condamné au (dernier) supplice/au supplice (suprême); aller, marcher au supplice; assister au supplice de qqn; condamner qqn au dernier supplice, au supplice suprême. Rien n'étoit plus rare que les exécutions: dans l'espace de 27 ans, un seul homme a été conduit au supplice dans l'état de Massachussets (Crèvecœur, Voyage, t. 3, 1801, p. 312): Les anciens hagiologues nous ont (...) conservé les détails de son supplice [de saint Bénigne], il aurait été écartelé à l'aide de poulies, on lui aurait enfoncé des alènes sous les ongles, on lui aurait scellé les pieds, avec du plomb fondu...
Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 280. − MYTH. GR. ET ROMAINE Souffrances infligées par les dieux en punition des fautes de personnages légendaires. ♦ Supplice des Danaïdes. Châtiment infligé aux Danaïdes, les condamnant à remplir éternellement un tonneau percé; au fig., souffrance de quelqu'un qui fait continuellement quelque chose d'inutile. L'espérance est la connaissance que le mal qu'on porte en soi est fini et que la moindre orientation de l'âme vers le bien (...) en abolit un peu, et que (...) tout bien, infailli-blement, produit du bien. Ceux qui ne savent pas cela sont voués au supplice des Danaïdes. Infailliblement, le bien produit du bien et le mal produit du mal dans le domaine du spirituel pur (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 128). ♦ Supplice de Prométhée. Châtiment infligé à Prométhée, consistant à être éternellement enchaîné sur le mont Caucase en ayant le foie dévoré par un vautour; au fig., souffrance continuelle. Si une intelligence s'avisait de rester en province, passé vingt ans, elle était enchaînée, et pendant toute sa vie des vautours en lunettes lui faisaient subir le supplice de Prométhée (Champl., Avent. MlleMariette, 1853, p. 110). ♦ Supplice de Tantale. Châtiment infligé à Tantale, consistant à souffrir éternellement de la faim et de la soif auprès d'arbres chargés de fruits et d'un cours d'eau qui se dérobent dès qu'il s'en approche; au fig., souffrance de quelqu'un qui a à sa portée de main ce qu'il désire et qui ne peut l'atteindre. Il fallait − conformément aux dispositions légales − attendre trente ans cet argent qui nous demeurait destiné. Supplice de Tantale (Duhamel, Jard. bêtes sauv., 1934, p. 89). B. − Souffrance très vive, difficilement supportable. Synon. calvaire, martyre. 1. [Souffrance physique] Elle se débattait contre les morsures d'une péritonite: un des plus effroyables, un des plus ingénieux supplices inventés pour débarrasser l'homme de son existence (Du Camp, Mém. suic., 1853, p. 33).Mâcher du blé cru, par une journée torride, quand on a son bidon sec, quel supplice nouveau! Leur faim n'en fut que plus énervée. La soif les dévora, les enfiévra, les égara (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 62). 2. [Souffrance morale] Supplice du doute, de la jalousie, du remords. Après ne pas vivre avec ceux qu'on aime, le plus grand supplice est de vivre avec ceux que l'on n'aime pas (Flaub., Corresp., 1847, p. 50).Ils ne savent pas ce qu'est la vieillesse. Vous ne pouvez imaginer ce supplice: ne rien avoir eu de la vie et ne rien attendre de la mort (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 85). − Loc. adj. et adv. Au supplice. Dans une situation très pénible. Mettre qqn au supplice; se sentir au supplice. Elle tordit les bras, et d'une âme au supplice, Cria: « Pitié, Seigneur! » et se mit à genoux (Samain, Chariot, 1900, p. 197).Tous les regards fixés sur moi, et sentant mes joues s'enflammer, j'étais au supplice (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 104). REM. Suppliciale, adj. fém.,hapax. Les arbousiers sur ma route se penchaient, étrangements chargés de leurs fruits de pourpre qu'ils répandaient dans le chemin. Ils avaient l'air d'arbres martyrs d'où coulait une sueur sanglante, car au bout de chaque branchette pendait une graine rouge comme une goutte de sang. Le sol, autour d'eux, était couvert de cette pluie suppliciale, et le pied écrasant les arbouses laissait par terre des traces de meurtre (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Allouma, 1889, p. 1306). Prononc. et Orth.: [syplis]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1475 derrain suplice « peine de mort infligée par décision de justice » (Arch. Nord, B 1698, fo6 vods IGLF: Le dit Collart [...] fut prins et constitué prisonnier et depuis mis au derrain suplice); 1480 eternelz supplices « peines de l'enfer » (Baratre infernal, B. N. 450, fo219 vods Gdf. Compl.); 1552 « châtiment corporel atroce » (E. Jodelle, L'Eugene, III, 2 ds Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 1, pp. 60-61: Mais nous donnerons tel supplice À toy, à ton Abbé Eugene, Et à sa pute sœur Helene [...] Que la memoire pourra estre Jusqu'à la bouche des neveux); 2. 1606 désigne toute espèce de tourment, physique ou moral, ici, tourment amoureux (J. Bertaut, Recueil de quelques vers amoureux, éd. L. Terreaux, p. 63); 1661 loc. être au supplice (Molière, L'École des maris, I, 1, éd. R. Bray, p. 91: Je veux [...] Des souliers où mes pieds ne soient point au suplice). Empr. au lat.supplicium « action de ployer les genoux; punition, peine, châtiment, supplice », dér. de supplex, -icis « qui plie les genoux, suppliant ». Fréq. abs. littér.: 2 121. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 739, b) 3 270; xxes.: a) 2 544, b) 1 693. Bbg. Dumonceaux (P.) Lang. et sensibilité au XVIIes. Genève, 1975, pp. 29-35. − Mat. 16e1988, p. 134, 153, 236. |