| SAISIR, verbe trans. I. − Prendre quelqu'un/quelque chose vivement. A. − [Le suj. désigne un être animé] 1. [Le compl. désigne un obj. concr.] a) [Avec une idée de rapidité et de précision dans le mouvement] Synon. attraper, happer.
α) [L'obj. concr. est en mouvement] Et les enfants couraient, pour saisir des flocons d'écume que le vent emportait (Flaub.,Cœur simple, 1877, p. 22).Les Liliputiens qui courent dans l'herbe verte ont saisi les cordages qu'on leur jette (Barrès,Cahiers, t. 11, 1916, p. 182). − [P. méton. du suj.] Une main de femme (...) lança vers Gamelin un œillet rouge que ses mains liées ne purent saisir, mais qu'il adora (A. France,Dieux ont soif, 1912, p. 305). − [Le compl. d'obj. dir. désigne un animal] Il y avait (...) une petite fille (...) envoyée par ses parents pour saisir de petites anguilles que la baisse des eaux permet d'entrevoir dans la vase (Nerval,Bohême gal., 1855, p. 103). − Loc. Saisir au vol*. Saisir la balle au bond. V. balle1.Saisir qqc. au passage. Synon. intercepter.P. anal. Chaque réverbère saisissait mon ombre au passage, la faisait tournoyer et la repassait au réverbère suivant (Duhamel,Confess. min., 1920, p. 75).
β) [L'obj. n'est pas en mouvement] Saisir un bâton, un fouet, un revolver, une matraque. Tout à coup elle se retourna et saisit la poupée avec emportement. − Je l'appellerai Catherine, dit-elle (Hugo,Misér., t. 1, 1862, p. 493).Il allait (...) perdre l'équilibre, lorsqu'il saisit une touffe d'herbe, parvint à se retenir, donna un dernier coup de reins, et se hissa sur la plate-forme (Martin du G.,Thib., Épil., 1940, p. 870). − Empl. pronom. Je me saisis d'une grosse branche d'arbre qui traînait à terre (Baudel., Poèmes prose, 1867, p. 217). b) [Seulement avec précision ou avec détermination] « (...) faites (...) chauffer de l'eau; je vais laver cette vaisselle; je ne peux pas supporter la saleté. − Il y a de l'eau chaude », dit Lewis d'un ton résigné. Elle saisit la bouilloire et se mit à laver la vaisselle avec une hâte silencieuse (Beauvoir,Mandarins, 1954, p. 326). c) Prendre une chose de façon à la porter sans la laisser tomber, de façon à la maintenir fixement dans une certaine position ou encore de manière à s'y tenir accroché. Synon. agripper, empoigner.[Venture] alla jusqu'à la voiture, se glissa à plat-ventre sous le train, entre les roues, saisit l'essieu de derrière à deux mains, passa ses pieds entre le sol et le caisson de la voiture (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 3, 1859, p. 512).Le jeune animal qui tette [sic], saisit le trayon à pleine bouche, l'enveloppe avec sa langue disposée en gouttière et aspire en tirant légèrement (Garcin,Guide vétér., 1944, p. 124). d) Saisir qqc.1par qqc.2(partie de qqc.1).Le prêtre va saisir par le pommeau le glaive (Moréas,Iphigénie à Aulis, 1903, p. 268).L'ouvrier saisit l'outil à l'aide de deux poignées (...) solidaires du bâti et le promène le long de la surface de la peau en lui communiquant contre elle la plus forte pression possible (Bérard, Gobilliard,Cuirs et peaux, 1947, p. 99). e) Saisir qqc.1avec, à l'aide de qqc.2(instrument).Il faut si le vaisseau est très petit, saisir son orifice avec une pince (Nélaton,Pathol. chir., t. 1, 1844, p. 12).On avait réussi à grand-peine à saisir le câble à l'aide de grappins et à le relever quand ces derniers cassèrent (P. Rousseau,Hist. techn. et invent., 1967, p. 283). f) P. anal.
