| ROMAN1, subst. masc. A. − HIST. DE LA LITT. [Au Moy. Âge] Long récit écrit en roman ou en ancien français, d'abord en vers (notamment en octosyllabes à rimes plates), puis en prose, contant les aventures fabuleuses, galantes ou grotesques de héros mythiques, idéalisés ou caricaturés. Roman allégorique, antique, épique, satirique. Autant la philosophie répudie et rebute les aventures merveilleuses, autant l'ignorance et la superstition les saisissent avidement. De là cette affluence et ce succès universel des romans du Xeet du XIesiècle (Marmontel,Essai sur rom.,1799, p. 296).V. accouplement ex. 18, mention ex. 1: 1. Le Brut de Wace ouvre la série des romans de la Table-Ronde (...); parmi ceux du cycle de Charlemagne (...), la Chanson de Roland (...). Il se rédigeait de plus toutes sortes de romans en vers, tels que Godefroi de Bouillon et le poème souvent cité d'Alexandre: c'étaient de longs récits platement rimés.
Sainte-Beuve,Tabl. poés. fr.,1828, pp. 5-6. ♦ Roman courtois. V. courtois A 2 b p. ext.Jadis, on payait pour faire nommer un ancêtre dans une chanson de geste; maintenant, on se tenait pour honoré d'avoir paru dans une joute et d'être nommé dans un roman courtois (Faral,Vie temps st Louis,1942, p. 61). ♦ Roman de chevalerie ou roman chevaleresque. V. chevalerie A.Ridicule pour ridicule, j'aimais mieux celui des romans chevaleresques qui exigeaient dix ans d'exploits, d'aventures lointaines, de combats contre les dragons, les géants (Michelet,Journal,1844, p. 572). B. − LITT. [Á l'époque mod. ou contemp.] 1.
Œuvre littéraire en prose d'une certaine longueur, mêlant le réel et l'imaginaire, et qui, dans sa forme la plus traditionnelle, cherche à susciter l'intérêt, le plaisir du lecteur en racontant le destin d'un héros principal, une intrigue entre plusieurs personnages, présentés dans leur psychologie, leurs passions, leurs aventures, leur milieu social, sur un arrière-fond moral, métaphysique; genre littéraire regroupant toutes les variétés de ces œuvres, particulièrement florissant au xixes. Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers (Stendhal,Rouge et Noir,1830, p. 357).On trouve toujours dans un roman un centre de perspective, (...) un sujet pensant principal, (...) quelque personnage auquel le lecteur s'identifie (...); c'est toujours le tableau d'une vie intérieure (...), c'est le conflit d'un personnage romanesque avec des choses et des hommes qu'il découvre en perspective à mesure qu'il avance (Alain,Beaux-arts,1920, pp. 325-326).Le roman peut (...) admettre (...) non seulement portraits, paysages, et ce qu'on nomme « psychologie », mais encore toute sorte de pensées, allusions à toutes les connaissances. Il peut agiter, compulser tout l'esprit. C'est en quoi le roman se rapproche formellement du rêve (Valéry,Variété [I], 1924, p. 170).SYNT. Roman contemporain, traditionnel; roman intitulé (...); roman porté à l'écran; roman célèbre, à la mode, à succès; roman en (x) volumes; beau, bon, gros, interminable, long, mauvais, meilleurs, petit roman(s); dernier(s), premier, vieux roman(s); roman de jeunesse; faiseur, lecteurs, grand liseur de romans; auteur, héroïne, héros, personnage du roman; idée, intérêt, titre de/du roman; chapitre, commencement, début, fin, pages, partie, phrase, plan, scène, suite de/des/du roman(s); lecture des/du roman(s); art, conception du roman; le roman paraît; composer, écrire, faire, publier un/des roman(s); aimer le(s) roman(s); lire trop de romans. − Expr. [Pour souligner l'écart ou la similitude entre réel et imaginaire] Il n'y a que dans les romans que (...). Cela n'arrive/n'existe que dans les romans. Un séducteur devenu lucide ne changera pas pour autant (...). Il n'y a que dans les romans qu'on change d'état ou qu'on devient meilleur (Camus,Sisyphe,1942, p. 100).