| REGRET, subst. masc. I. − [Corresp. à regretter I] Action, fait de regretter quelqu'un, quelque chose. A. − État de conscience plus ou moins douloureux causé par une perte ou un mal, physique ou moral, concernant soi-même ou quelqu'un d'autre. 1. a) [Le compl. déterm. objectif, introd. par de, plus rarement par pour, sur, désigne une chose, un état, une existence que l'on a eue ou connue] Peine due au désir d'un retour au passé. Synon. nostalgie.Regret du passé, de son enfance, de sa jeunesse, des beaux jours, des temps heureux. Un regret mélancolique pour ces matins de mai d'autrefois qui étaient plus lumineux que ceux de nos jours (Loti,Rom. enf., 1890, p. 26).Le Mariage de Figaro est l'œuvre de Mozart que j'aime le moins (...). J'excepte l'air de la Comtesse où passe le regret de l'enfance et de l'innocence perdue (Green,Journal, 1956, p. 208).V. nostalgie ex. 1. ♦ P. plaisant., loc. fam., vx. ,,Il ne doit pas avoir regret à sa jeunesse. Il a passé sa jeunesse dans les plaisirs`` (Ac. 1798-1835). − [Sans compl.] Amer(s), extrême(s), grand(s), vain(s), vif(s) regret(s); regret(s) cuisant(s); être plein de regrets; avoir, éprouver, causer, provoquer du regret, (bien) des regrets. Profitez du bon temps, ne passez rien! Un voyage raté laisse des regrets infinis et on voit mal ce que l'on voit vite (Flaub.,Corresp., 1877, p. 315).V. amplificateur ex. 5. b) [Le compl. désigne une chose, un état, une existence que l'on n'a pas eue ou connue] Peine due à un désir insatisfait. L'imagination du bon portier l'avait poussé, dans son regret de l'âge béni de l'hôtellerie suisse, à voir dans MmeBergen une « Lammer » des Forges et Aciéries (Peyré,Matterhorn, 1939, p. 51): 1. Comme tout aurait marché, si l'on s'était mieux entendu! Des regrets attendris le prenaient, il y avait des heures où, malade de solitude, sentant la vie crouler sous lui, il serait monté chez les Josserand leur redemander Berthe pour rien.
Zola,Pot-Bouille, 1882, p. 349. 2. [Le compl. déterminatif objectif, introd. par de, plus rarement par pour, sur, désigne une pers.] Synon. affliction, chagrin, douleur, peine, tristesse.Les troupes étrangères, en 1814, ont traversé la France sans entendre exprimer ni un regret pour Bonaparte, ni un désir prononcé pour aucune forme de gouvernement (Staël,Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 172). − [Sans compl. déterminatif] Parce que ses cours allaient le forcer à résider à Toulouse, en l'écartant de sa clientèle rurale et du pays, il quitta sa chaire et revint aux champs paternels. L'étonnement fut profond parmi ses pairs, le regret unanime parmi ses élèves (Pesquidoux,Livre raison, 1932, p. 168). − En partic. [À propos d'une pers. décédée; sans compl. déterminatif] Mourir, partir en ne laissant que des regrets, en emportant les regrets de tous. L'assurance du prêtre que François Paradis, là où il se trouvait, se souciait uniquement des messes dites pour le repos de son âme, et non du regret tendre et poignant qu'il avait laissé derrière lui (Hémon,M. Chapdelaine, 1916, p. 160). ♦ [En inscription funéraire] Regrets éternels. [Les] rubans: À notre mère chérie, à la compagne de mes jours, regrets éternels, en lettres d'or sur de beaux violets (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 13). ♦ P. anal. [À propos d'un animal] V. perte ex. 1. SYNT. Regret(s) cruel(s), déchirant(s), désespéré(s), douloureux, immense(s), inavoué(s), inutile(s), superflu(s), mortel(s), poignant(s), profond(s), sincère(s), stérile(s), tardif(s), vague(s), vain(s); être rongé, consumé de regrets; se consumer de regrets, en regrets; exprimer, manifester, nourrir, témoigner un, du regret, des regrets; un regret prend, assaille, ronge, saisit, torture qqn, s'éveille en qqn. B. − 1. a) Mécontentement