α) Saisir une ville, un territoire. S'emparer d'une ville, d'un territoire par une lutte armée. Synon. conquérir.Cet officier [Murat] arrivant à deux heures aux Sablons, s'y trouva avec la tête d'une colonne de la section Lepelletier qui venait saisir le parc (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 338).La fin du siècle (...) avait vu l'Espagne saisir le Portugal et les Deux-Siciles, dominer l'Allemagne, vaincre la France, refouler l'Islam, conquérir l'Amérique (Faure,Hist. art, 1921, p. 62).
β) Empl. pronom. S'approprier quelque chose, s'en emparer. L'université (...) permettait à l'État de se saisir de l'enseignement, laissé auparavant à l'Église (Encyclop. éduc., 1960, p. 19). g) Spécialement
α) ART CULIN. (Faire) saisir un mets, de la pâte. L'exposer à feu vif en début de cuisson afin de faire cuire l'extérieur tout en conservant l'intérieur saignant ou mou. Une viande bien saisie; saisir une côtelette. Ce sont des filets de sole au gratin pour Monsieur Rambaud, et ça demande à être saisi au dernier moment (Zola,Page amour, 1878, p. 868).La principale falsification du pain est son hydratation exagérée, obtenue en surchauffant le four avant l'enfournage, de façon à saisir fortement la surface du pâton (Macaigne,Précis hyg., 1911, p. 251). − [L'agent réel du procès saisir désigne le froid, la glace] Durcir, geler. On la porte [la noix de bœuf cuite dans le suif] dans un lieu frais, en sorte que le suif, saisi par le froid, forme une enveloppe (Gdes heures cuis. fr., Grimod de La Reynière, 1838, p. 159).
β) INFORMAT. [Corresp. à saisie I B] Enregistrer des informations (ou données) en vue de leur traitement ou de leur mémorisation dans un système informatique. La tendance est de saisir les données sur le lieu de leur création (par un terminal, par ex.) et à les transmettre au centre de traitement par un réseau de téléinformatique (Le Garff1975).
γ) MAR. [Corresp. à saisine II] Amarrer solidement au moyen d'un cordage, d'une saisine. Une gaffe, des avirons, sont ainsi saisis dans les haubans ou contre les chandeliers pour dégager le pont (Soé-Dup.1906). 2. [Le compl. désigne un être animé] a) Mettre la main sur quelqu'un; le prendre (à, dans, par). Synon. empoigner.Saisir (une femme) dans ses bras; saisir qqn par le bras, par les poignets, par la taille. [Jeanne] le saisit [son père] brusquement par le cou, l'embrassa avec violence (Maupass.,Une Vie, 1883, p. 210).Brusquement, elle saisit la folle entre ses bras, l'enleva doucement, pressant sur la bouche misérable sa joue fraîche (Bernanos,Joie, 1929, p. 657). − P. métaph. [Durtal] songea (...) Dieu m'a subitement saisi et il m'a ramené vers l'Église en utilisant pour me capter mon amour de l'art, de la mystique (Huysmans,Cathédr., 1898, p. 472).[Descartes] pense où il peut bien penser (...) en Allemagne; sur les quais d'Amsterdam, et jusqu'en Suède, où la mort saisit le voyageur (Valéry,Variété IV, 1938, p. 211). b) [Avec une idée de force ou même de violence] Attraper quelqu'un. Saisir qqn par le cou, par les cheveux, le saisir à bras le corps, au collet; saisir qqn à la gorge. Le magistrat (...) faisait, par les mêmes suppôts, saisir le conscrit réfractaire (Courier,Pamphlets pol., Pétition aux deux Chambres, 1816, p. 6).Sur le devant [de la Chasse aux lions de Rubens], un cavalier maure renversé, son cheval renversé également, est déjà saisi par un énorme lion (Delacroix,Journal, 1847, p. 168). − Empl. pronom. réciproque. Je sens les choses comme la peinture les comporte (...). Les étreintes des guerriers qui se saisissent. En faire un qui expire en mordant le bras de son ennemi (Delacroix,Journal, 1824, p. 100).[P. méton. du suj.] Ils se serrent les mains dans une longue étreinte (...) Et pour mieux savourer l'amour qui les enfièvre, L'une à l'autre parfois se colle chaque lèvre, Folles de se saisir (Rollinat,Névroses, 1883, p. 111). c) Saisir qqn au corps. Faire arrêter quelqu'un. Marigny. « Ordre de Marguerite de Bourgogne (...) au capitaine Buridan, d'arrêter et saisir au corps, partout où il le trouvera, le sire Enguerrand de Marigny » (Dumas père, Tour Nesle, 1832, iii, tabl. 4, p. 50). − [Avec omission du compl.] J'adore ces vaillantes de la Joie à qui ta Société n'a rien à reprocher, elle qui ne fait que pressurer, emprisonner (...), saisir, guillotiner, et tout! (Verlaine,
