| SOUFFRANCE, subst. fém. I. − Fait de souffrir, d'éprouver une douleur physique ou morale; état d'une personne qui souffre. A. − Souvent au plur. Fait d'éprouver une douleur physique. Synon. douleur(s).La souffrance du corps est souvent utile à l'âme (Mérimée, A. Guillot, 1847, p. 138): 1. ... s'il y a refoulement prolongé des émotions, la tension psychique s'élève peu à peu, l'anxiété apparaît et le conflit trouve son issue dans des souffrances somatiques. Quand les signes corporels apparaissent, le sujet fixe son attention sur eux et obtient ainsi un certain soulagement de la tension mentale.
Ravault, Vignon, Rhumatol., 1956, p. 588. − MÉD. Maladie de telle partie du corps; le siège de la douleur ainsi localisée. Chaque étage des voies sensitives depuis les racines postérieures jusqu'au cortex cérébral, traduit sa souffrance par un ensemble de signes propres qui se groupent en syndromes caractéristiques de la lésion des voies sensitives à tel niveau (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 244).Ces troubles attirent d'emblée l'attention du médecin vers une souffrance des voies biliaires (Quillet Méd.1965, p. 146). B. − 1. État d'une personne qui souffre. Oh! Pleurer au pied de la croix! Mêler ses larmes à celles de Jésus! Rencontrer dans sa souffrance son regard plein de douleur et d'amour et se dire: non seulement mon Sauveur souffre pour moi, mais Il souffre avec moi (Monod, Sermons, 1911, p. 281).Il n'y a guère autre chose dans ce que nous connaissons de ce génie mystérieux. La fragilité palpitante de la toute première enfance (...) ces visages de femmes inclinés sur la souffrance ou la faiblesse, ces mains qui implorent ou qui s'étonnent ou qui soutiennent et protègent (Faure, Hist. art, 1921, p. 92). − MÉD., MÉD. VÉTÉR. Souffrance fœtale. État caractérisé par l'altération progressive ou brutale des principales fonctions du fœtus et en particulier de sa circulation cérébrale. La souffrance fœtale qui peut exister au cours de la grossesse et se traduit souvent par la mort fœtale in utero, est plus fréquemment perçue au cours du travail (Méd. Flamm.1975). − Notamment dans le domaine affectif, moral, soc.Synon. peine.La peur est, je crois, la plus grande souffrance morale des enfants: les forcer à voir de près ou à toucher l'objet qui les effraye est un moyen de guérison que je n'approuve pas (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 164): 2. « J'aime la majesté des souffrances humaines » (Vigny) Ce vers n'est pas pour la réflexion. Les souffrances humaines n'ont pas de majesté. Il faut donc que ce vers ne soit pas réfléchi. Et il est un beau vers, car « majesté » et « souffrances » forment un bel accord de deux mots importants.
Valéry, Litt., 1930, p. 61. ♦ P. méton. [À propos des marques, des rides laissées par la souffrance] [Cet] homme de cinquante ans, qui avait dans le visage beaucoup de creux, beaucoup de souffrance sculptée, et cette transparence d'âme qui embellit la ruine et l'explique (R. Bazin, Blé, 1907, p. 322). − Souffrance de + subst. (désignant la cause de cette souffrance).La souffrance de l'amour. On l'enferma aux bains roubaisiens. Dans cette journée, malgré les souffrances d'une cellule exiguë et d'une grouillante vermine, il eut une grande joie (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 251).La fréquentation de cette chère maison m'adoucit la souffrance de l'exil, plus lancinante qu'on ne le suppose (L. Daudet, Brév. journ., 1936, p. 64). − Empl. adj. Subst. + de souffrance.Je connais bien les deux cœurs qui saignaient, ce jour-là, auprès de mon lit de souffrance (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 115).Méhoul lui posa les mains sur les épaules et, les lèvres tremblantes, prononça d'une voix de souffrance: − Il faut t'en aller tout de suite, aujourd'hui... Va-t-en, il faut t'en aller (Aymé, Rue sans nom, 1930, p. 225). − Rare, en compos. [Par jeu de mots sur le modèle de porte-parole] Porte-souffrance. Être le porte-parole et le porte-souffrance d'un million de pieds-noirs égarés à travers le monde et, soudain, de folklorique se faire populaire, c'est risquer de perdre un public qui vous a toujours suivi (Le Point, 18 déc. 1978, p. 111, col. 2). 2. P. exagér. C'est pour lui une souffrance de parler. Geneviève la moitié des êtres humains peut changer sans souffrance de nom et de nation, la moitié au moins: toutes les femmes (Giraudoux, Siegfried, 1928, iii, 4, p. 134). 