| SOUVENIR1(SE), verbe I. − Empl. impers., vieilli ou littér. Il me/te/vous souvient de/que. Rester en mémoire; revenir à la mémoire, à l'esprit. A. − [Le compl. d'obj. est un subst.] − Te souvient-il de notre extase ancienne? − Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne? (Verlaine,
Œuvres poét. compl., Fêtes gal., Paris, Gallimard, 1962 [1869], p. 121).Te souvient-il de l'aubade que les gondoliers te donnèrent l'an passé sous les fenêtres de ta belle? (Milosz, Amour. init., 1910, p. 207). B. − [Le compl. d'obj. est une complét. introd. par que] Honoré fut saisi d'anxiété, il lui souvenait que les soupçons du facteur s'étaient portés d'abord sur Tintin Maloret (Aymé, Jument, 1933, p. 135): 1. Faire entendre que l'art classique est un art qui s'oriente vers l'idéal du jeu, tant il est conscient de soi-même, et tant il préserve à la fois la rigueur et la liberté, c'est sans doute choquer; mais ce n'est, je l'espère, que choquer un instant, le temps même qu'il vous souvienne que la perfection chez les hommes ne consiste et ne peut consister qu'à remplir exactement une certaine attente que nous nous sommes définie.
Valéry, Variété IV, 1938, p. 46. C. − 1. [Le compl. d'obj. est un pron.; souvent en incise] Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure (Apoll., Alcools, 1913, p. 45): 2. ... Corinne se leva: elle portait une cravate rouge et un gilet broché. Il m'en souvient encore: elle était assise auprès de Madame Paturot. Sans s'inquiéter de l'auditoire choisi qui l'entourait, elle tira un briquet de sa poche, une pipe d'écume de mer et une bourse à tabac.
Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 210. 2. En partic. a) [Avec une valeur affective; exprime l'amertume, le ressentiment] Je ne vous dis rien de la Nouvelle Atala. Je l'ai avalée, il m'en souviendra! J'en ai eu le choléra-morbus pendant trois jours (Sand, Corresp., t. 1, 1831, p. 172). b) [À titre de précaution oratoire] L'usage des représentations gratis ne remonte pas très-haut: la première (autant qu'il m'en souvient) se donna en 1660, à l'occasion de la paix des Pyrénées (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 327).Pour autant qu'il m'en souvienne le récit de Pascuali tendait à prouver que les maléfices de Monsignore et de son fils avaient perverti à jamais l'âme de la population du faubourg (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 153). D. − [Le compl. d'obj. est un inf. passé] Ai-je aimé, ai-je haï? Il me souvient d'avoir ri et pleuré; jamais, cependant, je n'ai senti palpiter sous ma main le cœur meurtri ou joyeux de la réalité. Je n'ai vécu, en quelque sorte, que pour avoir à quoi survivre (Milosz, Amour. init., p. 8).Rien de plus pauvre que cette âme qui a perdu son corps. (...) Elle a tout dépouillé: pouvoir, vouloir, savoir, peut-être? Je ne sais même pas s'il lui peut souvenir d'avoir été, dans le temps et quelque part, la forme et l'acte de son corps? (Valéry, Variété [I], 1924, p. 197). E. − Empl. subst. de la formule. Alors commença entre nous la série de ces vous-souvient-il qui font renaître toute une vie (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 462). II. − Empl. pronom. A. − Qqn/qqc. se souvient de qqc./qqn/que.Avoir, garder, se remettre en mémoire. Synon. se rappeler (v. ce mot III), se ressouvenir.Se souvenir très/fort bien; se souvenir clairement, exactement, parfaitement; se souvenir confusément; se souvenir avec précision; se souvenir sans effort, sans peine; se souvenir avec bonheur , gratitude; se souvenir avec angoisse, avec déplaisir, avec honte, avec mélancolie de qqc./qqn. 1. [Le compl. prép. est un subst.] a) Se souvenir de qqc.Se souvenir d'une époque, d'une étape, d'un pays; se souvenir d'un déjeuner, d'un incident, d'une promenade; se souvenir d'une angoisse, d'une colère, d'une émotion, d'une impression; se souvenir d'un regard; se souvenir d'une date, d'une histoire, d'un jeu; se souvenir d'une lettre, d'un mot, d'une phrase, d'un passage; se souvenir d'une décision, d'une promesse.