Œuvres posth., t. 1, Hist. comme ça, 1896, p. 310). d) Empl. pronom. Se saisir de qqn.S'emparer de quelqu'un (par la force). Vous avez abordé comme des dieux dans une anse sauvage. Mais (...) les gendarmes de (...) Franco se saisirent de vous (Mauriac,Mal Aimés, 1945, p. 151).L'avocat se saisit de l'agresseur et l'emporta sous son bras. L'homme se débattait en silence (Aymé,Uranus, 1948, p. 232). − Rare. Se saisir d'une femme. Posséder une femme. [Rambert] aimait imaginer alors [à quatre heures du matin] la femme qu'il avait laissée. C'était l'heure, en effet, où il pouvait se saisir d'elle (...) on dort à cette heure-là, et cela est rassurant puisque le grand désir d'un cœur inquiet est de posséder interminablement l'être qu'il aime (Camus,Peste, 1947, p. 1307). e) Au fig. Atteindre. Saisir qqn au dépourvu. Comme il est vrai de tout objet, c'est par l'œuvre qu'on saisit l'homme (Alain,Beaux-arts, 1920, p. 213). 3. Au fig. Qqn saisit qqc. a) [Le moyen désigne les sens, l'esprit, l'intuition] Percevoir. − [Par le sens] ♦ [Par l'odorat] Sentir. [Duroy] croyait saisir dans l'air enfermé de la pièce une odeur suspecte, une haleine pourrie, venue de cette poitrine décomposée (Maupass.,Bel Ami, 1885, p. 192). ♦ [Par l'ouïe] Percevoir; surprendre. Saisir un son, des propos; bribes de conversation saisies au vol. [Angélique] saisit un murmure à peine distinct, un chuchotement affectueux et triste (Zola,Rêve, 1888, p. 102). ♦ [Par le regard] Apercevoir, embrasser. Ceux qui ne savent point voir cherchent des spectacles rares et bientôt s'y ennuient; au lieu que celui qui a appris à voir finit par saisir la beauté partout (Alain,Beaux-arts, 1920, p. 269).Lorsque nous ouvrons les yeux devant un objet éclairé, nous saisissons sa forme, ses dimensions, ses couleurs (Camefort, Gama,Sc. nat., 1960, p. 232). − [Par l'esprit, par l'intuition] Cerner, discerner; distinguer, appréhender; comprendre. Saisir la portée d'un événement, la raison des choses; ne pas être capable de saisir certaine vérité, certaines analogies ou certaines nuances. Le mysticisme, c'est surtout l'effort de l'être humain pour saisir d'une prise directe, immédiate, l'idéal conçu, espéré, aimé (Weill,Judaïsme, 1931, p. 170).La lucidité qui le déchirait [Proust] devant l'être aimé dut pourtant lui manquer quand (...) il crut appréhender, à jamais capter des « impressions » fugitives; ne dit-il pas avoir saisi l'insaisissable? (G. Bataille,Exp. int., 1943, p. 214).[P. méton. du suj.] La nature n'est pas uniquement composée de forces physiques et mécaniques; la simple contemplation, l'admiration et le calcul n'en saisissent pas le fond (Doeblin,Pages imm. Confucius, 1947, p. 37).Peut-être notre intelligence qui saisit des ensembles de plus en plus étoffés et grandioses, n'est-elle pas, en ce qui concerne son essence, perfectible (Arnoux,Visite Mathus., 1961, p. 247).Empl. pronom. réfl. Il nous faut bien (...) nous adapter au perpétuel provisoire de nos connaissances et de nos pensées, si nous voulons nous saisir nous-mêmes (L. Febvre,De Linné, [1927] ds Combats, 1953, p. 325).