| SOUILLER, verbe trans. A. − Littér. Salir, couvrir d'une matière ou de quelque chose qui tache. 1. [Le suj. désigne une pers.] Qqn souille qqc.Souiller sa robe, sa pèlerine, ses bottes. Sous le prétexte de toisés et de vérification, on oblige un homme à mener la vie du couvreur (...) on demande son avis au haut d'un échafaudage, on le pousse sur des échelles mal fixées, on le promène d'un étage à l'autre au milieu des plâtras et des gravois, on souille ses vêtements de peinture, on les saupoudre de plâtre (Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 245).Pendant toute notre vie ensemble, nous ne nous sommes pas couchés une fois sans les pieds lavés, de peur de souiller les draps et même la chambre où je ne voulais pas une tache (Pesquidoux,Livre raison, 1932, p. 23). 2. [Le suj. désigne la chose qui salit] a) Qqc. souille qqc.Il pleut à verse (...) cela souillerait nos pourpoints (Dumas père, Halifax, 1842, prol., 5, p. 9).Nulle étoffe ne dissimulait les ustensiles sous la toilette, et des moustiques écrasés souillaient le papier de tenture (Mauriac,Baiser Lépreux, 1922, p. 171). − Empl. pronom. On dit que le désert se souvient de leur nom, à l'endroit où le Nil se souille de limon (Quinet,Napoléon, 1836, p. 266). − Au passif. Ce qui l'affligeait surtout, c'était le sort des coussins roses gisant ça et là, déchirés et souillés de poussière (Gautier,Tra los montes, 1843, p. 59).Avant de gagner les chambres, Renée vide le poêle et balaie la boutique dont le carrelage est déjà souillé de mégots ou de crachats (Dabit,Hôtel Nord, 1929, p. 49). b) Qqc. souille qqn, une partie du corps de qqn.[Germinie] laissait la cuisine, la fumée, le charbon, le cirage, la souiller et s'essuyer après elle comme après un torchon (Goncourt,G. Lacerteux, 1864, p. 173).Il avait ébauché un tableau qui, s'il avait pu l'achever, aurait été son chef-d'œuvre: la scène où la malheureuse Électre essuie l'écume qui souille la bouche de son frère (France,Dieux ont soif, 1912, p. 264). − Au passif. Beaucoup de soldats ont débouclé les courroies du sac et fait glisser leur chargement au creux de leurs reins; les épaules plient, les visages sont souillés de poussière et de sueur (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 739). ♦ Souillé de + inf.Debout, en tablier de ménage, les cheveux défaits, les joues souillées d'avoir pleuré, elle dévisageait son homme avec des yeux fous (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 637). 3. Empl. pronom., VÉN. Se vautrer dans la fange, la boue. Pour les sangliers isolés, il n'en est pas de même : la panse garnie, ceux-ci prennent le chemin des écoliers, vermillant ici, se souillant là (Vidron,Chasse, 1945, p. 103). B. − En partic. 1. [Le suj. désigne la chose qui souille] Contaminer, infecter quelque chose. a) Qqc. souille qqc.Altérer, corrompre la pureté d'une substance, d'un corps. Synon. polluer.Achard râpait la betterave, pressait la pulpe et ajoutait au jus une quantité d'acide sulfurique afin d'éliminer la majeure partie des impuretés organiques qui souillaient le jus (Rouberty,Sucr., 1922, p. 13).Le sodium vient rapidement souiller le mercure dès que les deux compartiments sont réunis par un fil conducteur du courant (Cl. Duval, Verre, 1966, p. 26). − Au passif. L'argile figuline (...) est toujours plus ou moins souillée de fer (Al. Brongniart, Arts céram., t. 1, 1844, p. 61).Cette première opération terminée, et après avoir changé l'eau, si elle a été souillée par d'abondantes mucosités ou par les déjections de la femelle, on saisit immédiatement un mâle, et l'on extrait par le même procédé quelques gouttes de laitance (Code pêche fluv., 1875, p. 120). b) Qqc. souille qqc. ou qqn.Infecter, contaminer un organisme, une matière, un objet stérile. Au sortir du pis de la vache, le lait n'est pas absolument stérile, car dans les conduits galactophores les microbes de la peau ont pu pénétrer et souiller le lait au moment de sa sortie (Macaigne,Précis hyg., 1911, p. 237): 1. Il est évident que ces particules bacillifères (...) qui vont parfois souiller la peau du visage ou des mains des personnes obligées de vivre dans le voisinage immédiat des malades tousseurs et cracheurs, constituent une source de contagion continuelle des plus graves.