(C'est) comme dans les romans. Aimée! On le lui disait en termes brûlants, passionnés comme dans les romans. Elle se pâmait (...) son âme s'ébattait dans les espaces éthérés, sublimes, pressentis en ses rêves (Reider,MlleVallantin,1862, p. 83).La vie n'est pas un roman. Les grandes personnes ne partageaient pas nos jeux ni nos plaisirs. Je n'en connaissais aucune qui parût beaucoup s'amuser sur terre: la vie n'est pas gaie, la vie n'est pas un roman déclaraient-elles en chœur (Beauvoir,Mém. j. fille,1958, p. 105). 2. Genre littéraire regroupant une variété particulière de ces œuvres. Roman américain, russe; roman classique, didactique, politique, satirique; roman à l'eau de rose. Les Allemands comme les Anglais sont très-féconds en romans qui peignent la vie domestique. La peinture des mœurs est plus élégante dans les romans anglais; elle a plus de diversité dans les romans allemands (Staël,Allemagne, t. 3, 1810, p. 246).La scène culminante doit être placée à la fin, dans un roman composé à la française, c'est-à-dire (...) avec logique, (...) les romans français, à l'instar des âmes chrétiennes, gardent la possibilité de se sauver in extremis (Montherl.,Pitié femmes,1936, p. 1133).V. jeune ex. 5. ♦ Roman autobiographique. Roman qui décrit la vie de l'auteur. La peinture que, dans son roman autobiographique, Anton Reiser, il a laissée du monde de petits artisans où il naquit, des collèges où il souffrit (Béguin,Âme romant.,1939, p. 21). ♦ Roman catholique. ,,Celui qui, non seulement est convenable, mais, sans être nécessairement roman à thèse, propage les idées catholiques, s'inspire de l'idéal de la religion catholique`` (Marcel 1938). Les deux formes (...) d'un roman catholique original sont les études (...) de prêtres tourmentés par Bernanos (...) et ces drames de la conscience religieuse aux prises avec les péchés de la chair, de la haine et de l'avarice qui font le sujet des romans de François Mauriac (Art et litt.,1936, p. 38-6). ♦ Roman épique. Roman qui évoque l'épopée par ses personnages héroïques, ses vastes tableaux de la nature, etc. Roman épique de Hugo, où tout est grandiose parce que tout personnage y devient un type (Bourget,Nouv. Essais psychol.,1885, p. 161). ♦ Roman épistolaire/par lettres. V. lettre III A 2 b et ex. de Staël; v. aussi Thibaudet, Hist. litt. fr., 1936, p. 451. ♦ Roman fantastique. V. fantastique B 3 a et ex. de Green. ♦ Roman historique. V. historique I A 1 c et ex. de Chateaubriand. ♦ Roman humoristique. V. humoristique II B domaine littér., artist.Ils tâtèrent des romans humoristiques, tels que le Voyage autour de ma chambre, par Xavier de Maistre (...). Dans ce genre de livres, on doit interrompre la narration pour parler de son chien, de ses pantoufles ou de sa maîtresse (Flaub.,Bouvard, t. 2, 1880, p. 4). ♦ Roman intime/intimiste. V. intime I B 3 et ex. de Vigny. ♦ Roman mondain. Roman qui dépeint le grand monde. Les vrais romans mondains du XVIIesiècle ce sont le Cyrus et la Clélie. On trouverait dans de vrais romans de femmes du monde comme (...) Gyp cette allure de liberté naturelle (Thibaudet,Réflex. litt.,1936, p. 197). ♦ Roman naturaliste/réaliste. V. naturaliste III B hist. litt. et ex. de Zola, Lemaître et picaresque ex. de Civilis. écr. ♦ Roman noir/d'épouvante. V. noir I B 1 en partic.Les épisodes et le style même du roman noir servent à bâtir le monde de Lautréamont (Brasillach,Corneille,1938, p. 305). ♦ Roman pastoral. V. pastoral I A 2 et ex. de Sand.La Diane de Montemayor enfin inspira l'Astrée d'Honoré d'Urfé (1610), et dès