ou peine d'avoir ou de n'avoir pas accompli dans le passé une action personnelle qui, sans être moralement répréhensible, a causé un certain mal. Anton. satisfaction, joie, plaisir, consolation; synon. remords.Le regret d'un geste, d'une parole; être plein de regrets. Le regret de sa maladresse l'obsédait et ne lui permettait pas de prendre le ton simple et enjoué qu'il eût voulu (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p. 703). ♦ Regret de + inf.Le regret d'avoir perdu son temps, d'avoir manqué une occasion; n'avoir qu'un regret, c'est de...; son grand, son seul regret, c'est de... Vous êtes douteuse, inquiète; des repentirs retournent sur vous; de terribles regrets vous prennent de vous être ainsi embarquée (M. de Guérin,Corresp., 1837, p. 294). − Loc. verb. ♦ Fam., vx. En être aux regrets. ,,Se repentir trop tard d'avoir fait ou dit quelque chose`` (Littré). Ta! ta! ta! ta! Voilà bien mes jeunes gens! Extrêmes en tout! Ils jettent le manche après la cognée. Si je vous écoutais, j'en serais aux regrets avant huit jours, et vous aussi (About,Roi mont., 1857, p. 237). ♦ Vx ou littér. Avoir regret à + inf. Regretter de. La tombe est devenue jolie; il y a deux rosiers, des géraniums, du lierre, j'aurai même regret à voir arracher tout cela, mais il le faudra bien le mois prochain, la pierre devant être prête à ce moment-là (Ramuz,A. Pache, 1911, p. 136). ♦ Vx ou région. Avoir regret de. Regretter. Je me déciderais à pile ou face et je n'aurais pas regret du choix, quel qu'il fût (Flaub.,Corresp., 1851, p. 320). − Fam. [Dans la conversation, en interrog., en empl. ell.] Sans regret? Réfléchissez bien, êtes-vous bien décidé?: 2. lumîr: Quelles sont tes intentions? louis: Repartir pour l'Algérie, le plus tôt possible, une fois la liquidation mise en train par quoi tout est remis entre les mains du couple. lumîr: Sans regret? louis: Des regrets? Qu'ils gardent tous ces biens. C'est un soulagement pour moi.
Claudel,Pain dur, 1918, III, 2, p. 461. b) En partic. Douleur morale, désaveu d'un acte moral répréhensible. Synon. remords, repentir, repentance (littér.), contrition.Regret d'une faute, d'une erreur, de ses fautes, de ses péchés, de son geste, de son mouvement. Tout est oublié. Pardonne-moi d'avoir été nerveuse. Et n'aie pas de regret de la peine que tu m'as faite (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 290).La faute ne laisse pas seulement chez ce type d'homme le regret profond et grave, mais passager, qui exprime la blessure de la conscience avant de se laisser emporter dans son élan créateur d'avenir. (...) le remords l'absorbe dans l'hypocondrie morale (Mounier,Traité caract., 1946, p. 699). ♦ Regret de + inf.Regret de s'être emporté, d'avoir offensé Dieu. Pénétré du regret de l'avoir offensée, Malek Adhel n'ose point se présenter devant elle (Cottin,Mathilde, t. 4, 1805, p. 302). 2. Contrariété causée par une réalité qui s'oppose à la réalisation d'une attente, d'un désir, d'un souhait, d'un projet. Synon. déception, déplaisir, dépit.Le regret de ne pouvoir faire qqc. Leur plus gros regret était de ne pas avoir d'enfant (Rolland,J.-Chr., Maison, 1909, p. 973).Leur seul regret était qu'il n'y eût pas deux bicyclettes, car chacun prétendait être plus rapide que l'autre et lui lançait des défis (Giraudoux,Bella, 1926, p. 167). − À regret, loc. adv. Malgré soi, à contrecœur. Anton. avec plaisir, volontiers, de bon gré.Partir, quitter qqn à regret. L'aïeule au loin rappelait. Et une à une, lentement, comme à regret, Margot et les sœurs libres avaient pris leur essor, abandonnant là les prisonnières (Pergaud,De Goupil, 1910, p. 185). ♦ Arg., vx. L'abbaye de Monte(-)à(-)regret. V. abbaye B 4. ♦ P. anal. [En parlant d'une chose] Cette pauvre chétive personne qui se