| * Dans l'article "RETOURNER,, verbe" RETOURNER, verbe I. − Empl. trans. A. − 1. Faire tourner, pour mettre le dessus dessous, l'intérieur à l'extérieur (ou inversement). Retourner une crêpe, un matelas, un sablier. Superstitieux jusqu'à retourner le pain, quand il est sur le dos, signe de malheur! (Goncourt, Journal, 1861, p. 966): 1. Ce muscle pénètre dans l'intérieur de la corne et va se fixer à son extrémité, en sorte que lorsqu'il se contracte (...), il tire cette extrémité de la corne en dedans, comme lorsqu'on veut retourner un bas.
Cuvier, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 435. ♦ [Le suj. désigne un inanimé] Une bourrasque de vent retourna son parapluie (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 96). − En partic. ♦ Retourner une carte; p. méton., retourner atout, trèfle, etc. Obtenir une carte indiquant telle valeur, telle couleur. Je connaissais leurs points, je savais celui des deux qui retournait le roi comme si j'eusse vu les cartes (Balzac, Peau chagr., 1831, p. 86).P. métaph. Le Christ (...) demandait à l'homme de tout risquer sur une carte retournée, celle de l'autre monde (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 299). ♦ Retourner (la terre, un champ). Bêcher, labourer. J'avais retourné la terre sur une superficie de plus de vingt pieds carrés et sur une profondeur de plus de deux pieds (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 116).P. anal. [Avec un compl. désignant un meuble, une pièce ou leur contenu] Fouiller, mettre le désordre. Synon. bouleverser, mettre sens dessus dessous (v. dessous1II B 1 b).− Enfile voir... pas si vite... ça colle pas... ôte-moi ça. − Tu ne vas pas tout retourner?... − J'ferai c'que j'ai à faire! (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 14).La fureur d'Henri Mouraud fut insensée. Il retourna tout le grenier, dénicha l'engin, le mit en pièces à coups de talon (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 221). ♦ Retourner (un vêtement). Le refaire, en mettant à l'extérieur l'envers moins usagé. Napoléon était à Sainte-Hélène, et, comme l'Angleterre lui refusait du drap vert, il faisait retourner ses vieux habits (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 144). ♦ LUTTE. Retourner qqn. Mettre l'adversaire sur le dos. Sur une ceinture de côté, il est retourné (L'Auto-vélo, 6 déc. 1901ds Petiot 1982).Fam. Retourner qqn comme une crêpe. Elle avait du répondant, un poitrail d'athlète, elle m'aurait retourné comme une crêpe si j'étais devenu très méchant! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 261). − Au fig., pop., fam. ♦ Retourner les mains devant l'ouvrage. Refuser de travailler. Un gentil petit gars, tout franc et dessalé, qui ne r'tournait pas les mains devant l'ouvrage (Barbusse, Feu, 20 août 1916ds l'
Œuvre ds Esn. Poilu 1919, p. 466). ♦ Retourner les poches (à qqn). Voler. Synon. faire les poches (v. poche1).La femme retournait les poches de son amant (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 91). ♦ Retourner sa veste. Renier ses idées par opportunisme. Cela paraît excessif à beaucoup: notamment aux ministres de Brisson, qui ont retourné leur veste gentiment (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 153).Retourner son habit (vieilli). Et pour Zola, toutes les tendresses!... pour Zola, en train de retourner son habit comme on ne l'a jamais si cyniquement retourné (Goncourt, Journal, 1893, p. 354). ♦ Retourner (qqn) sur le gril. Le presser de questions. Synon. mettre à la question (v. question2).C'est un casse-tête, un attrape-nigaud, un piège à cons. Et toi qui t'amuses, depuis deux heures à me retourner sur le gril (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 93). ♦ Retourner (qqn) comme une peau de lapin, comme un gant. Changer complètement, de fond en comble. En huit jours de temps (...) le godelureau fut retourné comme une peau de lapin! Non-seulement il avait une mine prospère, mais encore il jabotait, il batifolait, il godaillait à ravir (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 153).Vous m'avez retourné comme un gant (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 133). 2. a) Tourner une chose dans la direction opposée à celle vers laquelle elle était orientée. ♦ Retourner les chevaux (vx). Faire faire demi-tour. [Fabrice] se trouvait à dix pas du valet de chambre qui ne chantait plus: il vit dans ses yeux qu'il avait peur; il allait peut-être retourner ses chevaux (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 164). ♦ Retourner la tête, le visage. Tourner la tête, le visage dans la direction opposée à celle où l'on regardait. Lélia laissa retomber son bras et retourna lentement son visage vers l'homme de Dieu (Sand, Lélia, 1833, p. 65).Elle a dépassé la porte sans même retourner la tête (Céline, Voyage, 1932, p. 581). − Au fig. Inverser le sens. Si, en inversant brusquement le champ, on retourne l'aimantation d'un petit barreau de fer doux, on renverse le sens de rotation, le moment d'impulsion de ses électrons magnétiques (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 245): 2. Le Maître de forges, c'est l'antique roman de la fille noble conquise par le beau roturier: seulement, ici, la conquête commence après le mariage: c'est, au fond, le Gendre de M. Poirier, les rôles étant retournés.
