| RIDICULE, adj. et subst. masc. I. − Adjectif A. − Qui est de nature à provoquer involontairement le rire, la moquerie, la dérision. Synon. grotesque, risible. 1. [En parlant d'une pers.] Personnage, créature ridicule; se montrer, se rendre, se sentir, se trouver ridicule (par/en certaines choses, en certaines circonstances); rendre qqn ridicule; je ne crains pas de paraître ridicule, d'avoir l'air ridicule. Une bonne femme (...) me dit à l'oreille: « Vous ne reconnaissez pas votre frère de lait? » Sans cet avertissement, j'allais être ridicule. « Ah ! c'est toi, grand frisé! dis-je (...) » (Nerval,Filles feu, Sylvie, 1854, p. 620).Si! Vous vous moquez. Ne dites pas non, Steeny! N'est-ce pas que je suis ridicule dans cette espèce de fourreau de soie, et mes longues pattes grêles? J'ai l'air d'une araignée noire à tête blanche (Bernanos,M. Ouine, 1943, p. 1357). − [P. méton.; en parlant de comportements, de traits de caractère] Manège ridicule; actes, manières ridicules; orgueil, prétention ridicule. L'affectation est ridicule en France (...) et c'est pour cela, sans doute, que (...) chacun s'étudie à renfermer en soi les émotions violentes, les chagrins profonds ou les élans involontaires (Vigny,Serv. et grand. milit., 1835, p. 134): 1. ... chaque fois que j'ai vu, dans la rue, un grand couillon avec un panama qui pousse une petite voiture, tu ne peux pas t'imaginer comme j'ai été jaloux. J'aurais voulu être à sa place, avoir cet air bête et ces gestes ridicules... J'aurais voulu faire: « Ainsi font, font, font... ».
Pagnol,Fanny, 1932, II, 6, p. 136. 2. [En parlant d'une chose concr.] Visage ridicule; chapeau, vêtements ridicule(s); accoutrement, tenue ridicule; allure, tournure ridicule. [Elle] me rapportait de Bordeaux des cravates ridicules que je refusais de porter (Mauriac,Nœud vip., 1932, p. 34).La maison moyen âge était achevée (...). Le bâtiment était souverainement ridicule; l'artiste y avait prodigué les flèches, les clochetons, les cristallisations extérieures (Reybaud,J. Paturot, 1842, p. 369). 3. [En parlant d'une chose abstr.] Mode ridicule; se mettre dans une situation ridicule; langage, expressions, ridicule(s); être affublé d'un nom ridicule. Il a suivi dès les premiers jours les savantes manœuvres que vous faisiez pour me séduire − le mot est assez ridicule quand il s'agit d'une femme de mon âge (Hermant,M. de Courpière, 1907, i, 11, p. 10).« X., de l'Académie Française » est un « écriveur », (...) j'ai été vexé en me voyant affublé de ce titre ridicule et lamentable (Larbaud,Journal, 1931, p. 253). B. − Qui n'est pas raisonnable, contraire au bon sens. Synon. absurde, déraisonnable, saugrenu. 1. [En parlant d'une pers. ou d'un comportement] Il est ridicule que vous ne reconnaissiez pas vos torts; je serais ridicule de ne pas profiter de l'occasion; c'est ridicule de se mettre dans des situations pareilles. Mignon disait partout que sa femme était ridicule d'en vouloir à Nana; il trouvait ça bête et inutile (Zola,Nana, 1880, p. 1390).C'était ridicule de tirer sa montre de sa poche chaque jour à la même heure (...) il était non moins ridicule d'arriver à trois heures précises, comme si le sort du monde en dépendait (Simenon,Vac. Maigret, 1948, p. 8). − Sens affaibli. Excessif, disproportionné. (Dict. xxes.). 