lors le genre du roman pastoral fut créé en France (Sainte-Beuve,Tabl. poés. fr., 1828, p. 278). ♦ Roman paysan. Roman qui dépeint le monde paysan. Ces pays si profondément paysans et qui ne doivent d'avoir survécu (...) qu'à l'obstination avec laquelle ils se sont accrochés à « leur » sol, (...) n'avaient (...) pas produit de roman paysan absolument convaincant (Arts et litt.,1936, p. 52-5). ♦ Roman personnel. Roman qui s'inspire de la vie de l'auteur en la transposant plus ou moins. Le roman personnel, c'est-à-dire l'autobiographie transposée, est, depuis Rousseau, une vieille tradition de notre littérature. (...) le petit écrivain raconte sa petite vie, celle de son bureau, de son bataillon, de son école, de ses restaurants, de ses maîtresses (Thibaudet,Hist. litt. fr.,1936, p. 426). ♦ Roman philosophique. V. philosophique I B 3 a et ex. 8. ♦ Roman picaresque. V. picaresque B 1 ex. de Romains. ♦ Roman poétique. Roman au style imagé et qui donne une large part à la poésie de la nature, à la fantaisie, au rêve. Si (...) on y emploie un style vif, élégant, nombreux, riche en images, (...) ce sera un poëme en prose, (...) un roman poétique comparable aux plus beaux poëmes. Tel serait Télémaque (Marmontel,Essai sur rom.,1799, p. 347). ♦ Roman policier. V. policier I B et ex. 2. ♦ Roman populaire/populiste. Roman dépeignant la vie du peuple et lu par un large public. Les romans populaires ennuient (...) les gens du peuple (...). On cherche à se dépayser en lisant, et les ouvriers sont aussi curieux des princes que les princes des ouvriers (Proust,Temps retr.,1922, p. 888).Excellents tableaux de la vie petite bourgeoise et populaire de Paris avec (...) Antonine Coulet-Teissier Chambre à louer qui a consacré le nom et le genre en fondant le prix du roman populiste (Arts et litt.,1936, p. 38-7). ♦ Roman précieux. Roman qui présente des personnages idéalisés, des sentiments raffinés, un style recherché à la mode dans la première moitié du xviies. Ce monde poétique qu'ils [les personnages de Corneille] créent, est le monde galant des romans précieux (Brasillach,Corneille,1938p. 106). ♦ Roman psychologique. V. psychologique C et psychologie B 3 b ex. de Goncourt. ♦ Roman régionaliste. Roman qui reproduit l'atmosphère, les coutumes, le langage d'une région. Le roman de pays (...) a fini par prendre les noms disgracieux de régional ou de régionaliste (...). Les pays qui les auraient fournis en plus grande abondance seraient le Quercy, avec (...) Cladel, (...) la Bourgogne avec le Nono de Roupnel, le Bourbonnais avec la Vie d'un Simple de Guillaumin (Thibaudet,Hist. litt. fr.,1936, p. 450). ♦ Roman unanimiste. Roman qui décrit la vie d'un groupe, l'esprit d'une collectivité. Une technique de roman qu'il faut bien nommer « unanimiste », (...) d'origine française (Romains,Hommes bonne vol.,1932, p. xiv). ♦ Nouveau roman. Tendance littéraire du début de la 2emoitié du xxes., regroupant des romanciers tels que N. Sarraute, S. Beckett, A. Robbe-Grillet, M. Butor, Cl. Simon et qui refuse la linéarité narrative, la psychologie, le didactisme, l'engagement du roman traditionnel, cherchant à exprimer avec neutralité la réalité d'un monde objectif ou intérieur dénué de finalité, se caractérisant surtout par une réflexion, des recherches sur l'écriture: 2. Charte du Nouveau Roman telle que la rumeur publique la colporte: 1) Le Nouveau Roman a codifié les lois du roman futur. 2) Le Nouveau Roman a fait table rase du passé. 3) Le Nouveau Roman veut chasser l'homme du monde. 4) Le Nouveau Roman vise à la parfaite objectivité. (...) il serait plus raisonnable de dire: LE NOUVEAU ROMAN N'EST PAS UNE THÉORIE, C'EST UNE RECHERCHE...