α) Avoir présent à l'esprit, avoir en mémoire quelque chose; avoir gardé le souvenir de quelque chose. Anton. oublier.Madame... Madame... Bon... je ne me souviens plus du nom de la propriétaire de ce château. − Beauchamp, fit le maire. MmeBeauchamp (Bernanos, Crime, 1935, p. 766). − [Le compl. prép. désigne une époque ou un fait du passé] Je me souviens de cette aventure comme si elle était d'hier (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 14).Oh! Je voudrais tant que tu te souviennes des jours heureux où nous étions amis. En ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui Les feuilles mortes se ramassent à la pelle... Tu vois je n'ai pas oublié Les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi (Prévert, Soleil de nuit, Les Feuilles mortes, Paris, Gallimard, 1980 [1947], p. 58).V. oublieux1ex. 1. ♦ [Constr. avec un compl. d'obj. dir. p. anal. avec se rappeler qqc.] Hector Martin, dont on se souvient la course magnifique de 1925 (...) mérite amplement sa qualification (La Pédale, 7 sept. 1927, p. 16, col. 2). ♦ [Le compl. prép. désigne une œuvre littér.] Te rappelles-tu quand nous lisions Hernani tous les deux?... Je répondis: Et si vos échafauds sont petits, changez-les!... − Comment!... fit l'abbé Duplessis étonné − tu te souviens de ça!... Tu l'as relu?... Non... je ne crois pas (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 138).Relu David Copperfield (dont, du reste, je me souvenais à merveille), mais qui n'est pas le roman de Dickens que je préfère (Gide, Journal, 1943, p. 256). − P. métaph. L'air immobile, le courant alangui se souviennent de la chaleur du jour. Chaque reflet d'astre allume sur l'eau calme une perle oblongue et nacrée (Genevoix, Routes avent., 1958, p. 220).P. plaisant. Un brave homme berçait sur ses genoux quelques poissons de rivière (...) qui se souvenaient trop de leurs vases natales (Colette, Pays. et portr., 1954, p. 187).
β) Se remettre en mémoire; faire ressurgir, retrouver le souvenir de quelque chose. Synon. se remémorer. − [Le compl. prép. désigne une époque, un moment, un fait du passé] Bernard tout à coup se souvint de leur conversation de la veille, et en particulier de certains mots d'Olivier, qu'il avait à peine écoutés mais qu'il réentendait à présent d'une manière distincte (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1180): 3. Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure...
Verlaine, Poèmes saturn., 1866, p. 73. ♦ Se souvenir du bon temps. Moi qui suis l'homme des songeries, avec quelle reconnaissance je me souviens du bon temps où j'allais passer aux Andelys les vacances de Pâques (Flaub., Corresp., 1861, p. 426).
γ) Évoquer ce que l'on avait gardé en mémoire. Djala, accroupie près du mur, se souvint des chants d'amour de l'Inde: « Chrysis... » Elle chantait d'une voix monotone. Chrysis, tes cheveux sont comme un essaim d'abeilles suspendu le long d'un arbre (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 21). b) Se souvenir de qqn.On était sept comme à présent, dont le grand Chamoson, vous vous souvenez de lui? Non, vous ne pouvez pas vous souvenir de lui, vous êtes trop jeunes (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 68).Gisors, roulant toujours sa cigarette entre ses genoux, la bouche entrouverte, s'efforçait de se souvenir de l'adolescent d'alors. Comment le séparer, l'isoler de celui qu'il était devenu? (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 226). − Synon. de penser à (v. penser1IV A 2 a).Allez donc sans moi, camarades bien-aimés, et souvenez-vous quelquefois de votre pauvre frère Michel, qui se souviendra toujours de vous (Nodier, Fée Miettes, 1831, p. 95).Je me sens plus oublié que jamais. (...) Je suis entre deux villes, l'une m'ignore, l'autre ne me connaît plus. Qui se souvient de moi? Peut-être une lourde jeune femme, à Londres... et encore, est-ce bien à moi qu'elle pense? (Sartre, Nausée, 1938, p. 212). c) [Avec attribut du compl. prép.] Se souvenir de qqc. comme.Je me souviens d'octobre et novembre 1943 comme des mois les plus sombres, pour la situation morale, de notre séjour polonais (Ambière, Gdes vac., 1946, p. 314).De cette nuit, je me souviens comme d'un cauchemar (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 181). 2. a) [Suivi d'une complét. introd. par que] Je n'oublierai jamais dans quelle circonstance vous m'êtes venu en aide et (...) je me souviendrai toujours que je vous dois la vie ou à peu près (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 553).V. mémoire1I A ex. de Barante: 4. Te souviens-tu, disait un capitaine au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine
Tu détournas un sabre de mon sein?
