| SILENCE, subst. masc. I. − [Le silence envisagé par rapp. au bruit] Absence de bruit, d'agitation. Silence absolu, écrasant, éternel ; un silence de mort. A. − [Le silence en relation avec l'espace] 1. [Espace ouvert] Le silence de la campagne, des champs, des forêts. Pas un souffle de vent murmurant dans les créneaux ou entre les branches sèches des oliviers; pas un oiseau chantant ni un grillon criant dans le sillon sans herbe: un silence complet, éternel, dans la ville, sur les chemins, dans la campagne (Lamart.,Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 42).Il n'y a rien dans le silence là autour. Plus rien: ni la terre, ni les arbres, ni les herbes, plus rien. C'est un silence de plein ciel, dans l'abandon du ciel (Giono,Gd troupeau, 1931, p. 53). 2. [Espace clos] Le silence des chambres, du cloître, de la tombe, du tombeau. Les chambres, qu'on croirait d'inanimés décors, − Apparat de silence aux étoffes inertes − Ont cependant une âme, une vie aussi certes, Une voix close aux influences du dehors Qui répand leur pensée en halos de sourdines (Rodenbach,Règne sil., 1891, p. 3).Pour fuir l'envoûtement des vieilles choses, cette pénombre et ce silence insalubres des salles du Louvre, je suis entré à la Samaritaine (Arnoux,Paris, 1939, p. 24). B. − [Le silence en relation avec le mouvement] J'écoute: un calme formidable pèse sur ces forêts; on diroit que des silences succèdent à des silences (Chateaubr.,Voy. Amér. et Ital., t. 1, 1827, p. 73).Le monde des animaux est fait de silences et de bonds. J'aime les voir couchés, alors qu'ils reprennent contact avec la Nature (...). Leur repos est appliqué autant que notre travail (J. Grenier,Les Îles, 1959, p. 33). C. − [La perception du silence] 1. [Le silence en soi] Travaillé très tard dans la nuit. − Je viens d'ouvrir ma fenêtre et d'écouter le silence (Barb. d'Aurev.,Memor. pour l'A... B..., 1864, p. 434).Entends ce bruit fin qui est continu, et qui est le silence. Écoute ce qu'on entend lorsque rien ne se fait entendre (Valéry,Tel quel II, 1943, p. 118). 2. [Le silence en fonction d'autres bruits, sons, etc.] Aux pays fréquentés sont les plus grands silences, aux pays fréquentés de criquets à midi (Saint-John Perse,Anabase II, 1972 [1924], p. 95).À travers la rumeur de la chevauchée se faufilaient les bruits perdus du silence nocturne, coassement de grenouilles, appel d'un oiseau, abois de chiens espacés (...) mugissement plaintif d'un taureau à l'aventure, invisible (Montherl.,Bestiaires, 1926, p. 500). II. − [Le silence envisagé dans l'acte de communication] A. − Fait de ne pas parler, de se taire. Silence absolu, complet, prolongé, recueilli, religieux; long, lourd, profond silence; demander, obtenir, rompre le silence. Les scheiks paraissaient jouir d'une autorité absolue, et le moindre signe de leur part rétablissait l'ordre et le silence, que le tumulte de notre arrivée avait troublés (Lamart.,Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 88).C'était cela sa résolution, cette volonté subitement arrêtée de ne rien lui dire. Et lui, le pauvre enfant, qui n'était venu chercher cette certitude que pour avoir le droit de lui parler! Dans le moment même qu'il savait, il s'astreignait à oublier; il se condamnait au silence (G. Leroux,Parfum, 1908, p. 26). − Loc. proverbiale. La parole est d'argent, le silence est d'or. V. parole I A 2. − Faire silence. Se taire. Il ne fallait plus se rouler par terre, rire bruyamment, parler berrichon. Il fallait se tenir droite, porter des gants, faire silence ou chuchoter bien bas dans un coin avec Ursulette (Sand,Hist. vie, t. 2, 1855, p. 283). − Interj. Silence! Jupiter: Ne nie pas! Je sais tout! Pluton: Ce n'est pas vrai! Jupiter: Silence!... Quand je parle, on se tait! Pluton: Seigneur!... Jupiter: Je ne suis pas habitué à la discussion!... Devant moi tout tremble! (Crémieux,Orphée, 1858, i, 4, p. 40). ♦ CIN., RADIO-TÉLÉV. Silence! on tourne, silence, on enregistre. (Dict. xxes.). ♦ Domaine milit.Silence dans les rangs; silence à l'appel. La Guillaumette ayant constaté que l'horloge marquait exactement neuf heures, fit la blague de rendre l'appel, le litre tenu à bout de bras, à la façon d'une chandelle: − Silence à l'appel! Manque personne, mon lieutenant! (Courteline,Train 8 h. 47, 1888, p. 97). − En silence. Sans un mot, sans faire de bruit. Synon. silencieusement.Ils firent quelques pas en silence, puis La Guillaumette, brusquement: − Voyons, c'est pas dieu possible! R'gard' voir un peu à tes profondes! (Courteline,Train 8 h. 47, 1888, p. 196).Au maréchal Pétain, qui dînait dans la même salle, j'allai en silence adresser mon salut. Il me serra la main, sans un mot (De Gaulle,Mém. guerre, 1954, p. 60). − En partic. ♦ Un, des silences. Moment où l'on cesse de parler. À l'aspect de cette table chargée de mets, il se fit un silence général (Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 331).− Vous l'avez vu? demande enfin l'infirme. Vous lui avez parlé? (...) − Le cœur m'a manqué, garçon, dit-il enfin, après un affreux silence (Bernanos,M. Ouine, 1943, p. 1460). ♦ Minute de silence. Minute de silence qu'une assistance recueillie observe à la mémoire d'un (des) mort(s); l'hommage ainsi rendu. Pour permettre à l'ensemble de la population de s'associer à l'hommage national rendu au général de Gaulle, il serait souhaitable que des services religieux ou des cérémonies au monument aux morts, au cours desquels une minute de silence sera observée, soient organisés dans chaque commune à la même date à la diligence des maires (L'Est Républicain, 12 nov. 1970, p. II, col. 7-8). B. − Fait de ne pas vouloir ou de ne pas pouvoir exprimer sa pensée, ses sentiments. Silence obstiné, prudent; un mur de silence; réserve et silence; garder le silence, se réfugier dans le silence; passer qqc. sous silence; faire le silence sur une affaire. Le ministre de l'intérieur fut en même temps prié de prendre certaines mesures de sûreté, et d'inviter les préfets à agir confidentiellement sur la presse afin d'obtenir le silence et la discrétion sur nos préparatifs militaires (Joffre,Mém., t. 1, 1931, p. 210). − P. anal. Elle ne put imposer silence à ses yeux; sans qu'elle le sût probablement, ils exprimèrent un instant la pitié la plus vive (Stendhal,Chartreuse, 1839, p. 299).Pas davantage, elle [la Centrale politique en Russie] ne réduit au silence les revendications des travailleurs, des consommateurs, des fractions politiques au sein du parti (Perroux,Écon. XXes., 1964, p. 596). − Conspiration du silence. Pacte d'honneur par lequel un ensemble de personnes s'engagent à ne pas divulguer ce qui doit être tenu secret. Ces très jeunes gens devinent que la conspiration du bruit remplace une longue conspiration du silence (Cocteau,Poés. crit. II, 1960, p. 230). − Loi du silence (en particulier dans des associations de malfaiteurs, dans des sociétés secrètes). Interdiction de donner, notamment à la police, des renseignements confi-dentiels. La loi du silence s'impose en maçonnerie aux apprentis (Faucher1981). ♦ P. anal. Ce qui devrait être interdit au vieil écrivain, c'est de ne pas faire retraite et de ne pas prendre parti, de manquer à la fois à la loi du silence et à la loi de l'engagement, et d'ériger en système de vie le « parler pour ne rien dire » (Mauriac,Mém. intér., 1959, p. 110). − En partic. ♦ Omission, lacune dans un texte de loi. Le silence de la loi, du code. (Dict. xxes.). ♦ Interruption de relations épistolaires. Rompre le silence. Il se demanda ce que la duchesse de Chaulieu devait penser de son séjour au Havre, aggravé par un silence épistolaire de quatorze jours (Balzac,Modeste Mignon, 1844, p. 261): 1. Dans tant de lettres qui ne vous ont pas inspiré une réponse, dans tant de nuits passées à vous appeler en vain, (...) soyez certaine que je vous ai donné une physionomie complète de mon être secret et que la preuve est aujourd'hui faite par votre silence que j'ai parlé en vain...