Robbe-Grillet,Pour nouv. rom.,1963 [1961], p. 144. ♦ Roman à clé. V. clef III C 3. ♦ Roman à thèse. Roman qui cherche à illustrer une théorie, des idées. Le roman à thèse, l'œuvre qui prouve, la plus haïssable de toutes, est celle qui le plus souvent s'inspire d'une pensée satisfaite (Camus,Sisyphe,1942, p. 156). ♦ Roman d'amour. Roman dont l'intérêt principal réside dans l'intrigue sentimentale. Ils furent considérés dans tout le pays, vécurent heureux, et eurent beaucoup d'enfants. Voilà comment finissent tous les romans d'amour (Balzac,Goriot,1835, p. 205). ♦ Roman d'analyse/analyste. Roman qui étudie essentiellement la psychologie des personnages. Un interminable monologue commence, (...) pensé, comme il convient dans un roman d'analyse, et comprenant l'infini détail d'une vaste association d'idées (Bourget,Essais psychol.,1883, p. 225).Roman psychologique et analyste, scrutant l'inconscient et le caché (Arts et litt.,1936, p. 50-1). ♦ Roman d'anticipation, de science fiction. V. anticipation B 2 crit.Dans son roman d'anticipation (...), O Stapledon imagine pour des centaines de millions d'années, l'avenir de l'homme (...). Par des procédés savants (...), l'homme de la troisième espèce s'efforce de créer des cerveaux géants (Ruyer,Cybern.,1954, p. 32). ♦ Roman d'aventures. V. aventure B 1 b litt. mod. et ex. 25. ♦ Roman de cape et d'épée. V. cape1A 1 a et ex. 1, 2. ♦ Roman d'espionnage. Roman ayant pour principal ressort des activités d'espionnage. C'est lui [Eric Ambler] l'inventeur du roman d'espionnage « cool » (...). Pas de courses de voitures. Une énigme à résoudre. Des personnages, comme des pièces sur l'échiquier (Le Point, 1ermai 1978, p. 104, col. 2).V. espionnage A ex. de Vailland. ♦ Roman de guerre. Roman qui prend la guerre pour thème, qui relate des épisodes de guerre. Si les premiers romans de guerre traduisaient l'horreur et l'inutilité de la guerre, peu à peu un romantisme se réveillait (...). À force d'en faire de la littérature, l'époque tragique retrouvait son aspect héroïque (Arts et litt.,1936, p. 48-5). ♦ Roman d'imagination. V. imagination I B 2 et ex. d'Alain. ♦ Roman de mœurs. V. mœurs II B 2.On ne devrait faire un roman de mœurs, c'est-à-dire des mémoires impersonnels, l'histoire contemporaine de visu, qu'à quarante ans (Goncourt,Ch. Demailly,1860, p. 145). ♦ Roman d'observation. V. observation B 1 et ex. de Goncourt, Benda et Zola. 3. P. anal., HIST. DE LA LITT.
Œuvre de l'Antiquité en prose, évoquant le roman moderne. L'Odyssée, n'est-elle pas (...) le plus pathétique des romans? (...). Le roman, (...) que les Grecs avaient oublié de nommer, (...) était partout chez eux (...). La Grèce était naturellement romancière (...): la Cyropédie de Xénophon était déjà un roman qui tenait du Télémaque (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 2, 1862, p. 421).[Pétrone] décrivait la vie journalière de Rome, racontait dans les alertes petits chapitres du Satyricon, les mœurs de son époque (...). Ce roman réaliste (...) dépeignant (...) les vices d'une civilisation décrépite, (...) poignait Des Esseintes (Huysmans,À rebours,1884, p. 41). C. − P. anal. ou au fig. 1. a) [À propos de la vie principalement] Succession d'événements extraordinaires, d'actions plus ou moins remarquables, évoquant les péripéties d'un roman. Il a tant vu le monde! Sa vie est un roman. C'est lui dont l'aventure, à Londres, fit du bruit (Courier,Pamphlets pol., Au réd. « Censeur », 1819, p. 29).Je ne puis m'empêcher d'être frappé de ce continuel roman de ma vie. Que de destinées manquées! (Chateaubr.,Mém., t. 3, 1848, p. 72).V. folie B 1 ex. de Chênedollé. − Loc. adj. De roman. Qui est pittoresque, recherché, exalté, sentimental, etc. comme dans les romans. Peuples asservis (...) aux yeux de qui cet ardent amour de la liberté est une passion chimérique, une vertu de roman (Chénier,Épîtres,1794, p. 198).J'ai dû dire de fort belles choses et très délicates sur ce grand sujet, et me montrer fort sentimental; car l'Empereur (...) m'a dit ne rien comprendre à mon verbiage de roman (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 203). ♦ Héros, héroïne de