[P. méton. du suj.] L'âme des musulmans, même à l'heure où elle croyait se saisir, n'a jamais atteint qu'un mirage, une ombre froide étendue pour une heure entre les deux nappes de flamme où les conquérants passaient (Faure,Hist. art, 1912, p. 257).Empl. pronom. à sens passif. Herder (...) exposait ses Idées sur la philosophie de l'histoire: la nature, dans un devenir qui ne se peut saisir que par intuition, crée les sociétés où les individus se trouvent incorporés (...) sans que leur volonté intervienne (Lefebvre,Révol. fr., 1963, p. 74). ♦ Empl. abs. et fam. Tu saisis? Est-ce clair? Je ne saisis pas (bien), il saisit vite. Synon. fam. piger.Mais aucun de nous, ma pauvre amie, aucun de nous ne se maintient constamment à la hauteur de ce qu'il voudrait être. Tout le drame de notre vie morale est là, précisément... Je ne sais si tu saisis?... (Gide, École femmes, 1929, p. 1306). b) [Notamment avec l'assistance d'un appareil optique, d'une caméra] Capter. On imagine l'intérêt de ces appareils qui permettent de saisir si rapidement des vues d'aspects nouveaux et fort différents selon l'altitude (Prinet,Phot., 1945, p. 101). c) Dans le domaine artist., littér.Rendre sensible à d'autres, rendre perceptible(s) ce qui a été appréhendé, perçu, certaines caractéristiques de quelque chose (un objet, un tableau). Personne, sauf Rubens, n'a saisi à ce point l'instantané du mouvement, la fureur du vol (Taine,Voy. Ital., t. 2, 1866, p. 361).Grandeur des poètes de saisir fortement avec leurs mots, ce qu'ils n'ont fait qu'entrevoir faiblement dans leur esprit (Valéry,Tel quel I, 1941, p. 28). d) S'emparer de; mettre à profit. Anton. laisser échapper, manquer, rater.Saisir un prétexte, une excuse (pour ne pas faire qqc.); saisir la perche; saisir le moment propice; saisir une occasion, une opportunité, une possibilité (qui s'offre); c'est une affaire à saisir. Puisque la vengeance s'offrait, pourquoi ne pas la saisir? (Flaub.,Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 265).Le moment du Seigneur ne comporte pas d'explication, on le saisit ou on le manque (Arnoux,Juif Errant, 1931, p. 31). B. − [Le suj. désigne un inanimé] 1. [Le compl. désigne un être animé; le suj. désigne notamment] a) [un phénomène naturel, un élém. phys. (le froid, la neige, le sable)] Surprendre, s'emparer de, faire une impression soudaine et vive sur. Un froid mortel le saisit. Si un voyageur inexpérimenté s'égare de quelques pas, le sable trompeur le saisit, l'aspire, l'enveloppe, l'engloutit, avant que la vigie du château et la cloche du port aient eu le temps d'envoyer le peuple à son secours (Nodier,Fée Miettes, 1831, p. 79).À Brest, où ils arrivèrent un matin incolore au lever du jour, ils [Jean et sa mère] furent saisis, glacés, − eux, les pauvres transfuges d'un pays de soleil, − par ce changement absolu de climat, qu'on sentait en toutes choses (Loti,Matelot, 1893, p. 64). − [Avec une expr. de la partie du corps, ou autre attribut] ♦ Qqc. saisit qqn à + telle partie du corps.À cette pensée, le froid me saisissait aux membres (Joigneaux,Prisons Paris, 1841, p. 45). ♦ Qqc. saisit à qqn + telle partie du corps.Je ne sais quelle fraîcheur sépulcrale me saisissait l'épiderme, et ce ne fut pas sans un léger sentiment de peur que j'entendis murmurer près de moi (Gautier,Tra los montes, 1843, p. 28). ♦ Qqc. saisit + telle partie du corps.La mer lançait des galets contre les jambes nues des hommes (...), un froid saisissait le ventre; après trois jours de piètre nourriture la défaillance guettait (Quéffelec,Recteur, 1944, p. 124). b) [une odeur, une saveur, le compl. désigne une pers. ou p. méton., l'un de ses sens] Un pain bis, cuit au four de campagne, fumait sur le gazon et saisissait l'odorat par sa vapeur capiteuse (About,Roi mont., 1857, p. 107).La fumée montant du toit était épaisse et vous saisissait à la gorge par son âcreté aromatique (A. Daudet, Jack, t. 2, 1876, p. 225). c) [un malaise, un accident] Prendre. La fièvre la saisit; une convulsion effroyable l'a saisi. La migraine, l'horrible mal, la migraine qui torture comme aucun supplice ne l'a pu faire (...) la migraine m'avait saisi (Maupass.,Sur l'eau, 1888, p. 306). d) [une émotion, une sensation, un élém. de la vie psychique, mor.] Une rage furieuse le saisit; une détresse, une gaîté venait de le saisir; être saisi de désespoir, d'étonnement, de joie; être saisi du désir de, d'une envie de (+ inf.). Modeste fut saisie d'un profond dégoût pour les hommes dont les plus distingués trompaient ses espérances (Balzac,Modeste Mignon, 1844, p. 175): À chaque époque, saisis par un nouveau désespoir, une nouvelle fureur, et comme si rien n'avait été tenté jusque-là (...) des écrivains (...) s'évertuent (...) à enserrer dans une définition le prodige inconcevable et pourtant perpétuel du langage affectif, de la communication lyrique, de ce que Sainte-Beuve appelait « la monade inexprimable ».
Arts et litt., 1935, p. 50-13. − Empl. pronom. La terreur qui se saisissait d'elle la faisait grelotter, pliée, cassée en deux, contre le mur où elle demeurait adossée (Carco,Homme traqué, 1922, p. 48). − Empl. abs. Être, demeurer saisi. Être, demeurer interdit, frappé subitement, ému. [Norine] resta saisie, elle blêmit encore (Zola,Fécondité, 1899, p. 620). − Part. passé en empl. adj. La plaque que j'avais heurtée, c'était le numéro: 37 (...). J'étais très saisi et je me répétais le chiffre 37 lorsque je sortis du cimetière (Jouve,Scène capit., 1935, p. 171). ♦ Région. (Belgique). Ahuri. Il a un air saisi (Hanse Nouv. 1983). e) [un geste, un fait, un élém. se dégageant du comportement d'autrui, d'une situation donnée ou encore d'un spectacle] Faire une impression vive et forte sur quelqu'un; frapper, émouvoir quelqu'un. Depuis que je l'ai décrassée, elle [la Péchina] est devenue moins laide, elle a quelque chose de bizarre, de sauvage qui saisit les hommes (Balzac,Paysans, 1844, p. 193). − Au passif ou au part. passé. C'est la duchesse qui est... couchée... Elle m'a fait appeler toute saisie... un peu saisie de l'arrestation de l'amiral chez elle (Lemercier,Pinto, 1800, iii, 19, p. 108).Lorsque Jacques vint (...) prendre son tour de garde, il fut saisi par le changement survenu depuis le matin (Martin du G.,Thib., Mort père, 1929, p. 1279). ♦ Saisi de (+ inf.).Et Lazare (...) lui allongea un coup de pied (...). Le chien, saisi d'être battu, flairant l'air comme s'il eut compris tout d'un coup, alla se coucher humblement sous le lit (Zola,Joie de vivre, 1884, p. 915). Rem. À propos de l'empl. de la prép. de/par, Dupré 1972 note: ,,Il n'y a aucune différence de sens dans les constructions de saisir avec de ou par. On dira aussi bien: saisi d'horreur et saisi par l'horreur``. 2. [Le compl. désigne un inanimé] a) Attraper, happer. [Un vaisseau] a onze griffes de fer pour saisir le granit au fond de la mer (Hugo,Misér., t. 1, 1862, p. 446).Le bateau plongea dans l'obscurité et fut saisi par la houle (Peisson,Parti Liverpool, 1932, p. 226). b) En partic. [Le suj. désigne notamment]
α) [le froid, la glace] Rare. Durcir, geler (supra I A 2 g γ). Pour que le mortier humide pût saisir la couleur et la cristalliser dans son durcissement graduel, lui prendre un peu de son éclat, lui donner en l'incorporant à l'eau et à la pierre leur terreuse et sourde beauté, il fallut l'élan de l'âme italienne (Faure,Hist. art, 1914, p. 361). − P. métaph. Que cette plus pâle des lampes Saisisse de marbre la nuit! (Valéry,Charmes, 1922, p. 132). − Au part. passé. Gelé, pris (dans la glace). Les ruisseaux, saisis comme ils coulaient encore, déroulaient le long des trottoirs deux rubans de glace (Maupass.,Bel-Ami, 1885, p. 155).