(...)
Je m'en souviens, car je te dois la vie; mais toi, soldat, dis-moi,
T'en souviens-tu?
Adam, Enf. Aust., 1902, p. 256. Je crois me souvenir que. Il entre dans mes plans (...) de recevoir beaucoup de monde, et je crois me souvenir que vous aimez une vie douce et tranquille (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 240).Le bruit courut qu'un festin avait eu lieu de nuit chez l'un d'eux (...). Renvoi à leur famille de trois nouveaux dont je crois me souvenir que deux furent repris dans un autre séminaire (Billy, Introïbo, 1939, p. 32).♦ [À la forme nég.; pour exprimer une certitude] Je ne me souviens pas que... jamais. Mon père avait, lui aussi, ce même rire, et parfois MlleShackleton et lui entraient dans des accès d'enfantine gaîté, auxquels je ne me souviens pas que s'associât jamais ma mère (Gide, Si le grain, 1924, p. 365). b) En partic. Prendre subitement conscience d'un fait connu mais provisoirement occulté. Tout en pensant à ses folies et à son malheur, il regardait les lieux de façon à ne jamais les oublier. Il se souvint alors seulement qu'il n'avait point entendu le marquis dire au laquais le nom de la rue (Stendhal,Rouge et Noir,1830, p. 375).− « Qu'est-ce que tu fais donc, toute la journée? » demanda-t-elle. − « Moi? rien. Je me terre, pour ne pas voir ces gens qui viennent. » Alors elle se souvint que M. Thibault était mort, et pensa au deuil de Jacques (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1316).En incise. Ximénès boitant toujours (Puig se souvint que ses hommes l'appelaient le vieux canard) marchait de nouveau vers l'hôtel, seul parmi les balles au milieu du square immense (Malraux, Espoir, 1937, p. 456). ♦ S'aller souvenir que (vx). Même sens. J'étais gai ce matin, dans mon lit, en me réveillant. Je me suis allé souvenir que c'était dimanche (Stendhal, Journal, 1806, p. 269). c) [La complét. désigne une prescription pour l'avenir] Guérin m'écrit qu'on commence à songer à la réimpression. Voudrez-vous vous souvenir que la dédicace doit être en deux alinéas, le premier alinéa finissant au mot poëte (Hugo, Corresp., 1864, p. 471). 3. [Suivi d'une prop. interr. indir.] ♦ Se souvenir combien.Je me souviens combien me frappait naguère le mot profond que me disait à son sujet [au sujet de Tolstoï] Berenson (Du Bos, Journal, 1924, p. 59). ♦ Se souvenir comme.Je voudrais apporter ici chaque matin nos œufs, notre crème et notre lait fumant. Tu te souviens, Stamply, comme madame la marquise l'aimait, notre crème! (Sandeau, Mllede La Seiglière, 1848, p. 13).La lagune est claire, on est au printemps. Je me souviens comme l'eau du lac de Côme tremblait en avril, les petites vagues respiraient (Jouve, Paulina, 1925, p. 168). ♦ Se souvenir comment.Il la rencontrait souvent rue de Belleville. Il ne se souvenait plus très bien comment ils avaient fait connaissance (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 79). ♦ Se souvenir si.Lorsque l'ange lui dit: « Viens », il se leva docilement et le suivit (...). Il chercha plus tard à se souvenir si l'ange l'avait pris par la main; mais en réalité ils ne se touchèrent point et même gardaient entre eux un peu de distance (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1208).Je ne me souviens pas si je lui parlai le premier, dit le grand initié, ou si ce fut lui qui m'interrogea; mais j'ai la mémoire toute fraîche, comme si je l'écoutais encore (Fulcanelli, Demeures philosophales, t. 1, 1929, p. 114). 