Lemaitre, Contemp., 1885, p. 341. ♦ Retourner un adage, une définition. Inverser le sens, en permutant l'ordre des mots ou des propositions. Les passions sont des femmes qui nous bercent et nous endorment dans leurs caresses. En retournant l'idée, on peut dire aussi que les femmes sont des passions (Chênedollé, Journal, 1808, p. 36). ♦ Retourner la situation. Prendre l'avantage alors qu'on avait le dessous. Les Américains comptaient sur lui pour prendre le commandement des troupes françaises d'Afrique du Nord et retourner la situation (De Gaulle, Mém. guerre, 1956, p. 42). b) Utiliser contre quelqu'un (les armes qu'il a fournies ou qu'on lui a prises). Les Vendéens avaient retourné nos pièces. Quel malheur d'être balayé par ses propres munitions (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 188).P. métaph. Ces armes que la bourgeoisie me fournit, je saurai bien les retourner contre elle (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 148). ♦ Retourner une arme contre soi, sur soi. Se suicider. Il vient de tuer sa femme et ses enfants et a erré dans la campagne durant des heures sans trouver la force de retourner son arme sur lui (Le Monde, 9 déc. 1987, p. 23, col. 1). ♦ P. anal. Retourner une accusation contre qqn. Imputer à l'accusateur le crime dont il a porté accusation. Ce fut contre les conservateurs qu'il [le parti républicain] retourna l'accusation d'être le parti de la guerre (Bainville, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 235).Retourner un argument, une critique, etc. à qqn. Les appliquer à la personne qui les formule. Tu me maudis, vieux fantôme? Et moi, je te retourne ta malédiction dans les dents! (Claudel, Tête d'Or, 1901, 2epart., p. 195). c) Retourner qqn. Changer radicalement ses dispositions vis-à-vis de quelqu'un, le faire changer de camp. Ne te donne pas la peine, va! J'ai compris... Oh! du reste, je n'avais pas beaucoup d'illusions en partant. Je pensais bien qu'elle viendrait à bout de te retourner! (Bourdet, Sexe faible, 1931, iii, p. 453).Retourner (un agent, un espion). Le contraindre à travailler contre son camp. Après avoir « retourné » un agent, elle [la Gestapo] le fait rouler en voiture, des heures durant, dans les quartiers où il a eu ses rendez-vous (G. Perrault, L'Orchestre rouge, 1971 [1967], p. 340). 3. Tourner (quelque chose) de façon continue ou répétitive. Retourner la salade. ♦ Tourner et retourner. Tourner dans un sens puis dans l'autre. Elle revient à la vie, se laisse cajoler, tourne et retourne de gros yeux langoureux (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 226).Un moment, elle tourna et retourna la langue dans sa bouche sèche (Bernanos, Crime, 1935, p. 867). ♦ Retourner dans tous les sens. Le mouvement de bascule a pour effet de retourner le linge en tous sens, de le frotter sur lui-même, de le projeter sur les parois du tonneau (Lar. mén.1926, p. 196). − Loc. fig. ♦ Retourner le couteau, le fer dans la plaie, dans le cœur. Insister sur ce qui fait souffrir. Il reprit tout son sang-froid, et n'hésita point à retourner le poignard dans son cœur (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 467).Corignon: (...) Ah! Je ne t'aime plus... je ne t'aime plus...! Je n'en sais rien, si je ne t'aime plus!... La Môme, retournant le couteau dans la plaie: − Puisque tu te maries! (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, ii, 9, p. 52). ♦ Retourner sept fois sa langue (usuel avec tourner, v. langue I B 1 b). Prendre le temps de réfléchir avant de parler. Cela doit apprendre (...) à votre sagesse, à retourner sept fois votre folle de langue dans sa jolie prison avant de la mettre à l'essor (M. de Guérin, Corresp., 1837, p. 261). ♦ Retourner (un problème, une question) dans tous les sens. Les examiner longuement et sous tous leurs aspects. L'étudiant retournait dans sa tête des idées contradictoires (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 326). 