β) [le feu, la flamme] ART CULIN. V. supra I A 1 g α. C. − 1. DR. [Corresp. à saisie II B] a) Mettre quelque chose sous la main de la justice par voie de saisie. Saisir des biens (immeubles, meubles); saisir les revenus d'une terre, une rente; impossibilité de saisir la pension (d'un pensionné) en paiement d'une créance. C'est le juge et le commissaire avec la police. Ils ont saisi des papiers chez votre monsieur et mis les scellés partout (A. France,Anneau améth., 1899, p. 396).Un arrêt de la Cour d'appel de Paris, du 10 août 1882 (cité dans l'Annuaire des préfets de 1899), décide qu'on ne peut pas saisir la moitié du traitement d'un fonctionnaire, pour faire une pension alimentaire à sa femme et à ses enfants qu'il a abandonnés (Baradat,Organ. préfect., 1907, p. 55). − Empl. abs. On venait saisir. Je lui ai dit de laisser faire ce qu'ils appellent la justice (Dumas fils, Dame Camélias, 1848, p. 287). b) P. méton. Saisir qqn.Faire la saisie de ses biens. Saisir un débiteur. On va le [le cabaretier] saisir cette semaine. C'est Lheureux qui le fait vendre. Il l'a assassiné de billets (Flaub.,MmeBovary, t. 1, 1857, p. 154). − Part. passé en empl. adj. Tiers saisi; la partie saisie. Celle-là [la cocotte Cob], ruinée, saisie, était allée tenter un dernier coup à Monte-Carlo (A. Daudet,Sapho, 1884, p. 167). ♦ Empl. subst. masc. [P. oppos. à saisissant] ,,Débiteur qui fait l'objet d'une procédure de saisie`` (Sousi-Roubi Banque 1983). 2. P. ext. [Corresp. à saisie II A] Saisir qqc.Confisquer quelque chose. a) [Dans le cadre de la réglementation douanière] Saisir des objets de contrebande, de la drogue, des armes. Monsieur le directeur, madame Claire Wilkins (...) désirerait (...) vous entretenir un instant à propos d'un cachemire que viennent de lui saisir vos douaniers (Dumas père, Cachemire vert, 1850, iii, p. 272). − [Dans le domaine de ce qui est écrit ou imprimé] Interdire la parution de quelque chose. Saisir des tracts subversifs; saisir tel numéro d'un journal. Il est interdit notamment de publier des nouvelles pouvant provoquer le désordre, lésant la dignité de la maison impériale ou risquant de porter atteinte à la moralité publique. Le gouvernement a le droit de saisir les journaux (Civilis. écr., 1939, p. 40-4).Le chancelier (...) fit immédiatement saisir et mettre au pilon les exemplaires du livre scandaleux (Philos., Relig., 1957, p. 40-16). b) MAR. Saisir un navire (neutre, en attendant une décision). Capturer un navire. [L'Espagne] venait de saisir quelques navires anglais à Nootka-Sund sur la côte du Pacifique, au nord de la Californie, baie dont la possession se trouvait depuis longtemps contestée (Lefebvre,Révol. fr., 1963, p. 223). c) Réquisitionner. − (...) Vous avez des outils? − Très peu. Mais je sais où en saisir. − Fais saisir aussi des vélos: dès que ça commencera il faudrait que chaque section eût son agent de liaison, en plus de celui du centre (Malraux,Cond. hum., 1933, p. 205). II. − Qqn1saisit qqn2de qqc. A. − DROIT 1. Vx. Mettre quelqu'un en possession légale d'un héritage. D'Étremont mourait quelque temps après (...) saisissant de la tutelle de sa fille un oncle infirme et