4. [Suivi d'une expr. adv. superl.] Je vais à présent parler de ce que j'ai vu. Le plus loin dont je me souvienne, c'est qu'étant à Angers, ma mère nous mena, ma sœur et moi, à la promenade (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 105).Ah! que la Vie est quotidienne... Et, du plus vrai qu'on se souvienne, Comme on fut piètre et sans génie (Laforgue, Poés., 1887, p. 134). 5. [Suivi d'un pron.] Un beau jour, je m'en souviendrai toute ma vie, Charlot et Henriette s'en allèrent pour ne plus revenir (Janin, Âne mort, 1829, p. 96).Ce que furent les dix jours de remontée de ce fleuve, je m'en souviendrai longtemps (Céline, Voyage, 1932, p. 204). 6. [Suivi d'un inf.] a) Se souvenir de + inf. passé.Je me souviens (...) d'avoir été témoin d'un fait fort étonnant et difficile à croire: mais je l'ai vu, voici l'histoire (Florian, Fables, 1792, p. 61).Si la crainte seule de mal prier peut empêcher de prier, que penser de ceux qui ne savent pas prier, qui se souviennent à peine d'avoir prié, qui ne croient pas même à l'efficacité de la prière? (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 436). ♦ [À la forme nég.; pour exprimer une certitude] Madame Vigneron: − Asseyez-vous, madame, et dites-moi d'abord comment vous allez. Madame de Saint-Genis: − Bien. Tout à fait bien. Je ne me souviens pas de m'être mieux portée (Becque, Corbeaux, 1882, i, 4 , p. 72).Ne pas se souvenir d'avoir (jamais) vu. Quoiqu'il fût grand apôtre de charité, et que ses parents lui eussent laissé un beau revenu, je ne me souviens pas de l'avoir vu donner un sou à un pauvre (About, Roi mont., 1857, p. 14).Il regardait avec une surprise grandissante les deux yeux fixés sur lui, où brillaient les dernières larmes (...). Le juge ne se souvenait pas d'en avoir jamais vu de pareils, ni qui l'eussent ému si profondément (Bernanos, Crime, 1935, p. 807). − Se souvenir + inf. passé.[P. anal. avec se rappeler + inf. passé] Quand, la salle une fois vidée, le gardien fut venu l'inviter à sortir à son tour, il se souvient avoir marché devant lui très vite et très loin (Bourget, Disciple, 1889, p. 238).Adressant (...) une homélie à des étudiants, je me souviens avoir emprunté mon texte au prophète Isaïe, XXVI, I 8 (Marrou, Connaiss. hist., 1954, p. 14). b) Se souvenir de + inf. prés.Je me souvenais bien d'avoir quelque chose à te dire mais ne me souvenais plus de quoi (Gide, Corresp.[avec Valéry], 1896, p. 280). B. − Absol. L'absence unit et désunit, elle rapproche aussi bien qu'elle divise, elle fait se souvenir, elle fait oublier (Fromentin, Dominique, 1863, p. 16): 5. Il y a une différence entre « se souvenir » et « ne pas oublier »; le souvenir n'est pas l'exact opposé de l'oubli. Il en résulte qu'on peut ne pas avoir oublié et pourtant ne pas se souvenir: c'est resté enfoui quelque part. Mais aussi l'inverse est vrai: on peut avoir oublié et pourtant se souvenir. C'est cette deuxième possibilité que le rituel actualise. On se souvient de quelque chose qui en fait a été oublié.