roman. V. héros, héroïne1II B 1 au fig. et ex. de Rostand.Personnage de roman. Même sens. Notre vie est un livre qui s'écrit tout seul (...). Nous sommes des personnages de roman qui ne comprennent pas toujours bien ce que veut l'auteur (Green,Journal,1949, p. 283). b) Aventure amoureuse, tendre inclination, partagée ou non. Roman naïf; triste roman. Cette passion sérieuse (...) n'était qu'une surprise des sens au milieu d'une fantaisie d'esprit, un roman commencé avec l'étourderie d'une pensionnaire, soutenu au milieu des délires d'un amour sans frein (Sand,Compagn. Tour de Fr., t. 2, 1869 [1840], p. 186).Je possède ce bonheur si rare: un grand amour. J'ai passé ma vie à appeler le « romanesque », à souhaiter un roman réussi; je l'ai et je n'en veux pas. J'aime Isabelle et j'éprouve auprès d'elle un tendre mais invincible ennui (Maurois,Climats,1928, p. 187). − Loc. verb. [Prob. p. allus. aux Précieuses ridicules de Molière, scène 4] Prendre le roman par la queue. Commencer par le mariage (au contraire des romans d'amour qui se terminent généralement par un mariage) ou vivre maritalement avant le mariage; commencer par la conclusion. (Dict. xixeet xxes.). c) Personne, chose qui évoque un roman par son caractère aventureux, sentimental, sa psychologie secrète, sa poésie, etc. J'ai compris qu'au milieu de toutes ces intrigues, il serait bien difficile à votre femme de ne pas en rencontrer une (...) qu'il lui fallait un roman, pour éviter une chute (...) et j'ai été ce roman (...) roman plein de réserve, de tact, de mesure (Labiche,Mari lance sa femme,1864, iii, 11, p. 487).Si le peintre est Rembrandt, il répand sur la nature la plus vulgaire une lueur mystérieuse, qui est à elle seule une poésie, un roman de lumière (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p. 614). 2. Péjoratif a) Discours mensonger, invraisemblable; thèse, allégation avancée sans preuve. Synon. fable, fabulation, fiction.C'est un exposé impie, (...) c'est un roman, (...) un tissu de conjectures dressées avec art, mais sans fondement (Volney,Ruines,1791, p. 315).À ces affirmations si nettes que répondent les journaux de l'état-major? « Pur roman, plus invraisemblable encore que faux, documents imaginaires » (Clemenceau,Iniquité,1899, p. 424). − Loc. verb., fam. ♦ Faire du/des roman(s), raconter des romans. Tenir des propos exagérés, raconter quelque chose en déformant la réalité des faits. Synon. fam. raconter des boniments.Voilà tout ce qui me reste d'un bonheur divin. Je mentirais et ferais du roman si j'entreprenais de le détailler (Stendhal,H. Brulard, t. 1, 1836, p. 492). ♦ Faire un roman de qqc., en faire un roman. Donner une importance exagérée à quelque chose en dissertant sur ce sujet trop longuement, à tort et à travers. Synon. fam. en faire une histoire/un plat (v. plat2).Il l'a loupé [en tirant sur lui]. C'est le principal, non? (...) En fais pas un roman (Le Breton,Rififi,1953, p. 89). ♦ C'est du roman. C'est un récit invraisemblable. Quand il [Renan] arrive à Marc-Aurèle, c'est bon (...). Mais son Jésus et autres, c'est du roman. Strauss a bien établi que Jésus n'a pas existé (...). Nous n'avons rien sur Jésus que de cent ans après. Jean est un pur roman néo-platonicien (Barrès,Cahiers, t. 3, 1902, p. 16). b) Ensemble d'idées fausses, de représentations imaginaires sans grand rapport avec la réalité. Synon. chimère, illusion, imagination, rêve, utopie.Imaginer un roman. En me parlant (...) des familles de ses élèves, il lui venait une abondance de détails supposés, d'intrigues imaginaires qu'elle inventait en dépit de tout. Si calme, elle voyait toujours le roman autour d'elle, et sa vie se passait en combinaisons dramatiques (A. Daudet, Femmes d'artistes,1874, p. 201).L'intraversion excessive menace de se développer (...) en délectations compliquées et en rêveries stériles: des romans imaginaires empoisonnent le sentiment joyeux de la vie quotidienne (Mounier,Traité caract.,1946, p. 334). − Loc. verb. Bâtir des romans. S'imaginer des choses erronées, inventer des hypothèses peu fondées. Il ne peut s'empêcher de bâtir des romans, des fables, des légendes (Duhamel,Passion J. Pasquier,1945, p. 122). 