| SPECTATEUR, -TRICE, subst. A. − 1. Celui, celle qui regarde, qui contemple un événement, un incident, le déroulement d'une action dont il est le témoin oculaire. L'admiration des spectateurs; être entouré de spectateurs; le cercle des spectateurs; spectateurs effrayés, émus, interdits. Si l'on m'avait vue, à cinq heures du matin, entre-bâillant les volets de ma fenêtre, pour assister, spectatrice invisible, au déjeuner de quelques terrassiers (Daniel-Rops, Mort, 1934, p. 253): ... pour éviter d'être assommé, il ne lui restait d'autre moyen que de tirer son épée; le lâche n'y pensa pas, et je le laissai étendu sur le carreau et nageant dans son sang. La foule des spectateurs me fit haie, et je la traversai pour aller au café où je pris un verre de limonade...
Mussetds Le Temps, 1831, p. 68. 2. En partic. a) [P. oppos. à acteur] Celui, celle qui se contente de regarder, d'observer un phénomène, un événement sans intervenir, sans s'impliquer. Demeurer, rester, être né(e) spectateur, spectatrice. L'apothicaire, en rougissant, avoua qu'il était trop sensible pour assister à une pareille opération. − Quand on est simple spectateur, disait-il, l'imagination, vous savez, se frappe! (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 21).« Être utile, vraiment utile... Agir... »; il était venu à Paris avec cet espoir; et il enrageait de n'être qu'un spectateur, un enregistreur de propos, de nouvelles (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 376). − Loc. adv. En spectateur. Il ne fut pas envoyé à la légion: il s'y engagea. Assister à la guerre en spectateur lui parut impossible (Malraux, Conquér., 1928, p. 47).C'est un fait connu que le public aime la bagarre. Il l'aime d'autant plus qu'il se tient prudemment à l'écart, hors de portée et qu'il assiste au pugilat en spectateur (Coston, A.B.C. journ., 1952, p. 133). − P. métaph. [P. oppos. à acteur] Ainsi permettront-ils à leurs contemporains, à leurs concitoyens, de mieux comprendre les drames dont ils vont être, dont ils sont déjà, tout à la fois, les acteurs et les spectateurs (L. Febvre, Face au vent, [1946] ds Combats, 1953, p. 42). b) Celui, celle qui s'observe, se contemple. Voilà bien des années que je suis le spectateur pantelant de ma propre vie, comme je serais le spectateur d'une tragédie surnaturelle (Bloy, Journal, 1903, p. 169).À mesure que la résistance intérieure, en dépit d'elle-même, s'affermissait, ses gestes devenaient une agitation factice, sa rage s'exténuait par sa violence même. Elle redevenait par degrés spectatrice de sa propre folie (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 212). 3. Au fig. Chose abstraite considérée comme observateur, témoin. Là-dessus le droit commun est spectateur en quelque sorte, comme on voit par les maximes: « Le contrat est la loi des parties », et « Nul n'est tenu de rester dans l'indivision » (Alain, Propos, 1923, p. 462).La ténacité et la clairvoyance sont des spectateurs privilégiés pour ce jeu inhumain où l'absurde, l'espoir et la mort échangent leurs répliques (Camus, Sisyphe, 1942, p. 23). B. − 1. a) Celui, celle qui assiste à une représentation artistique, récréative, à une manifestation sportive, à une cérémonie. Spectateur de cinéma, de théâtre, de télévision (synon. téléspectateur) ; les applaudissements des spectateurs. L'ouverture des états généraux eut lieu le lendemain: on avait construit à la hâte une grande salle dans l'avenue de Versailles pour y recevoir les députés. Beaucoup de spectateurs furent admis à cette cérémonie (Staël, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 151).Une partie de l'ancienne clientèle de l'écran a disparu des salles. Par contre, une classe nouvelle de spectateurs est entrée pour la première fois dans les établissements de projection: celle qui fréquentait autrefois les théâtres (Arts et litt.,1935, p. 78-7). b) P. anal. Personne qui assiste à une action qui reproduit les formes, les conditions d'un spectacle par l'émotion, l'intérêt qu'elle suscite. Spectateur d'un duel, d'une exécution, d'un procès. Le peuple dans tous les pays jouit avec avidité de la vue des exécutions, et peut-être, de l'empressement à être spectateur des supplices, il y a peu de distance pour en devenir l'instrument (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1585). 