H. Atlan, Mém. et hist., Colloque des intellectuels juifs, 1986, p. 29. ♦ Se souvenir à haute voix. Évoquer ses souvenirs au fur et à mesure qu'ils ressurgissent, les énoncer à haute voix. Durant toute la soirée, le marquis parla, parla. Il goûtait cette consolation, la seule possible dans certaines crises, de se souvenir à haute voix (Bourget, Disciple, 1889, p. 231). ♦ [Dans un dialogue] Il demanda: Comment t'appelles-tu? − Georges. − C'est vrai. Je me souviens. Christophe-Olivier-Georges (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1496).Alain, rappelle-toi: quand nous étions petits, nous nous amusions déjà à nous faire peur en ouvrant ce tiroir, tu te souviens? (Alain fait signe que non.) Non? voyons, c'est impossible que tu aies oublié! (Mauriac, Mal Aimés, 1945, ii, 8, p. 209). − P. métaph. Le Rhin est un fleuve qui se souvient. Pour ses riverains il y a un passé qui ne saurait mourir tout à fait, qui devient légendaire et poétique (Barrès, Génie Rhin, 1921, p. 23). C. − En partic. [Pour préciser, démontrer, argumenter] 1. [Dans un dialogue] Voici le plus beau: Rose apprend la maladie de Nana (...). Tu te souviens comment elles se détestaient; deux vraies furies! eh bien, ma chère, Rose a fait transporter Nana au Grand-Hôtel, pour qu'elle mourût au moins dans un endroit chic (Zola, Nana, 1880, p. 1472).De nouveau je cède à la rage. Elle me ramène au point où je m'étais interrompu: il faut remonter à la source de cette fureur, me rappeler cette nuit fatale... Mais d'abord, souviens-toi de notre première rencontre. J'étais à Luchon, avec ma mère, en août 83 (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 41). 2. [Dans le cours d'un récit, d'un exposé] Le lecteur se souvient peut-être de l'amour que Fabrice portait à un marronnier planté par sa mère vingt-trois ans auparavant (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 161).Que nos lecteurs veuillent se souvenir de ce que nous disions, dans notre précédent entretien, à propos de la création organique et des animaux vertébrés (Viollet-Le-Duc, Archit., 1863, p. 458). ♦ [Avec suj. indéterm.] On se souvient que Cosette était utile aux Thénardier de deux manières, ils se faisaient payer par la mère et ils se faisaient servir par l'enfant (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 453).Quand on se souvient que, sous l'équateur, se tromper de 4 minutes de temps dans la longitude entraîne un écart de 111 kilomètres, on se doute du niveau auquel devaient atteindre les erreurs de navigation (P. Rousseau, Hist. transp., 1961, p. 142).En incise. Il craignait que le comte et les siens ne se fussent mis à la fenêtre pour assister à son agonie. Mais, on s'en souvient, le comte et Baccarat avaient détourné la tête (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 482). ♦ [À l'inf., en guise d'injonction] Se souvenir que: par temps froid, il y a intérêt à faire tourner le moteur à la manivelle (...) pendant quelque temps, cette opération se nomme « dégommage du moteur » (Chapelain, Techn. automob., 1956, p. 324). − [En incise, à titre de précaution oratoire] Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient (Rimbaud, Saison enfer, 1873, p. 211).Mon premier contact avec Zarathoustra, dans la traduction il est vrai, eut lieu si je me souviens bien en janvier 1900 (Du Bos, Journal, 1924, p. 13). − [À la forme interr., à titre d'argument] Au fond, j'aime mieux cent absurdités atroces qu'un seul pendu. Qui se souvient d'une absurdité deux ans après le numéro du journal officiel? (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 119).Troisième constatation: Molière à part, les plus grands succès de comédie ne correspondent pas forcément à la plus grande célébrité posthume de l'auteur. Qui se souvient aujourd'hui de Dancourt et surtout d'Hauteroche? (Arts et litt., 1935, p. 76-11). D. − [Gén. avec ell. du pron.] Vieilli. Faire (se) souvenir 1. [Le suj. désigne une pers.] Faire revenir à l'esprit, remettre en mémoire par ses propos. Synon. rappeler (v. ce mot I C 1 a).Il venait, après une étape fabuleuse, de retrouver l'atmosphère déconcertante de Paul et d'Élisabeth. Élisabeth l'avait réveillé, l'avait fait se souvenir que la faiblesse de son frère se compliquait de caprices cruels (Cocteau, Enfants, 1929, p. 33). − [L'obj. de l'action désigne une action à faire dans l'avenir] Faire souvenir à qqn de + inf.Synon. Faire penser à.Je ne vous ai pas dit que tous les jours à cinq heures et demie, il faut vous habiller. Julien le regardait sans comprendre. − Je veux dire mettre des bas. Arsène vous en fera souvenir (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 242). 