4. Provoquer (chez quelqu'un) une intense émotion. Synon. bouleverser, mettre dans tous ses états (v. état I A 2).La première fois qu'on entame la peau d'un mort à la Clinique (...) je vous assure que cela fait un effet (...) ça vous retourne (Goncourt, Sœur Philom., 1861, p. 138). ♦ Retourner le cœur à qqn. Provoquer un sentiment de dégoût. Une nausée me retourne le cœur, me monte à la gorge impérieusement, m'affadit la bouche, me serre les tempes (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 67). ♦ Retourner l'estomac à qqn. Même sens. À présent, rien que la vue d'un verre de vin lui retournait l'estomac (A. Daudet, Évangéliste, 1883, p. 96). ♦ Retourner les sangs à qqn. Bouleverser. Elle a vu dans la rue Vivienne un cheval emballé! Elle est revenue décomposée! Ça lui a retourné tous les sangs! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 383).Avoir (les sangs, le cœur) retourné(s). Il n'avait guère mangé tant il se sentait le cœur retourné (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Père Amable, 1886, p. 232). ♦ Être retourné. Être troublé profondément. Pour toute défense, elle mit sa main devant elle et murmura: « Jacquot... » d'une voix si déchirante que Jacques en fut d'un coup retourné (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1349): 3. Il y avait si longtemps que les Slavsky étaient sans nouvelles de Montparnasse, que la rencontre avec Mizzi les émut l'un comme l'autre, toute leur ancienne vie leur revenait, ils en étaient tout retournés.
Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 130. 5. Empl. impers. Comprendre, savoir de quoi il retourne, ce dont il retourne. Comprendre, savoir les données cachées d'une situation. Synon. comprendre, savoir le dessous des cartes (v. carte II A 2).Savez-vous de quoi il retourne? dit-il à Julien; ce maître de poste est un fripon. Tout en me promenant, j'ai donné vingt sous à un petit polisson qui m'a tout dit (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 387).Le peuple, comprenant ce dont il retournait, écouta (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 186). B. − 1. Renvoyer quelque chose (à l'expéditeur). Synon. réexpédier.Retourner les invendus. Souvent ils allaient alors voir charger les paniers vides sur les camions, qui, chaque après-midi, viennent les reprendre, pour les retourner aux expéditeurs (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 782).Aussitôt votre choix fait, relativement à ce dernier point, veuillez bien lui retourner, avec votre commande, un morceau de l'étoffe marqué de son prix (Mallarmé, Dern. mode, 1874, p. 792). ♦ Retourner le compliment. Répondre à un compliment par un compliment. Je dois noter qu'à mon arrivée, quand je me suis incliné pour lui baiser la main, MmeValavert m'a dit − sur un ton de déjà vieille camarade −: « Vous êtes éblouissant! » Je lui aurais bien retourné le compliment, mais c'était un peu bête; et surtout ce n'eût pas été tout à fait exact (Romains, Hommes bonne vol., 1939, p. 103).P. antiphr. Répliquer. Mais chaque changement trouve, hélas, ses prophètes, qui, par amour de l'humanité, comme dit Aurelle, mettent à feu et à sang ce globe misérable! − Cela est fort bien dit, docteur, dit Aurelle, mais je vous retourne le compliment: pourquoi, si tel est votre sentiment, vous donnez-vous la peine d'être vous-même homme de parti? (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 31). ♦ Retourner la politesse. Rendre la politesse. Il n'aimait pas qu'on lui rendît service, parce que cela l'obligeait à retourner la politesse (Montherl., Célibataires, 1934, p. 803). 