2. Celui, celle qui regarde, qui examine une œuvre d'art. L'architecture a exercé le goût du spectateur (...). Mais il semble que certains arts soient spécialement adaptés à l'individu (Arts et litt., 1935, p. 84-1).Une bonne vitrine de musée doit être transparente pour bien laisser voir les objets, étanche pour ne pas laisser entrer la poussière. En outre, elle ne doit pas gêner les spectateurs en reflétant les objets environnants (Musées Fr., 1950, p. 20). 3. En partic. Personne de référence regardant un spectacle, observant ou contemplant une œuvre d'art. a) Personne imaginaire qui sert de référence pour la mise en place d'un lieu scénique, la construction d'une œuvre d'art. Le côté de la table qui fait face au spectateur est occupé par un grand fauteuil recouvert de drap d'or (Hugo, Ruy Blas, 1838, iii, 1, p. 390).Placées de plain-pied avec le spectateur, les figures de Rodin ne sont ni encadrées ni même reliées entre elles par un rythme unanime (Arts et litt., 1936, p. 18-1). b) [Avec un plur. ou un sing. coll.] Le public, l'assistance, l'auditoire. [Ces] taches de couleur impressionnistes (...) frappent bien plus sûrement le spectateur qu'un méticuleux trompe-l'œil (Lifar, Traité chorégr., 1952, p. 74). − En compos. ou en appos. Spectateur-acteur. Les spectateurs-auditeurs furent installés sur un amphithéâtre concave permettant à chacun de voir bien la scène, mais aussi livrant à chacun la vue réelle de la masse des assistants (Gds cour. pensée math., 1948, p. 487).De tels livres [« Histoire de la France et des Français »], en effet, se prêtent difficilement à une lecture suivie. Ils semblent conçus pour être feuilletés (...). Le lecteur spectateur peut passer à son gré d'une image à un texte (L'Express, 22 août 1977, p. 23, col. 1). C. − Empl. adj. 1. Qui regarde, assiste à un spectacle, un événement. Foule spectatrice. Cet enthousiasme universel passa dans le cœur de tous les chevaliers spectateurs de cette scène touchante: ils unirent leurs voix à celles du peuple et des soldats (Genlis, Chev. Cygne, t. 2, 1795, p. 321).Il y avait assez d'élégance dans les équipages, mais leurs couleurs en général, ainsi que l'air et les manières des piétons spectateurs avaient une teinte sérieuse qui ne disposait pas à la gaîté (Delécluze, Journal, 1825, p. 173). 2. Qui appartient à celui, celle qui regarde un spectacle, qui observe un événement, un phénomène. Tel est le phénomène composite, l'état de fait, instable et passager, auquel l'instinct spectateur confère un semblant d'unité en le prenant à son compte (Gaultier, Bovarysme, 1902, p. 173).[Le classicisme des grandes revues] a formé, accru notre avidité spectatrice (Colette, Jumelle, 1938, p. 108). REM. Spectatoriel, -elle, adj.,rare. Qui appartient au spectateur, qui vient du spectateur. La demande spectatorielle au cinéma (ReySémiot.1979). Prononc. et Orth.: [spεktatœ:ʀ], [spe-], fém. [-tʀis]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1372 masc. « celui qui assiste à un spectacle » (N. Oresme, Politiques d'Aristote, VIII, 13, éd. A. D. Menut, p. 356); 2. 1538 « qui voit une chose, en est témoin » spectateur masc. (G. Michel, Trad. de Justin, fo97 vods Gdf. Compl.); 1579 spectatrice fém. (H. Est., Precell. du lang. fr., p. 4, ibid.); 3. 1588 « celui qui assiste à une action, par opposition à celui qui la fait » (Montaigne, Essais, II, XXVII, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 696). Empr. au lat.spectator « celui qui a l'habitude de regarder, d'observer; spectateur au théâtre ». Fréq. abs. littér.: 1 852. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3 089, b) 1 651; xxes.: a) 1 533, b) 3 433. Bbg. Couperus (M.). La Terminol. appl. aux périod. et aux journalistes. In: Couperus (M.). L'Ét. des périod. anc. Paris, 1972, pp. 59-62. |