2. [Le suj. désigne une chose ou une pers.] Faire (re)venir à l'esprit par une association mentale. Synon. rappeler (v. ce mot I C 2). a) [Le suj. et l'obj. de l'action sont liés dans l'expérience du locuteur] Remettre en mémoire. J'oubliais tout près de vous... Un homme vint, et me fit souvenir de tout... Il vous offrit un rang, un nom dans le monde... Et me rappela, à moi, que je n'avais ni rang ni nom à offrir à celle à qui j'aurais offert mon sang (Dumas père, Antony, 1831, ii, 5, p. 186).Face à face Au fumet des ragoûts, ce soir, nous prendrons place; Et le cidre, le vin, le lard, les venaisons Nous feront souvenir des anciennes chansons (Brizeux, Marie, 1840, p. 58). b) [Le suj. et l'obj. de l'action sont liés par une anal.] Suggérer, faire penser à. Petit, trapu, mal bâti et laid de visage, il joint à ces désavantages celui d'avoir une voix rauque et gutturale qui me faisait souvenir parfois des cris horribles que font les cochers anglais pour exciter leurs chevaux (Delécluze, Journal, 1828, p. 490).Ces hautes montagnes lointaines, nues et arides, dominant sur de riches plaines, les encadrent d'une manière sévère et font souvenir de la charpente colossale dont la main divine soutient ces paysages riants (Michelet, Journal, 1830, p. 68). E. − P. méton. Manifester qu'on n'a pas oublié. 1. [Se souvenir dans une intention partic.] Qqn se souvient de qqc./qqn. a) Se souvenir d'un rôle. Être capable de réciter les répliques d'un personnage de théâtre, de refaire les gestes de son rôle. Il avait devant lui le même « trou » que le comédien qui ne se souvient plus de son rôle (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 535). b) Se souvenir d'une thèse, d'une théorie. Retenir, prendre en compte une thèse, une théorie; la faire sienne. C'est (...) la fragilité de ce raisonnement qui explique comment la pensée de Rousseau s'est finalement dissociée en deux courants et comment, de ceux qui l'ont lu, les uns se sont surtout souvenus de l'affirmation relative à la liberté et aux droits individuels, alors que les autres ont surtout retenu la toute puissance de l'État (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 23). c) Se souvenir d'une étape antérieure de sa vie. Retrouver les sentiments, le comportement de celui que l'on a été. Mademoiselle de Quinconas fut sur le point de s'allonger sur le sol pour mettre l'œil à la chatière. M. l'abbé Puce ne le souffrit pas. « − Permettez, mademoiselle! » dit-il; « permettez!... » Voilà M. le curé à quatre pattes, fermant un œil, ouvrant l'autre, se souvenant d'avoir été gamin (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 234): 6. La porte se referma et notre intimité sembla soudain meilleure, la chaleur plus douce (...). Rares instants où l'on se souvient d'avoir été un homme, d'avoir été un maître, le plus puissant de tous: son maître. Un feu qui flambe, une table, une lampe, voici le passé qui revient...
Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 242. d) Se souvenir de son Créateur. Savoir que l'on a un Créateur, obéir à ses prescriptions. Les hommes de guerre combattent et meurent sans presque se souvenir de Dieu (Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, p. 215).Il faut se souvenir de son créateur dès la jeunesse et ne pas attendre, pour le faire, les jours mauvais, avant que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1011). e) Se souvenir d'un fait du passé. Tenir compte d'un fait du passé, en tirer les conséquences. Et Votre Majesté croit pouvoir compter sur les soixante mille Autrichiens, Prussiens et Espagnols qui marchent dans l'armée? (...) Votre Majesté ne craint pas qu'ils ne se souviennent de Wagram, d'Iéna et de Saragosse! (Dumas père, Napoléon, 1831, iii, 5etabl., 1, p. 52). ♦ [Pour exprimer une menace] Je m'en souviendrai! Manuel: Oh! tu peux faire le malin: tu seras peut-être bien content, un jour ou l'autre, de venir me chercher, toi! Jimmy: Oui, oh! bien pour ce qu'on te trouve quand on vient te chercher... Manuel: Bon! très bien! Je me souviendrai de ça! (Bourdet, Sexe faible, 1931, i, p. 252). f) Se souvenir de sa condition. Se comporter avec la dignité attachée à sa condition, avec le respect dû à celle de son interlocuteur. Luisa! (...) Souviens-toi que tu es la fille de Strozzi! (Dumas père, Lorenzino, 1842, iv, 3, p. 264): 7. jimmy: − C'est une vieille chipie: elle a toujours quelque chose de désagréable à vous dire! isabelle: − Avec ça que vous êtes tellement gentils pour elle, toi et tes frères! (...) Vous pourriez bien vous souvenir que c'est votre belle-mère, après tout!