démenait (...) sous ce gaz qui semblait ne brûler qu'à regret, comme tremblant de n'être pas payé (Veuillot,Odeurs de Paris, 1866, p. 154). − Au grand regret de (qqn), à mon/ton/son ... grand regret. Tout en déplorant de ne pouvoir faire autrement. Au (grand) regret de tous. Je la mène à Milly où je vais rester deux mois à la soigner. Je ne puis donc aller à mon grand regret causer avec toi et Vignet (Lamart.,Corresp., 1832, p. 257).M. de Stermaria n'était pas ce jour-là à Balbec, au grand regret du bâtonnier (Proust,J. filles en fleurs, 1918, p. 687). − ORFÈVR. Cendres d'orfèvre (d'apr. Brard 1838). − MUS. ,,Mélodie instrumentale populaire d'Auvergne, destinée à la cabrette`` (Mus. 1976). II. − [Corresp. à regretter II] Action de formuler des excuses à quelqu'un; déplaisir exprimé à quelqu'un d'une situation présente dont on se sent responsable. A. − [Pour exprimer un refus poli, dans la conversation ou la correspondance; parfois avec un compl. déterm. subjectif] Souvent au plur. Exprimer ses regrets. Je suis chargé de t'exprimer tous les regrets de mon compagnon de voyage d'être parti sans te revoir (Gide,Faux-monn., 1925, p. 1066): 3. − Je vous prie de croire, monsieur, que si j'eusse pu supposer... − Du tout, monsieur, c'est moi qui vous demande pardon! − Ah! permettez! Les regrets sont pour moi, monsieur. La faute en est à ces diables de corridors; on se perd! On se perd!
Courteline,Ronds-de-cuir, 1893, 2etabl., II, p. 71. − Mille regrets; tous mes regrets. Vous ne me verrez pas ce soir. (...) une grippe carabinée. Tous mes regrets aux amis (Flaub.,Corresp., 1878, p. 69). B. − [Dans le style admin., notamment dans une lettre, pour annoncer un événement fâcheux ou un refus à une demande] Nous avons le regret de vous annoncer, informer que... Je commence [ma circulaire]: « Monsieur », (...) « C'est avec un profond regret que je me vois obligé (...) de vous dire que votre demande est de celles que je ne puis (...) marquer d'un caillou blanc » (Vallès,J. Vingtras, Bachel., 1881, p. 374). − Être au regret de + inf.Être au regret de ne pouvoir donner suite à une demande, de donner satisfaction à qqn. Dimanche matin, Desjardins était au regret de n'avoir pas noté aussitôt ce qu'au sujet de cette décade l'improvisation m'apportait (Du Bos,Journal, 1925, p. 368). Prononc. et Orth.: [ʀ
əgʀ
ε]. Homon. regrès. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1150 regrés plur. « lamentations, plaintes » (Conte de Flore et de Blancheflor, éd. J.-L. Leclanche, 1306); 2. ca 1165 faire regret de « manifester sa douleur à propos de » (Benoît de Ste-Maure, Troie, 23085 ds T.-L.); 3. a) 1377 avoir regret a « s'inquiéter de » (Gace de la Buigne, Desduis, 7605, ibid.); b) 1525 le regret du passé (Marguerite de Navarre, Nouvelles lettres, éd. F. Génin, p. 31); 4. a) α) ca 1470 à regret « avec déplaisir » (Georges Chastellain, Chronique ds
Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 1, p. 342);
β) fin du xves. avoir regret a quelque chose « éprouver du déplaisir à cause d'une réalité qui contrarie une attente, un désir, un souhait » (Philippe de Commynes, Mém., éd. J. Calmette, t. 2, p. 328);
γ) 1erquart du xvies. avoir grant regret (Marguerite de Navarre, Lettres, éd. F. Génin, p. 150); b) 1530 « repentir (d'avoir fait, de n'avoir pas fait, dans le passé) » (Palsgr., p. 262); c) α) 1672 avoir regret de « être désolé, navré de » (Molière, Femmes savantes, V, 4 ds
Œuvres, éd. E. Despois et P. Mesnard, t. 9, p. 178);
β) 1790 à mon grand regret (Staël, Lettres jeun., p. 404). Déverbal de regretter*. Fréq. abs. littér.: 4 864. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 8 686, b) 6 874; xxes.: a) 6 771, b) 5 517. Bbg. Bréal (M.). Regret et regretter. B. Soc. Ling. 1903-1905, t. 13, pp. 147-148. |