3. PSYCHANAL. Roman familial (notamment ds Freud, Le Roman familial des névrosés, 1909). Fantasme courant chez l'enfant (pathologique chez l'adulte) et par lequel il s'imagine appartenir à une famille plus prestigieuse que la sienne, par réaction contre des parents dédaignés, en relation avec le complexe d'Œdipe. Il est rare que l'enfant raconte son « roman familial » autour de lui, et (...) qu'il le vive. Mélanie Klein rapporte pourtant le cas de son petit garçon de cinq ans, qui décida d'aller vivre chez ses voisins, parce qu'il était convaincu d'être un enfant trouvé dont les vrais parents étaient précisément ces gens étrangers, probablement plus représentatifs et plus aimants à ses yeux (M. Robert, Roman des orig. et orig. du roman,1972, p. 198). REM. 1. Romancie, subst. fém.,vx. Art d'écrire des romans, création romanesque. Laisse-moi donc partir pour l'aventure littéraire, pour le beau pays de romancie, sans m'inquiéter du cheval qui m'y portera (Sand,M. Sylvestre,1866, p. 21). 2. Romantiser, verbe.a) Empl. trans. Donner un caractère de roman à, transformer en roman (supra B). Synon. romancer.On s'est trop accoutumé de nos jours, sur la foi d'historiens qui énervent et romantisent l'histoire, à traiter ces hommes de terreur et de haine [Saint-Just], comme des semblables, comme des humains (Sainte-Beuve,Caus. lundi, t. 14, 1861, p. 54, note 1).b) Empl. intrans. Faire du roman (supra C 2), donner libre cours à son imagination. Il ne faut pas que je romantise sur des souvenirs démantelés, pour manquer ensuite d'imagination devant les forces vivantes (Barrès,Pays Lev., t. 1, 1923, p. 302). Prononc. et Orth.: [ʀ
ɔmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1125 ronmanz « langue vulgaire (du Nord de la France) » (Grant mal fist Adam, éd. W. Suchier, 118: Por icels enfanz Le [le sermon] fiz en ronmanz Qui ne sunt letrez); 1130-40 (Wace, Vie Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, ms. M, 741: ce dit Grace [Wace], Qui de latin en romans mist Ce que Theodimus escrist); fin xiies. roman (Floovant, éd. S. Andolf, 1424: Vous me sanblez François au parler lo roman); 2. 1155 « œuvre narrative d'une certaine longueur, écrite d'abord en vers, puis en prose (au Moyen Âge, écrite en langue vulgaire p. oppos. au latin) » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 3823: Co testimonie et ço recorde Ki cest romanz fist, maistre Wace); 1188 romant (Aimon de Varennes, Florimont, 9 ds T.-L.); 1225-30 (Guillaume de Lorris, Rose, éd. F. Lecoy, 37: E se nule ne nus demande Comant je veil que li romanz Soit apelez que je comanz, Ce est li Romanz de la Rose, Ou l'art d'Amors est tote enclose); 2emoit. xiiies. (Des deux bordeors ribauz ds Montaiglon et Raynaud, Rec. fabl., t. 1, p. 4: Ge sai des romanz d'aventure, De cels de la réonde Table, Qui sont à oïr delitable); 3. 1652 « tissu d'allégations mensongères ou sans fondement » (Guez de Balzac, Socrate chrestien, 4edisc. ds
Œuvres, éd. 1665, t. 2, p. 220); 1656 « récit invraisemblable » (Loret, Muze histor., 17 juin ds Livet Molière); 4. 1659 « aventure amoureuse passionnée » (Molière, Les Précieuses ridicules, scène 4, éd. R. Bray, p. 258). Du lat. médiév. romanice, adv. signifiant « en langue vulgaire » (c'est-à-dire en gallo-roman) p. oppos. au lat., att. dep. le xies. (ds Du Cange), dér. de romanus « Romain » qui avait pris dans la Loi Salique le sens de Gallo-roman p. oppos. à Franc Salien (v. J. Balon, Traité de Droit Salique, lexique, t. 4 et t. 1, p. 216 sqq.). Dans romanz, s a été pris pour la marque du cas-sujet sur lequel on a refait un cas-régime romant, d'où roman par chute de la cons. finale. Voir FEW t. 10, p. 454b. Bbg. Coulet. Le Roman jusqu'à la Révolution. Paris, 1967, t. 1, pp. 19-29. − Darm. 1877, p. 218 (s.v. romantiser). − Lalou (R.). Le Roman fr. depuis 1900 . Paris, 1951, pp. 5-9, 10, 31, 48, 71, 88, 108, 113. − Le Genre du roman, les genres de roman. Colloque. Amiens. 25-26 avr. 1980. Paris, 1981, pp. 13-21, 25-48. − Paris (G.). Romania. 1887, t. 16, p. 157. − Voelker (P.). Le Développement des sens du mot roman. Z. rom. Philol. 1886, t. 10, pp. 485-525. |