2. [En parlant d'une chose abstr.] Convention, loi ridicule; discussion ridicule; coutume, superstition ridicule. Je subis alors une conversation folle, pendant laquelle il me fit les plus ridicules confidences, se plaignant de sa femme, de ses gens, de ses enfants et de la vie (Balzac,Lys, 1836, p. 190).Et vous, Cendrars, en vous en tenant au conte ridicule de votre fermier vous faites preuve de puérilité et de crédulité (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 139). C. − Qui est insignifiant, dérisoire. − [En parlant d'une chose concr. ou abstr.] Quantité ridicule; pièce petite et ridicule; disposer de moyens ridicules. Mon imagination ravale les plus hauts événements (...) le côté petit et ridicule des objets m'apparaît tout d'abord; de grands génies et de grandes choses, il n'en existe guère à mes yeux (Chateaubr.,Mém., t. 1, 1848, p. 468).Les misérables ou ridicules petits tramways couverts de panneaux de publicité qui tressautent sur les rails (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 33). − En partic. [En parlant d'une somme d'argent] Indemnité ridicule. L'homme de lettres, avec le salaire ridicule de la pensée, est condamné à vivre comme un petit bourgeois (Goncourt,Journal, 1865, p. 137).Haverkamp avait récapitulé ses opérations de l'année. Son calcul (...) lui donna, pour les bénéfices, le chiffre d'un million quarante-deux mille deux cent cinquante francs. Ce n'était pas une somme ridicule (Romains,Hommes bonne vol., 1938, p. 177). II. − Subst. masc. A. − 1. Caractère, trait par lequel une personne ou une chose est ridicule. Ridicule d'un personnage, d'une aventure, d'une situation; ridicule de l'orgueil, de la vanité; cela est d'un ridicule achevé. Lorsqu'on arrive aux ridicules de l'amour-propre, ils se varient à l'infini, selon les habitudes et les goûts de chaque nation (Staël,Allemagne, t. 3, 1810, p. 188).Tomberai-je dans le ridicule d'être jaloux? (Radiguet,Bal, 1923, p. 126). ♦ Loc. littér. Se donner le ridicule de + inf. Se rendre ridicule en agissant de telle façon. Mon hôte (...) se donnait le ridicule de renier le nom de son père, illustre fabricant, qui pendant la Révolution avait fait une immense fortune (Balzac,Lys, 1836, p. 54).J'espérais des reproches qui ne vinrent pas. Notre mère venait de comprendre que la position horizontale lui enlevait toute majesté, toute puissance. Se donner le ridicule de déployer ses foudres en cet état, pas si bête! (H. Bazin,Vipère, 1948, p. 108). − En partic., littér., souvent au plur. Défaut, travers qui rend ridicule. Souligner les ridicules de ses contemporains. On sait que les Odes funambulesques et les Occidentales sont d'inoffensives satires des hommes et des ridicules du jour (Lemaitre,Contemp., 1885, p. 11): 2. ... dans le désert créé autour de nous, les petits ridicules de Silbermann grossissaient; je veux dire que je les remarquais davantage (...) son physique, sa gesticulation, sa voix, me choquaient...
Lacretelle,Silbermann, 1922, p. 99. 2. Absol. Ce qui (dans un comportement, une situation) provoque le rire, la moquerie, la dérision; fait d'être ridicule. Avoir le sentiment du ridicule; braver le ridicule; pousser le ridicule jusqu'à (faire telle chose); avoir horreur, peur du ridicule; craindre, éviter le ridicule; glisser, tomber dans le ridicule; c'est le comble du ridicule. Le chevalier Des Grieux (...) ne se sauve du ridicule que par sa jeunesse et par les illusions qu'il avait su conserver (Murger,Scènes vie boh., 1851, p. 287).Les Baudoin n'avaient à aucun degré cette maladroite pudeur que l'on nomme le sens du ridicule et, comme ils dédaignaient le ridicule, (...) le ridicule n'osait pas même les effleurer (Duhamel,Suzanne, 1941, p. 150). − Locutions a) Déverser, jeter, répandre le ridicule sur qqn/qqc.; frapper (vx), couvrir de ridicule qqn/qqc.; traduire (vx), tourner qqn/qqc. en ridicule. Présenter quelqu'un ou quelque chose sous un jour grotesque, en faire un objet de risée, de dérision. Synon. ridiculiser.Il est aisé de déverser le ridicule sur une science neuve par des citations artificieuses (Fourier,Nouv. monde industr., 1830, p. 35): 3. ... il était craint à cause de son bavardage, de son esprit mordant. On ne savait jamais s'il parlait sérieusement. Il (...) couvrait de ridicule de vieux officiers, puis s'amusait, sans avoir l'air d'y toucher (...) à rendre leur prestige à ceux qu'il avait humiliés.