taciturne (Jammes,Rom. du lièvre, A. d'Étremont, 1901, p. 158). − Loc. [Le 2ecompl. est sous-entendu] Le mort saisit le vif. L'héritier a la saisine des biens du défunt, sans formalités de justice, dès le moment du décès. Comme dans les familles royales et ducales, à la mort du chef le fils prend son titre (...) ainsi souvent, par un avènement d'un autre ordre, et de plus profonde origine, le mort saisit le vif qui devient son successeur ressemblant, le continuateur de sa vie interrompue (Proust,Sodome, 1922, p. 769). − P. métaph. Une génération de guerre saisit de son énergie une génération de paix (Thibaudet,Hist. litt. fr., 1936, p. 106). 2. [Le compl. d'obj. dir. désigne une autorité reconnue, une instance officielle, judiciaire, législative, admin.; p. méton., un tribunal, la justice; le compl. d'obj. indir. désigne une affaire, un différend, une demande, une question, un projet] Porter auprès d'une autorité, d'une juridiction une affaire de son ressort; la charger d'examiner, de juger ce dossier. Anton. dessaisir.C'est le président de l'Assemblée Nationale qui saisit le gouvernement du texte à promulguer (Vedel,Dr. constit., 1949, p. 487).Un bureau de relations publiques a été aménagé dans chaque préfecture pour que les estivants puissent saisir l'administration de leurs réclamations ou de leurs suggestions (Jocard,Tour. et action État, 1966, p. 96). − [Avec omission du compl. d'obj. indir.] Saisir le tribunal, la justice. Après l'accomplissement de (...) formalités à la demande de l'intéressé, celui-ci peut poursuivre l'exécution forcée en saisissant directement l'organe compétent (Traité euratom, 1957, p. 362).En cas d'avis défavorable, le ministre intéressé peut saisir le président du conseil qui décide après avis du ministre de la Construction et du ministre des Finances et des Affaires économiques (Amén. terr., 1964, p. 67). − Au passif. [Sans expression de qqn1] Le tribunal doit être saisi par lettre recommandée adressée au greffier dans un délai de 6 mois à dater de la décision contestée (Lubrano-Lavadera,Législ. et admin. milit., 1954, p. 294). ♦ Empl. abs. La Justice est saisie, la vindicte publique aura son cours, rien ne peut l'arrêter (Balzac,Cabinet ant., 1839, p. 113). − Empl. pronom. réfl. Si le conseil économique se saisit lui-même d'un projet ou d'une proposition de loi de sa compétence, il doit donner son avis dans un délai de 20 jours (Vedel,Dr. constit., 1949, p. 450). B. − Au fig. Saisir l'opinion publique. Depuis bientôt un siècle l'opinion publique française est saisie de projets de construction d'un transsaharien (Albitreccia,Gds moyens transp., 1931, p. 58). REM. Saisisseur, subst. masc.,hapax. Celui qui saisit, qui prend. Tant de hauteur n'épuisera la rive accore de ton seuil, ô Saisisseur de glaives à l'aurore, ô Manieur d'aigles par leurs angles, et Nourrisseur des filles les plus aigres sous la plume de fer! (Saint-John Perse,Exil, 1942, p. 213). Prononc. et Orth.: [sεzi:ʀ], [-e-], (il) saisit [-zi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1100 saisir qqn de qqc. « mettre quelqu'un en possession de quelque chose » (Roland, éd. J. Bédier, 3213); 2. 