J. Bousquet,Trad. du sil., 1935-36, p. 251. − En silence. Sans rien exprimer. Car, aujourd'hui que dépérit l'esprit des conquêtes, tout ce qu'un caractère élevé peut apporter de grand dans le métier des armes me paraît être moins encore dans la gloire de combattre que dans l'honneur de souffrir en silence et d'accomplir avec constance des devoirs souvent odieux (Vigny,Serv. et grand. milit., 1835, p. 128). C. − [Le silence en tant que moyen d'expr.] 1. Fait de laisser entendre sa pensée, ses sentiments, sans les exprimer formellement. Silence éloquent, glacial. Elle avait détourné la tête, elle regardait la neige de la cour, par la fenêtre, comme résolue à ne pas entendre. Lui, que ce mépris, ce silence obstiné troublaient, interrompit ses explications, pour dire: − Sais-tu que tu as encore embelli! (Zola,Débâcle, 1892, p. 526): 2. Les raisons qui jouent sur les mots ne sont jamais les raisons véritables. Et c'est pourquoi je ne leur reprocherai rien sinon de s'exprimer tout de travers. Et c'est pourquoi je me taisais devant ces mensonges, n'écoutant point le bruit des mots, dans le silence de mon amour, mais l'effort seul.
Saint-Exup.,Citad., 1944, p. 621. 2. Fait d'entrer en communion, en communication intime, sans le secours de la parole. La parole transfigurée, c'est le silence. Aucune parole n'existe en elle-même; elle n'est que par son propre silence. Elle est silence, indivisiblement, à l'intérieur du moindre mot (P. Emmanuel,La Révolution parallèle, 1975, p. 270): 3. Comme la mort est le parachèvement de la vie, ce qui lui donne forme et valeur, ce qui ferme sa bouche, de même le silence est l'aboutissement suprême du langage et de la conscience. Tout ce que l'on dit ou écrit, tout ce que l'on sait, c'est pour cela, pour cela vraiment: le silence.
J.-M.-G. Le Clézio, L'Extase matérielle, 1967, p. 192. III. − Spécialement A. − INFORMAT. ,,Nombre de réponses pertinentes manquées lors d'une recherche automatique sur une question déterminée, alors qu'elles existent dans le système`` (Mess. Télém. 1979). B. − Domaine milit.Silence radio. Interruption de toute émission électromagnétique qui pourrait indiquer à l'ennemi sa propre position. (Dict. xxes.). C. − MUS. ,,Signe graphique placé sur la portée pour indiquer l'absence ou l'interruption du son`` (Mus. 1976). Dans la notation moderne, à chaque valeur de note correspond un signe de silence pourvu d'un nom qui lui est propre: à la ronde correspond la pause, à la blanche la demi-pause, à la noire le soupir, à la croche le demi-soupir, à la double croche le quart de soupir, à la triple croche le huitième de soupir, à la quatruple croche le seizième de soupir. Un point placé à côté d'un silence prolonge de moitié sa durée (Mus. 1976). − Zone de silence ♦ RADIOTECHN. Zone dans laquelle la réception d'un émetteur est difficile ou impossible. [En T.S.F. pour éviter] les « zones de silence » (...) on sait actuellement choisir (...) la longueur d'onde en fonction de l'heure et de l'espace à parcourir (J. Mercier,Radio-électr., t. 1, 1937, p. 291). ♦ URBAN. Partie délimitée d'une agglomération qui, par décret municipal, est interdite à la circulation automobile. L'« Île Verte » de Vittel est décrétée zone de silence (Catal. Club Méditerr., été 1988, p. 126). REM. 1. -silence, silence-, élém. de compos.,entrant dans la constr. de subst. dans le lang. technico-publicitaire.a) 2. Opération-silence, subst. fém.Opération-silence dans le Marais. Protégés par une enceinte d'immeubles anciens et d'hôtels historiques en voie de restauration, 118 appartements hors du commun vont bénéficier d'un calme absolu et de vues agréables sur des jardins paysagés (L'Express, 24 mai 1976, p. 