2. SPORTS (tennis). Retourner (une balle, un service), ou simpl., retourner. C. retourne toujours aussi bien (L'Équipe, 2 juin 1980ds Petiot 1982). II. − Empl. intrans. A. − 1. Vieilli, empl. abs. Faire le chemin en sens inverse. Synon. faire demi-tour*, rebrousser chemin (v. rebrousser I A 3).Le cocher retourna pour prendre le chemin de Chinon qui était meilleur que celui de Saché (Balzac, Lys, 1836, p. 265).À chaque pas, on rencontrait des gens effarés qui vous criaient: « N'avancez pas, retournez, retournez! La troupe arrive, on tire sur tout le monde » (Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 113). ♦ Retourner en arrière (cour.). Un mur lui barra la route: elle était dans une impasse. À la hâte elle voulut retourner en arrière (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 148).P. métaph. Tout, dans la société actuelle, se dresse, à chacun de nos pas, pour nous humilier, pour nous faire retourner en arrière (Éluard, Donner, 1939, p. 86). ♦ Retourner sur ses pas (cour.). La paix faite, nous retournâmes sur nos pas, sous les ordres du prince Joseph, aujourd'hui roi (Courier, Lettres Fr. et Ital., 1806, p. 731). 2. ARCHIT. [En parlant d'un corps de bâtiment] Former un angle. Être retourné d'équerre. Être orienté perpendiculairement à un autre corps de bâtiment. Si un bâtiment B, double en profondeur, est retourné d'équerre, il sera difficile d'éclairer la surface F (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 292). B. − Retourner + compl. locatif 1. Se rendre à nouveau dans le lieu d'où l'on est venu. Synon. repartir.Retourner à la maison, à sa place, chez soi. La campagne, une fois quittée, on n'y retourne guère (Michelet, Peuple, 1846, p. 74). − [Le compl. désigne une activité, le lieu d'une activité] Retourner au lit, au travail. [Le verbe est suivi d'un inf.] Retourner dormir, travailler. La fusillade devenait plus pressée. Les marchands de vins étaient ouverts; on allait de temps à autre y fumer une pipe, boire une chope, puis on retournait se battre (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 110). − Locutions ♦ Retourner à Dieu. [Dans la lang. des croyants] Mourir. Près de retourner à Dieu, il commanda de lever les stores de ses fenêtres et dit: « Quelle belle journée! » (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 158). ♦ Retourner à ses moutons. V. mouton D 3. ♦ Retourner avec qqn (pop.). Reprendre la vie commune, renouer une liaison amoureuse. Et vous croyez que je vais retourner avec vous? Ah! Tenez! Sous le couteau, je dirai non, non, jamais! (Zola, Débâcle, 1892, p. 527). 2. Aller à nouveau dans un lieu où l'on est déjà allé. Je ne suis pas retourné en Algérie depuis la guerre. Je suis retournée deux fois chez elle sans la rencontrer (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p. 1631). 3. Rare. [Le suj. désigne un inanimé] Revenir à un état antérieur. Puis la maison retourna à son silence sourd (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 80): 4. Le Négus alluma une cigarette; et tous ceux qui les suivaient firent de même à la fois: le retour à la vie. Chaque homme apparut une seconde dans la courte lueur de l'allumette ou du briquet; puis tout retourna à la pénombre.