3. P. anal. [À propos d'une plante] Une vieille identifiait sa fatigue aux souffrances de la vigne: − J'ai le mildiou aux pieds (Hamp, Champagne, 1909, p. 137). SYNT. Souffrance affreuse, atroce, continue, extrême, insupportable, légère, longue, morale, physique; d'horribles, de mortelles souffrances; des souffrances collectives, imaginaires, incalculables, individuelles; être dur à la souffrance; vivre dans la souffrance; on ne peut mourir sans souffrance; faire face à la souffrance; physionomie décomposée par la souffrance; être flétri par la souffrance; avoir le visage altéré, les traits creusés par la souffrance; souffrance par la maladie (physique); alléger, apaiser, atténuer la souffrance de qqn; compatir aux souffrances d'autrui; endurer des souffrances; être en proie aux souffrances les plus aiguës; coûter bien des souffrances; problème, sens, conception, mystère de la souffrance; souffrance du Christ; souffrance du chrétien; souffrance des Justes. II. − [Corresp. à souffrir I A 3 b] A. − DR., JURISPR. Fait d'accepter certaines choses qu'on pourrait empêcher; permission, tolérance. Chemin de souffrance; des vues de souffrance (ou de tolérance); souffrance du propriétaire. Nous n'avions pas de fenêtre sur le jardin Lamouroux, seulement un jour de souffrance (les villes de parlement remplies de mots de droit) (Stendhal, H. Brulard, t. 1, 1836, p. 98). B. − 1. COMMUN. Tout retard préjudiciable dans le retrait d'une marchandise. Lorsque la souffrance des marchandises (...) est étrangère au transporteur, celui-ci intervient pour faire procéder à la vente si la souffrance se prolonge et risque de grever la marchandise de frais importants (Lar. comm.1930). 2. En souffrance. [En parlant d'un envoi, d'une expédition] En attente de parvenir à son destinataire ou d'être retiré(e) par lui. Colis, lettre en souffrance. Dans une longue énumération de marchandises hétéroclites, avariées ou en souffrance, l'affiche mentionnait dix caisses de livres (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 74). ♦ FIN., POSTES ET TÉLÉCOMM. Effet, créance en souffrance. Impayé, en retard de paiement. Des emprunts effectués et dont courent les charges d'intérêt restent en souffrance d'utilisation avant que les projets puissent entrer en chantier et alourdissent les fonds de roulement (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 281).Objet en souffrance. Objet qui n'a pu être acheminé à son destinataire. − P. anal. En parlant de tout retard généralement préjudiciable dans la conclusion de quelque chose. Synon. en suspens.Laisser un problème, un règlement, une affaire en souffrance. Avez-vous dû laisser en souffrance des offres d'emploi relatives à la géographie appliquée? (Colloque géogr. appl., 1962, p. 135): 3. Les hostilités retardèrent, puis interrompirent, les deux dernières opérations. Un nouveau chantier fut cependant ouvert en 1942, pour la reconstruction interne du département des cartes et plans dans le corps central de l'hôtel Tubeuf, mais fut presque aussitôt interrompu. Trois chantiers se trouvaient donc en souffrance au moment de la libération.
Cain, Transform. B.N., 1959, p. 11. Prononc. et Orth.: [sufʀ
ɑ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1170 « délai, attente, répit » (Marie de France, Lais, Les deus amanz, éd. J. Rychner, 75); 1174-76 metre en souffrance « différer » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 5850); b) 1606 (articles) en souffrance « dont l'allocation est remise faute de pièces à l'appui » (Nicot); c) 1770 un soupçon tient un honneur en souffrance (Beaumarchais, Les Deux amis, IV, 7 ds Gohin, p. 374); d) 1904 effets, quittance en souffrance (Nouv. Lar. ill.); e) 1930 marchandises en souffrance (Lar. comm.); 2. a) ca 1175 « douleur physique ou morale » (Chronique ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 16060); b) id. « endurance, patience » (ibid., 23149); 3. a) ca 1210 par sofrance « avec la permission de » (Henri de Valenciennes, Continuation conquête Constantinople, éd. N. de Wailly, 632); b) 1694 dr. « action de tolérer ce que l'on pourrait empêcher » (Ac.); 4. 1792 jour de souffrance (Beaumarchais, Corresp., éd. L. Collin, II, 92). Dér. de souffrir*; suff. -ance*; cf. le lat. chrét. sufferentia « action de supporter; résignation; attente patiente » (Blaise Lat. chrét.), de sufferre « supporter » (v. souffrir). Fréq. abs. littér.: 6 246. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7 435, b) 8 224; xxes.: a) 10 234, b) 9 657. |