Bourdet, Sexe faible, 1931, p. 260. ♦ [P. allus. à Eccl., III, 20] Ô homme! disoit le prêtre, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 318). 2. [Le souvenir s'exprime dans une réalisation concr.] a) Qqn se souvient de qqn/qqc.Reproduire dans une œuvre, dans un objet des traits empruntés à un autre créateur, à un autre objet. Charmante aussi la partition de Javotte (Lyon, 1896), où le compositeur s'est souvenu de Delibes (Dumesnil, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 154).Froment-Meurice a créé le berceau du prince impérial, fils de Napoléon III (...); il s'était souvenu du berceau de vermeil et de nacre ayant appartenu au roi de Rome (Grandjean, Orfèvr. xixes., 1962, p. 55). b) Qqc. se souvient de qqc./qqn.Reproduire des traits empruntés à une autre œuvre ou à l'auteur ou au créateur de celle-ci. Mon grand-père et ma mère avaient dû garder le souvenir de ce genre de chalets; certains détails, à Valbois, dans les choses construites par eux, se souviennent de ces maisons savoisiennes, comme aussi des chalets suisses (Larbaud, Journal, 1931, p. 244).Le roman de la classe riche a été tenté sans indulgence par Paul Hervieu, dans Peints par eux-mêmes, roman par lettres qui se souvient de Laclos (Thibaudet, Hist. litt. fr., 1936, p. 438). REM. Souvenant, -ante, part. prés. en empl. adj.,rare. Qui garde le souvenir matériel de l'impression faite par quelque chose. De la porter [Judith], contre moi, eh bien, j'en ai les bras plus fatigués, plus souvenants que pour l'échelle, pour mon attelage (La Varende, Nez-de-cuir, 1936, p. 107). Prononc. et Orth.: [suvni:ʀ], (il se) souvient [suvjε
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1100 impers. suvenir a (qqn de qqc) « avoir en mémoire quelque chose » (Roland, éd. J. Bédier, 3488: De grant dulor li poüst suvenir); ca 1140 sovenir (Voyage de Charlemagne, éd. G. Favati, 625: unc ne lur en sovint); 2. a) ca 1265 mode personnel, le sujet est un inanimé (Brunet Latin, Trésor, éd. F. J. Carmody, p. 30: Mais de la beatitude ne se sovient ele [la mémoire] par ymagination, mais par lui meisme); b) ca 1265 le sujet est une personne (Id., ibid., p. 321), d'abord rare, l'empl. pronom. se répand au xvies. B. 1. Ca 1130-40 avec valeur d'acte volontaire « évoquer, rappeler à sa mémoire » (Wace, Sainte Marguerite, éd. E. A. Francis, A, 650: Qui en jugement mis sera Et de mon non li souvenra, Par mon non li fai ensement Que mal n'ait par faus jugement); 2. a) 1176-81 impér. « graver dans sa mémoire » (Chrétien de Troyes, Chevalier lion, éd. M. Roques, 1335: soiez por vos an cusançon, et de mon consoil vos soveigne); b) ca 1500 avec valeur de menace (Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, t. 3, p. 190: Souviengne vous de Guynegate!). C. Ca 1250 faire souvenir (qqn de qqc.) (Robert de Blois,
Œuvres, III, 122, 1292 ds T.-L.). Du lat. subvenire (de sub « sous » et venire « venir ») « survenir, se présenter à l'esprit (en parlant d'idées) » (v. OLD), ext. du sens originel « survenir, venir subrepticement », qui a donné par ailleurs le sens de « venir en aide, secourir » (v. subvenir); le passage du mode impers. au mode pers. s'est effectué aux xiieet xiiies. pour la plupart des verbes qui en a. et m. fr. rendaient compte du concept de « se souvenir », s'amembrer de qqc. (ca 1165, v. K. Brademann, Die Bezeichnungen für den Begriff des « Erinnerns » im Alt-und Mittelfranzösischen, p. 123), se membrer de (1160-74, ibid., p. 66), puis se remembrer de, se ramembrer de, se racorder (xiiies., ibid., pp. 83, 107, 134), mots qui ont disparu aux xvie-xviies. au profit de souvenir et rappeler (v. aussi K. Baldinger, Vers une sém. mod., pp. 136-167). Bbg. Baldinger (K.) Sém. et struct. conceptuelle. Cah. Lexicol. 1966, t. 8, pp. 3-46; Se rappeler, se souvenir. Mél. Grévisse (M.). Gembloux, 1966, pp. 21-37. − Chocheyras (J.). Il me souvient et je me souviens... In: Autour de l'impersonnel. Grenoble, 1985, pp. 35-50. |