Peisson,Parti Liverpool, 1932, p. 52. ♦ Empl. pronom. réfl. Se couvrir de ridicule. Se comporter de telle manière que l'on devienne ridicule. J'aurais continué à me couvrir de ridicule si... tout à l'heure, en quelques paroles... très rapides, insaisissables, Gabrielle n'avait éveillé dans mon esprit... je ne sais pas... un soupçon! (Bernstein,Secret, 1913, iii, 5, p. 36).L'idée qu'il puisse risquer sa vie pour moi m'est intolérable; mais je crains surtout, j'ose à peine l'avouer, qu'il ne se couvre de ridicule (Gide,Faux-monn., 1925, p. 1183). b) Le ridicule ne tue pas. Le risque d'être ridicule ne doit pas faire renoncer à entreprendre certaines actions, à se mettre dans certaines situations. (Dict. xxes.). P. iron. [Se dit à quelqu'un qui s'est mis dans une situation ridicule(ibid.)] . B. − Action, manière de ridiculiser quelqu'un/quelque chose; propos par lesquels on ridiculise quelqu'un/quelque chose. L'attendrissement sur le chien qui tire la langue, chez un scélérat couvert de sang comme lui, est de l'excellent ridicule. Il me fait rire, Sigismond, par moments (Montherl.,Malatesta, 1946, iv, 4, p. 515).En famille, à voix basse, comme font les cousins de Gunsbach et de Pfaffenhofen, nous tuons les boches par le ridicule (Sartre,Mots, 1964, p. 28). REM. 1. Ridicule, subst. masc.,altér. plais. Réticule. (Ds Littré, DG, Rob.). 2. Ridiculissime, adj.,rare. Extrêmement ridicule. Que l'on veuille bien se rappeler de ma ridiculissime éducation. Pour ne me faire courir aucun danger mon père et Séraphie m'avaient empêché de monter à cheval et, autant qu'ils avaient pu, d'aller à la chasse (Stendhal,H. Brulard, t. 1, 1836, p. 477). Prononc. et Orth.: [ʀidikyl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Subst. 1. a) 1500-03 « élément, manière d'agir qui prête à rire » (Therence en fr., éd. 1539, f o314 r ods Delb. Notes mss: Tous tes ditz ne sont que fallaces ridiculles; 1668 tourner (qqc.) en ridicule (La Fontaine, Fables, V, 1: Je tâche d'y tourner le vice en ridicule); b) 1663 « ce qui prête à rire chez une personne, dans une chose » le ridicule des hommes (Molière, Crit. Éc. des femmes, VI); id. [date de la leçon] (La Rochefoucauld, Réflexions mor., CLXIII ds
Œuvres, éd. A. Régnier, t. 1, p. 96, note 4: il y a une infinité de conduites qui ont un ridicule apparent); 2. 1652 « ce qui excite le rire, la risée (d'une manière générale) (Guez de Balzac, Socrate chrétien ds
Œuvres, Paris, L. Billaine, t. 2, 1665, p. 265: Le Ridicule est une des extremitez du subtil); 3. 1658 « personne excitant la risée » (Loret, Muze histor., 18 juil. ds Livet Molière); 1659 tourner (qqn) en ridicule (Pascal, Provinciales, XII ds
Œuvres, éd. J. Chevalier, p. 802). B. Adj. 1. av. 1502 « digne de risée » choses vaines et ridicules (O. de Saint-Gelais, Eneide, fol. 187d, éd. 1529 ds Gdf. Compl.); 1580 (d'une personne) se rendre ridicule (Montaigne, Essais, II, 17, éd. P. Villey et V. L. Saulnier, p. 659); 1588 impers. il est ridicule que (Id., III, 9, p. 975); 2. 1865 « insignifiant, dérisoire (surtout en parlant d'une somme, d'une valeur) » (Goncourt, loc. cit.). Empr. au lat.ridiculus, en bonne part « plaisant, drôle », en mauvaise part « ridicule, risible, comique; extravagant ». Cf. les synon. ant. évincés par ridicule: m. fr. ridiculaire (xves. ds Gdf.; empr. au lat. ridicularius, b. lat. ridicularis « bouffon ») et ridiculeux (xves., ibid.; empr. au lat. ridiculosus « plaisant, drôle »). Fréq. abs. littér.: 5 472. Fréq. rel. littér.: xives.: a) 9 358, b) 5 501; xxes.: a) 7 944, b) 7 559. DÉR. Ridiculité, subst. fém.,vx, littér. a) Caractère de ce qui est ridicule. La ridiculité de nos glorioles (Amiel,Journal, 1866, p. 216).Je pense à la ridiculité du salaire pour l'homme de lettres bibeloteur (Goncourt,Journal, 1876, p. 1142).b) Chose ridicule; action, propos par lesquels on se rend ridicule. C'est [Jeanne de George Sand] d'une perfection, le personnage s'entend, car il y a bien des ridiculités; c'est mal composé; les accessoires sont (quelques-uns) indignes de cette magnifique page (Balzac,Lettres Étr., t. 2, 1844, p. 456).− [ʀidikylite]. Ds Ac. 1762-1878. − 1resattest. a) ca 1610 ridiculeté « acte, conduite ridicules » (Béroalde de Verville, Le Moyen de Parvenir, Defaut, éd. H. Moreau et A. Tournon, fac-similé, p. 485), 1663-64 ridiculité (Ch. Robinet, Panégyrique de l'Éc. des femmes, 4eentrée ds Brunot t. 4, p. 551), b) 1675, 13 oct. « caractère de ce qui est ridicule » (Sévigné, Lettres, éd. E. Gérard-Gailly, t. 1, p. 876: la ridiculité de ses manières [Melledu Plessis]); de ridicule, suff. -eté*, -ité*; v. Nyrop t. 3, § 341. BBG. − Strosetzki (Ch.). Konversation ... Frankfurt am Main, 1978, p. 115. |