Malraux, Espoir, 1937, p. 544. − Dans la lang. jur. Redevenir la propriété de, la possession de. Les actions en reprise, s'il en existe, ou le prix de ces biens aliénés, s'il est encore dû, retournent également aux frères et sœurs légitimes (Code civil, 1804, art. 766, p. 140). III. − Empl. pronom. A. − [Corresp. à supra I] 1. Faire un demi-tour. Il se tut enfin et je sentis ses yeux se poser sur moi, me suivre obstinément alors que, m'étant retournée, j'allai vers la fenêtre (F. Tristan, Le Dieu des mouches, 1984 [1958], p. 64). ♦ Se retourner sur soi-même. Pivoter. Le venimeux roublard avait fini par accrocher au cou son naïf adversaire, et, prompt comme l'éclair, s'était retourné sur lui-même avec furie, pensant bien le « basculer » sur les reins, puis, coup sur coup, l'envoyer à terre en plein sur le dos (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 20). 2. Tourner la tête ou le haut du corps vers l'arrière. Les hommes qui l'avaient regardée de face se retournaient pour la voir par derrière (Zola, Th. Raquin, 1867, p. 218).Ils virent passer une femme à bicyclette, qui se retourna sur eux par deux fois (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 229). ♦ Faire retourner ou se retourner qqn. Mais, tandis qu'Edward chevauche lentement, le trot d'un cheval le fait retourner; c'est Stephen qui le rejoint (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 293).Ce côté belle créature resplendissante qui fait se retourner les hommes (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 99). 3. Prendre une position opposée, en roulant sur soi-même. Je me retournerai sur l'autre flanc et me rendormirai (Musset, Confess. enf. s., 1836, p. 79).Il se retourna avec l'aide d'un infirmier, et il s'appuya sur une cuisse (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 72). ♦ Se tourner et se retourner (tour fréq.). Un sommeil agité, où je me tourne et me retourne, me détends, me renoue (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 109). ♦ Se retourner dans sa tombe. [Expr. hyperbolique par laquelle on exprime que ce qui est dit est partic. scandaleux] Mais, nom de Dieu! Si la famille avait eu le mauvais cœur de tolérer ça, les os du père Fouan se seraient retournés entre leurs quatre planches (Zola, Terre, 1887, p. 505). 4. Empl. pronom. passif. [Le suj. désigne un inanimé] Se mettre à l'envers. Son parapluie s'est retourné. La feuille imprimée d'un côté se retourne en passant au second cylindre qui imprime alors le verso (Civilis. écr., 1939, p. 8-12). − [Le suj. désigne un véhicule, un bateau ou p. méton., les occupants] Son kayak s'est retourné. Le plus adroit peut se retourner (L'Auto, 17 nov. 1905ds Petiot 1982). − Au fig. [En parlant d'une tendance] Le marché boursier s'est retourné. Puis, au fur et à mesure que se développait l'expérience nouvelle [de la IVeRépublique], l'opinion se retourna et (...) revint à une appréciation plus favorable du régime de 1875 (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 93). 5. a) Vieilli. Manœuvrer pour faire face à une agression par surprise, ou lors d'une retraite. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cette fuite. À Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d'enrayer (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 409). b) Cour., au fig., fam. Prendre des dispositions face à un événement imprévu, un changement de situation. Quant aux 200 fr. d'Henri, laissez-moi quelques jours pour me retourner (Balzac, Corresp., 1835, p. 781).D'ici huit mois nous avons largement le temps de nous retourner (Montherl., Célibataires, 1934, p. 747). 