1270 le mort* saisit le vif; 3. 1549 saisir une juridiction d'une affaire « porter une affaire devant une juridiction » (Est.). B. 1. a) Ca 1100 « mettre quelque chose en sa main avec détermination, force ou rapidité » (Roland, 721); 1534 pronom. se saisir de qqc. « s'emparer vivement de quelque chose » (Rabelais, Gargantua, XXV, 80, éd. R. Calder et M. A. Screech, p. 171); b) α) ca 1100 « prendre, retenir brusquement ou avec force (un animé) » (Roland, 2280); ca 1175 pronom. « se rendre maître de quelqu'un par la force » (Benoit, Chronique Ducs Normandie, 3012 ds T.-L.);
β) 1466 saisir au corps (doc. ap. Bartzsch, p. 87); c) ca 1100 « s'emparer de, enlever de vive force (un objectif militaire) » (Roland, 972); d) 1832 « exposer (un aliment) à un feu vif au début de la cuisson » (Raymond, s.v. saisi); e) 1972 informat. (Bureau); 2. a) α) ca 1200 au fig. « s'emparer brusquement de l'esprit de quelqu'un en provoquant une vive surprise, une émotion violente » (Châtelain de Couci, Chansons, éd. A. Lerond, XXV, 27);
β) 1553 « provoquer une sensation physique désagréable, qui affecte tout le corps » (La Bible, s.l., impr. J. Gérard, Ps. 48, 7 d'apr. FEW t. 17, p. 21b); b) 1580 « percevoir par les sens une sensation difficilement décelable » (Montaigne, Essais, II, 12, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 590); c) α) 1669 se saisir d'un prétexte (Molière, Tartuffe, II, 4 ds
Œuvres, éd. E. Despois et P. Mesnard, t. 4, p. 447);
β) 1673 trans. « tirer avantageusement parti d'une chose au moment où elle se présente » (Racine, Mithridate, II, 3 ds
Œuvres, éd. P. Mesnard, t. 3, p. 43); d) α) 1694 « se mettre en mesure de comprendre, de connaître par la raison, par un effort de réflexion » (Ac.);
β) 1923 empl. abs. « comprendre » (Martin du G., Thib., Belle sais., p. 1033); e) 1763 « appréhender un objet, un concept, une idée pour le rendre perceptible à d'autres ou le fixer » (Marmontel, Poétique fr., t. 1, p. 374); 3. a) 1495 dr. « mettre sous la main de la justice par une saisie » (Coutumes du comté de Ponthieu, CXVI ds Nouv. Coutumier gén., éd. Bourdot de Richebourg, t. 1, p. 96a); b) 1580 saisi subst. masc. « celui dont on a saisi les biens » (Coutumes de la prevosté et vicomté de Paris, CCCXLVIII, ibid., t. 3, p. 54b); c) 1809 saisir qqn « faire la saisie de ses biens » (Napoléon Ier, Corresp., Paris, 1865, t. 19, p. 624, cf. Littré Suppl.). Empr. à l'a. h. all.*sazjan, cf. le m. h. all. setzen « mettre quelqu'un en possession de quelque chose ». Le mot est att. vers 700 par le lat. médiév. sacire « id. » (Nierm.). Le sens originel en fr. est prob. « mettre quelqu'un en possession de quelque chose » d'où, par le pronom. se saisir de, saisir « prendre possession de » et « mettre quelque chose en sa main avec détermination ». Le sens jur. « mettre sous la main de la justice » (B 3 a) est att. en a. prov. dès 1278 [ms. du xives.] (Cartulaire de Beaumont ds Levy Prov.). Fréq. abs. littér.: 11 796. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 16 927, b) 14 010; xxes.: a) 17 401, b) 17 747). Bbg. Quem. DDL t. 6, 16. − Raymondis (L.M.), Le Guern (M.). Le Lang. de la justice pénale. Paris, 1976, pp. 94-97. |