55). b) Silence-bloc, subst. masc.Dispositif visant à éliminer le bruit. Avec les silence-blocs qui isolent la carrosserie du chassis elle [la CX 2000 Citroën] vous permet de voyager sans bruit, même à grande vitesse ou sur mauvaise route (L'Express, 28 mars 1977, p. 128, col. 2). Silencer, silencier, verbe trans.,littér., rare. Imposer silence à, réduire au silence. Non que l'été soit maintenant moins doux qu'il était quand les hymnes mélancoliques du rossignol silenciaient la nuit! (Chateaubr.,Litt. angl., t. 1, 1836, p. 274).Aujourd'hui levé à huit heures (...) fait un article que L. B., ce moine d'Égypte châtreur, a mutilé dans ce qu'il avait d'énergique et de vrai. L'ai laissé faire, étant devenu à l'endroit du journalisme aussi impersonnel que l'on puisse l'être et ayant fourré ma volonté à silencer ma conscience de ce qui est bien (Barb. d'Aurev.,Memor. 2, 1839, p. 325). Prononc. et Orth.: [silɑ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1121-34 « état de celui qui s'abstient de parler, fait de ne pas parler » (Philippe De Thaon, Bestiaire, 298 ds T.-L.); b) ca 1210 faire sillance « se taire » (Dolopathos, 167, ibid.); déb. xiiies. tenir silence « id. » (Alexis, 688, ibid.); 1330 passer souz silence (Girart de Roussillon, éd. E. B. Ham, 5507); ca 1500 garder (sa) silence « se taire » (L'Art et Science de bien parler et de soy taire ds Anc. Poés., X, 358); c) 1327 estre mis en silence « être condamné au silence (punition monastique) » (Du Cange, s.v. silentium); d) ca 1440 [date du ms.] un pou de silence (Le Martire Saint Estiene, 171 ds Le cycle de Mystères des Premiers Martyrs, éd. G. A. Runnalls, p. 71); 1718 silence! « faites, faisons silence » (Ac.); 2. a) fin xiies. scilence fém. « fait de ne pas exprimer sa pensée oralement » (Sermons St Bernard, éd. E. Foerster, 113, 2); b) ca 1460 le roi impose silence à ses procureurs généraux « il leur défend de poursuivre davantage l'affaire criminelle pour laquelle il a donné des lettres d'abolition (terme de chancellerie) » (Juvenal des Ursins, Charles VI, 1415 ds Littré); 1835 silence de la loi « omission d'une explication (d'un cas non prévu par la loi) » (Ac.); c) 1690 « cessation de commerce de lettres entre personnes qui étaient dans l'habitude de s'écrire » (Mmede Sévigné, Lettre à Lamoignon du 27 août, éd. Monmerqué, t. 9, p. 564); 3. a) ca 1350 silenche fém. « calme, cessation de toute sorte de bruit » (Gilles Le Muisit, Poésies, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 2, p. 88, 23); b) 1755 « interruption dans un bruit » (Condillac, Traité des animaux, chap. 6, p. 50); c) 1743 silences « signes répondant aux diverses valeurs des notes, lesquels mis à la place de ces notes, marquent que tout le temps de leur valeur doit être passé en silence » (Rousseau, Dissertation sur la Musique Moderne, p. 8 et 12); 1771 silence « interruption du son dans une phrase musicale » (Trév.); 1778 silences (Buffon, Oiseaux, t. 5, pp. 85-86); d) 1762 « suspension que fait celui qui parle dans la déclamation » (Voltaire, Lettre d'Argental du 17 avril ds Littré). Empr. au lat.silentium « silence ». Fréq. abs. littér.: 20 058. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 21 592, b) 24 395; xxes.: a) 34 788, b) 32 885. Bbg. Konstantinović
(R.). Les Silences éloquents. B. jeunes Rom. 1962, t. 6, pp. 14-17. − Lienhard (D.R.). Die Bezeichnungen für den Begriff « schweigen » in Frankreich... Biel, 1947, p. 10, 55, 58, 62, 63. _ Ljungstedt-Crona (E.). Le Mot silence ds le lang. littér. In: Congrès Internat. des Ling. 10. 1967. Bucarest, 1970, t. 3, pp. 377-381. − Quem. DDL t. 21. − Schneiders (H.-W.). Der frz. Wortschatz zur Bezeichnung von « Schall ». Genève, 1978, pp. 85-90. |