6. Se retourner contre qqn.S'opposer, après avoir été allié, ami. Rien n'égale (...) le scandale et l'ignominie de la trahison des saxons, qui, nos frères de périls et de fortune, dans nos rangs mêmes se retournent subitement contre nous pour nous égorger (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 31).Cependant la population arabe, dit-on, commence à déchanter, à se retourner contre ceux qu'elle fêtait d'abord (Gide, Journal, 1943, p. 197). ♦ [Le suj. désigne un moyen] Devenir dangereux, nuisible pour la personne qui a d'abord utilisé le moyen, avoir un effet de boomerang. Aujourd'hui, cette preuve, mensongère contre Dreyfus, se retourne contre ceux qui, en étant détenteurs, ont trahi les secrets d'État − sans avoir été jamais inquiétés (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 168). − Dans la lang. jur. Agir en justice contre une personne pour la rendre responsable d'une faute ou d'un dommage dont les charges pèsent sur soi, ou faute d'un responsable direct. Si l'auteur est inconnu, ou ne peut être déterminé, on pourra alors se retourner contre l'éditeur ou l'imprimeur, mais ceux-ci ne seront pas considérés de plein droit comme responsables de l'article incriminé (Civilis. écr., 1939, p. 44-13). 7. Se retourner vers.Avoir recours (à quelqu'un ou quelque chose) après avoir échoué ailleurs. La première crise déclencha dans le midi de la France des troubles assez graves, puis, à la suite de l'échec prévisible de l'émeute, le vigneron se retourna vers le législateur, le syndicalisme et la coopération, toutes choses assez nouvelles dans les milieux agricoles (Levadoux, Vigne, 1961, p. 84).On s'était vite rendu compte que la force musculaire humaine était décidément insuffisante pour fournir la propulsion, et l'on s'était retourné vers le seul moteur connu, la machine à vapeur (P. Rousseau, Hist. techn. et invent., 1967, p. 356). B. − [Corresp. à supra II] S'en retourner. Aller là d'où l'on vient, là où l'on vit habituellement. Synon. repartir, rentrer.Je suis encore ici pour douze jours, après quoi je m'en retourne dans la capitale avec mon livre achevé (Flaub., Corresp., 1862, p. 280).Vous allez partir? Quand reviendrez-vous? À l'automne, pour cueillir mon raisin. Revenez. Vous allez prendre le tramway pour vous en retourner, c'est plus commode (Jouve, Paulina, 1925, p. 261). ♦ S'en retourner comme on est venu. Repartir sans avoir obtenu ce qu'on souhaitait. Il n'avait pu rien distinguer. Et il s'en retourna comme il était venu... avec son rêve (Barb. d'Aurev., Memor. pour l'A... B..., 1864, p. 439). ♦ S'en retourner gros Jean comme devant. Même sens. On rit à belles dents de « l'aspirant au trône », qui s'en retournerait Gros-Jean comme devant (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 297). REM. Retournable, adj.,comm. [En parlant d'un matériau, d'un produit, d'un emballage] Qui peut être retourné à l'expéditeur. Le conditionnement moderne des fruits tend vers l'usage généralisé de l'emballage dit « perdu » (non retournable à l'expéditeur), qui est propre et limite beaucoup les manutentions (Boulay, Arboric. et prod. fruit., 1961, p. 107). Prononc. et Orth.: [ʀ
ətuʀne], (il) retourne [-tuʀn]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Trans. A. 842 returnar « détourner (quelqu'un de quelque chose) » (Serments de Strasbourg ds Bartsch Chrestomathie 1908, n o2, 19: si io returnar non l'int pois). B. 1. a) Ca 1165 retorner « renvoyer, rendre » (Troie, éd. L. Constans, 27011: qu'il retorna sa fille ariere); b) 1832 « renvoyer, réexpédier » (Balzac, Corresp., p. 135: il faut me retourner le manuscrit); 2. 1170-83 « orienter, diriger dans un sens opposé » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 2844: returné vers vostre vis); 3. a) xives. [ms.] « utiliser (ses propres armes) contre quelqu'un » (Psautier [Mazarine 258], f o64 ds Littré: Sire Dieux, retorne à mes anemis leur maus [Ps. 53, 7]); 1466 (Henri Baude, Vers, éd. J. Quicherat, p. 28: ses coups on luy retourne); b) av. 1564 « répliquer à quelqu'un en utilisant ses arguments, ses critiques, etc. » (Calvin, s. réf. ds Dochez: nous retournerons leur argument contre eux-mesmes); 1563 (Ronsard, Responce, 640 ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 11, p. 149); 1662 (A. Arnauld et P. Nicole, Log., p. 286: retourner [un dilemme]); c) 1872 iron. (Flaub., Corresp., p. 339: te retourner ton aimable mot); 1918 retourner le compliment (Maurois, Sil. Bramble, p. 31); d) 1878 fam. (Rigaud, Dict. jargon paris., p. 17: Retourner atout, donner une gifle); 1964 retourner une gifle (Lar. encyclop.). C. 1. a) Déb. xiiies. retourner qqn « le faire changer d'avis » (Vie des Pères, ms. Lyon, 772, Bullet. A. T., 1885, p. 79 ds Gdf. Compl.); b) fin xves. fig. retourner sa robe « changer d'opinion, de parti » (J. Molinet, Chron., éd. G. Doutrepont et O. Jodogne, t. 2, p. 215); 1870 retourner sa veste (Zola, La Fortune des Rougon, ch. IV, in Le Siècle, 21 juill., p. 1 ds Quem. DDL t. 16); c) 1862 retourner la situation (Hugo, Misér., t. 1, p. 112); 2. a) déb. xives. « tourner à l'envers » (De la damoisele qui n'ot parler, 52 ds J. Rychner, Contribution à l'ét. des fabliaux, t. 2, p. 122: sa busche au soloil retorne); b) 1680 « tourner (une carte) pour qu'on en voie la figure » (Rich.); 1680 retourner de pique (ibid.); 1718 qu'est-ce qui retourne? il retourne cœur (Ac.); 1739 fig. de quoi il retourne « de quoi il est question » (Caylus, Écosseuses ds
Œuvres badines, t. 10, p. 587); 3. a) fin xives. « mettre sens dessus dessous » (Froissart, Chron., éd. G. Raynaud, t. 11, p. 73: la ville retourner toute che desoulx deseure), attest. isolée; à nouv. 1822 (Delacroix, Journal, t. 1, p. 18: une idée [...] retourne les résolutions); b) 1660 retourner la terre (Oudin Fr.-Esp. ds FEW t. 13, p. 64a); c) 1761 retourner la salade (J.-J. Rousseau, Nouvelle Héloïse, VI, 2, éd. H. Coulet, Bibl. Pléiade, p. 644); 4. 1560 « modifier (un mot) par la permutation de ses éléments » (Ronsard, Continuation des Amours ds
Œuvres, t. 7, p. 123, var.); 5. 1851 fam. « bouleverser, causer une violente émotion à » (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 5, p. 132); av. 1860 (Scribe, s. réf. ds Dochez: votre récit m'a tout retourné). D. 1. Ca 1320 « tourner dans tous les sens » (Watriquet de Couvin, Dits, éd. A. Scheler, p. 74, 26: Fortune [...] le plus haut tourne et retourne); 2. fin xives. fig. « revenir sur, examiner, débattre » (Froissart, op. cit., p. 104: pluiseurs parolles retournées); 1573 (Garnier, Hippolyte, éd. W. Foerster, 1571: Elle tourne et retourne en elle Mainte mensongere cautelle). II. Pronom. A. 1. a) fin xes. « repartir, s'en aller » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 422: cum se retornent); b) ca 1050 (Alexis, éd. Chr. Storey, 120: s'en returnerent); 2. 1130-40 « tourner la tête, faire demi-tour » (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 401: au deable se retorna); 3. 1188 « changer de position » (Aimon de Varenne, Florimont, éd. A. Hilka, 7733 ds T.-L., 1151: El lit se viret et retorne). B. 1. Ca 1200 au fig. « se rapprocher de nouveau de quelqu'un » (Poème moral, éd. A. Bayot, 910: de tot vostre cuer a moi [Dieu] vos returneiz); 2. 1407-27 « changer d'opinion, de parti » (P. de Fenin, Mém., éd. E. Dupont, 1413 ds Littré); 3. a) 1563 se retourner contre « lutter contre » (Palissy, Recepte, Dédicace, éd. A. France, p. 15), attest. isolée; à nouv. 1794 (Staël, Lettres L. de Narbonne, p. 217); b) 1804 se retourner contre « retomber sur, être néfaste à (sujet inanimé) » (Constant, Journaux, p. 75); 4. 1723 « s'adapter à des circonstances nouvelles, prendre d'autres dispositions » (Marivaux, Spectateur fr., XIX, éd. F. Deloffre et M. Gilot, p. 219: une femme se retourne comme elle peut dans ces occasions-là); 5. a) 1834 « regarder en pensée ce qui a été accompli, vécu » (Musset, On ne badine pas, p. 50: on se retourne pour regarder en arrière); b) 1835 « redescendre en soi-même, se replier sur soi-même » (Vigny, Chatterton, p. 235: [le grand écrivain] se tait [...] se retourne sur lui-même). III. Intrans. A. 1. ca 1100 returner « aller de nouveau (où on est déjà allé) » (Roland, éd. J. Bédier, 1060); 2. ca 1160 retorner « revenir sur ses pas, aller en arrière » (Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 208); 3. ca 1170 « aller au lieu d'où l'on est venu, où l'on devrait être normalement » (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 2229: qu'au plus tost qu'il porra retort); 4. 