Calmette,Infection bacill. et tubercul., 1920, p. 137. − Empl. pronom. Non seulement il ne le repousse pas, mais il l'accueille, il porte sa main compatissante sur ses plaies − se souillant lui-même pour le nettoyer − (Monod,Sermons, 1911, p. 199). − Au passif. Pour le lait, on commence par laver la mamelle, puis on trait en rejetant les premiers jets souillés par des germes venus de l'extérieur (Brion,Jurispr. vétér., 1943, p. 272). 2. [Le suj. désigne un animal, une pers.] Salir de déjections, d'excréments. Les blaireaux occupent de véritables logis, distribués, aérés, percés de couloirs, avec des chambres garnies de lits d'herbes moelleux, le tout d'une propreté extrême. Ils ne souillent jamais leur demeure (Pesquidoux,Chez nous, 1923, p. 134).Ce que je vois au bout de ce grand chemin de France qui va tout droit entre ses platanes sous le chaste azur, ce sont les trottoirs de mon quartier que les cabots souillent (Mauriac,Mém. intér., 1959, p. 28). − Empl. pronom. réfl. En pleine nuit l'enfant se dresse sur son lit, et sans se réveiller complètement hurle de peur: il est en proie à un onirisme terrifiant, dont la présence des parents, qu'il ne reconnaît pas et intègre dans ses hallucinations, ne peut le faire sortir; il est couvert de sueurs, parfois vomit ou se souille (Lafon1969). − Au passif. [L'édifice] était là dans son coin, morne, malade, croulant, entouré d'une palissade pourrie souillée à chaque instant par des cochers ivres (Hugo,Misér., t. 2, 1862, p. 158). C. − RELIG. Rendre impure une personne; profaner, violer une chose sacrée. Souiller un autel. 1. [Le suj. désigne une pers.] Il est étranger et par conséquent sa seule présence souille le sacrifice (Fustel de Coul.,Cité antique, 1864, p. 302).Tu as blasphémé, Caïus (...) Tu souilles le ciel après avoir ensanglanté la terre (Camus,Caligula, 1944, iii, 2, p. 165). − Empl. pronom. réfl. Les Athéniens ne font rien d'agréable aux puissances célestes (...) Ils se sont souillés chez les Lydiens d'impiétés horribles (France,Voie glor., 1915, p. 68). 2. [Le suj. désigne la chose qui profane, rend impur] Laver, purger ce qui souille toute âme et qui la diffame devant Dieu. Laver, purger ce qui souille toute âme (Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 1, 1840, p. 348).Selon certains Indonésiens, « un nuage impur » environne le mort et souille tout ce qui l'atteint d'un contact matériel ou seulement mental par le souvenir (J. Vuillemin,Essai signif. mort, 1949, p. 249). − Au passif. Bénissez-moi, monsieur, lui dit-il, car je viens à vous souillé d'un grand crime (Sand,Lélia, 1833, p. 303).Dans certains pays, elle [la femme] est regardée comme impure, souillée par l'enfantement, elle est exclue des services religieux ou n'y participe que de loin (Chardonne,Attach., 1943, p. 22). D. − Au fig. 1. Avilir, flétrir, salir une personne, ses attributs, ses affects. Souiller le nom, l'innocence, la vie de qqn. a) [Le suj. désigne une pers.] Il souillait et salissait à plaisir la mémoire et la réputation de ces femmes! (Lorrain,Phocas, 1901, p. 389).Elle me souille en m'obligeant à une nourriture dite de gourmet, à laquelle je ne tiens pas et que je réprouve (Montherl.,Lépreuses, 1939, p. 1409). − Empl. pronom. réfl. Quarante ans environ se passèrent ainsi. Mais un jour la famille royale se souilla d'un crime (Fustel de Coul.,Cité antique, 1864, p. 312).Ceci est plus attristant que Moréas, car c'est un génie qui prend plaisir à se souiller (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière], 1906, p. 126). − Au passif. Pensez-vous, monsieur le Capitaine, que les deux cents forçats qui rament tout nus sur la couverte par tous les temps, mal nourris, mal traités, et souillés de toutes les manières se fassent une bien haute opinion de notre miséricorde (Aymé,Vogue, 1944, p. 34). − En partic. Violer, déshonorer une femme, un enfant. Les lettres [de Chine] de nos guerriers sont fort lugubres. Dans tous les villages où ils arrivent, les femmes se tuent pour n'être pas souillées par les diables étrangers (Mérimée,Lettres Panizzi, t. 1, 1860, p. 147).On dit aussi, mais cela je ne veux pas le croire, que vous attiriez des enfants chez vous pour les souiller (Camus,Possédés, 1959, 2epart., 6etabl., p. 1008). ♦ Vieilli. Commettre l'adultère, avoir des relations sexuelles coupables. Souiller le lit, la couche nuptiale. Une femme ne sait ce qu'elle fait lorsqu'elle trompe un jeune homme qui n'a jamais été trompé; elle ne sait pas où elle l'envoie, au sortir de ce lit qu'elle souille (Musset,Confess. enf. s., 1836, p. 60).Empl. pronom. Ils vécurent proche du paradis jusqu'à l'an mille, menant la vie des anges. L'auteur premier de tous les maux, ne supportant pas leur genre de vie, les poussa à se souiller avec les filles de Caïn (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 379). b) [Le suj. désigne la chose qui avilit, salit] On dirait qu'ils font effort pour sortir de l'erreur et de l'ignorance qui les souillent autant que la boue, et qu'ils veulent enfin savoir pourquoi ils sont châtiés (Barbusse,Feu, 1916, p. 364). − Empl. abs. Mais tu ne sais rien encore. Vivre sous cet habit qui souille et déshonore, Avoir perdu la joie et l'orgueil, ce n'est rien (Hugo,Ruy Blas, 1838, i, 3, p. 352).[Chéri] méprisait la vérité depuis un jour d'autrefois où elle était sortie de sa bouche comme un hoquet, pour souiller et pour nuire (Colette,Fin Chéri, 1926, p. 11). − Souiller/être souillé du sang de..., souiller/être souillé de sang. Salir, avilir, être sali, avili par un crime honteux, un meurtre. Le premier il osa défendre avec un zèle infatigable l'humanité plaintive dans ces sanctuaires de la justice, si longtemps souillés du sang de l'innocence (Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 492).Oui, c'est la première fois que les mains d'un homme entrent ici chargées d'or sans être souillées de sang (Hugo,Han d'Isl., 1823, p. 143).Ah! les dieux immortels Voudront-ils t'épargner et détourner leur haine D'un père injurieux qui souille les autels Du sang de ses enfants? (Moréas,Iphigénie, 1900, iv, 4, p. 132). ♦ Empl. pronom. Celui qui s'est souillé du sang d'un homme, Le sang de quelque victime nouveau-née doit le purifier (Claudel,Euménides, 1920, ii, p. 963). − Souiller + subst.Se compromettre, se déshonorer dans une entreprise vile, hasardeuse. L'illustre Diderot, qui ne souille point ses mains d'un travail mercenaire et dédaigne les petits gains usuriers (Guéhenno,Jean-Jacques, 1952, p. 308): 2. On a vu saint François de Sales causant avec plusieurs, parlant à tous de Dieu et de l'amour, mais aussi s'accommodant de mille choses accessoires, les tolérant et les acceptant presque, traversant au besoin la politique sans y souiller son hermine, mais pourtant la traversant.
Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 1, 1840, p. 348. 2. Abaisser, corrompre une chose considérée comme bonne, juste, digne de considération. Le matérialisme qui souille la philosophie de notre siècle l'empêche de voir que la doctrine des esprits, et en particulier celle de l'esprit prophétique, est tout à fait plausible en elle-même (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t. 2, 1821, p. 310).Les drapeaux immondes ne flottent plus dans le ciel de la Concorde. La croix gammée ne le souille plus. Notre azur n'est plus enténébré par cette araignée gonflée de sang (Mauriac,Bâillon dén., 1945, p. 395). REM. 1. Souillant, -ante, part. prés. en empl. adj,au fig. Qui souille, qui abaisse ou salit quelque chose ou quelqu'un. Tout cela (...) pour glorifier qui? Voltaire, le polémiste le plus diffamant, le plus souillant, le plus emporté qui fut jamais (Veuillot,Odeurs de Paris, 1866, p. 56). 2. Souilleur, subst. masc.,au fig. Celui qui souille, qui salit quelque chose ou quelqu'un. Il est ironique de songer que fut solennellement transféré au Panthéon (...) le plus grand et incontestable souilleur [E. Zola] de ce qui fait la grandeur et la noblesse de l'homme ici-bas (L. Daudet,Temps Judas, 1920, p. 56). Prononc. et Orth.: [suje], (il) souille [suj]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Déb. xiies. part. prés. adj. soilans « qui souille, qui déshonore » (Voc. hébraïco-français, 887, éd. A. Neubauer ds Romanische Studien, I, p. 189); ca 1155 souillier « tacher, couvrir de boue » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 11486); 1821 « polluer, altérer l'état d'asepsie » (Fourier ds Doc. hist. contemp., p. 159); 2. 1remoit. xiies. suiller fig. « violer un traité » (Psautier Cambridge, 54, 22 ds T.-L.); 1176-81 « altérer, salir quelque chose qui aurait dû être respecté » (Chrétien de Troyes, Chevalier Charrete, éd. M. Roques, 4388); 1636 souiller ses mains de sang innocent « faire mourir un innocent » (Monet); 1668 souiller le lit de son bienfaiteur (La Fontaine, Vie d'Esope le phrygien, p. 19). De l'a. fr. soil, souil (v. souille1); dés. -er. Fréq. abs. littér.: 1 344. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 500, b) 1 705; xxes.: a) 2 239, b) 1 317. Bbg. Thomas (A.). Nouv. Essais 1904, pp. 332-333. |