1276 « (en parlant de quelque chose) être restitué à, redevenir la propriété de » (Hist. de Bourgogne, II, 44 ds Gdf. Compl.: li heritages [...] retorneroit [...] a Robert). B. 1. Ca 1180 « retrouver son état initial, revenir à un stade antérieur » (Marie de France, Fables, éd. K. Warnke, p. 249, 80: Or me covient a returner E rencliner a ma nature); 2. a) ca 1180 « se remettre (à une activité), adopter de nouveau (une croyance, un comportement) » (Id., ibid., p. 82, 59: voldreit a lui [sun malvais us] returner); b) ca 1200 « se convertir, revenir à (Dieu) » (Poème moral, éd. A. Bayot, 921: a Deu returneir); 3. a) ca 1200 « aborder de nouveau (un sujet dont on s'était éloigné) » (ibid., 475: a ce dont voliens dire tens est de returner); ca 1230 (Fille du Comte de Ponthieu, réd. remaniée, éd. C. Brunel, SATF, p. 50: retournerons a parler de la Mulaine); ca 1480 retournons à nos moutons (v. mouton); b) 1376 « recommencer à, faire de nouveau » (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, § 97, 98: retourne à lui donner plume). Dér. de tourner*; préf. re-*. Fréq. abs. littér.: 12 228. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 14 665, b) 20 425; xxes.: a) 19 861, b) 16 595. DÉR. 1. Retournage, subst. masc.a) Cout. Action de refaire un vêtement, une pièce d'étoffe en retournant l'étoffe. [Le] retournage des paletots (Montherl., Pte Inf. Castille, 1929, p. 625).b) Brass. Opération qui consiste à retourner l'orge en germination pour l'aérer, l'homogénéiser. L'installation du retournage mécanique [des couches d'orge] (Boullanger, Malt., brass., 1934, p. 141).− [ʀ
ətuʀna:ʒ]. − 1resattest. a) 1715 « action de retourner » (Décl., 22 oct., Tarif ds Littré: retournage de bateau), b) 1842 « action de retourner des boyaux » (Ac. Compl.), c) 1871-72 « action de soumettre de nouveau une pièce au tour » (Almanach Didot-Bottin, 4ecol. ds Littré Suppl. 1877), d) 1927 cout. (affiche à Paris en 1927 d'apr. Gall. 1955, p. 352: retournage de pardessus), 1929 (Montherl., loc. cit.), e) 1934 brass. (Boullanger, loc. cit.); de retourner, suff. -age*. 2. Retourneur, -euse, subst.[Corresp. à supra I] a)
α) P. iron. Garde-malade, infirmier. Autant voudrait être caniche d'aveugle (...), culotteur de pipes, retourneur d'invalides, promeneur de chiens convalescents (Gautier, Jeunes-Fr., Contes humoristiques, 1839, p. 311).
β) Au fém. Couturière qui retourne les vêtements. Une retourneuse d'habits (Lar. 19e). b) Subst. masc., brass. Appareil utilisé pour retourner automatiquement l'orge en germination. La technique de la germination [de l'orge] est variée. Elle s'effectue soit sur aire, soit dans des cases munies de retourneurs mécaniques ou dans des tambours tournants [germination pneumatique] (Industr. fr. brass., 1955, p. 7).− [ʀ
ətuʀnœ:ʀ], fém. [-ø:z]. − 1resattest. a) xves. « celui qui retourne, qui revient » (Gloss. lat.-fr., ms. Montpellier, H 110, f o221 v ods Gdf.: Redius, retourneur ou messagier), attest. isolée, b) 1770 « celui qui retourne, ressasse (des idées, des paroles) » (Grimm, Corresp., Paris, Buisson, 1812, IIepart., t. 1, p. 169: des retourneurs d'idées et de paroles), attest. isolée, c) 1839 p. iron. (Gautier, loc. cit.), d) 1875 « personne qui retourne les habits » (Lar. 19e), e) 1934 brass. (Boullanger, Malt., brass., p. 138); de retourner, suff. -eur2*. BBG. − Gall. 1955, p. 352 (s.v. retournage). − Quem. DDL t. 16, 32. − Sankoff (G.), Thibault (P.). L'Alternance entre les auxil. avoir et être en fr. parlé à Montréal. Lang. fr. 1977, n o34, pp. 99-100. |