| RATIONALISME, subst. masc. A. − 1. PHILOS. Doctrine d'après laquelle tout ce qui existe a sa raison d'être de telle sorte que tout est intelligible. Rationalisme déductif; rationalisme expérimental, matérialiste, spiritualiste. La science (...) est fondée sur le rationalisme des faits, c'est-à-dire sur une explication théorique qui relie rationnellement les phénomènes à leurs causes (Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 53).V. chimérique ex. de Massis: 1. Notre culture, toute pénétrée du rationalisme scolastique du moyen âge, puis du rationalisme cartésien des siècles classiques, a eu le plus grand mal à imaginer que tout ne puisse s'exprimer par des idées et que l'on ne puisse même exprimer quelque chose qui ne soit pas une idée.
Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p. 284. − En partic. [P. oppos. à empirisme] ♦ Doctrine selon laquelle toute connaissance vient de principes à priori pouvant être logiquement formulés, ne dépendant pas de l'expérience et dont nous avons une connaissance raisonnée et innée. Ce rationalisme cartésien qui, après avoir tout organisé, puis tout détruit, aspirait, une fois renforcé de jansénisme et de culture anglaise, à tout reconstruire (Faure,Hist. art,1921, p. 119).Le père du rationalisme moderne [Descartes] a tant de fois proclamé comme un dogme l'indépendance de la raison qu'on a fini par croire du moins à celle de la sienne (Gilson,Espr. philos. médiév.,1932, p. 19). ♦ Doctrine d'après laquelle la raison, en tant que système de principes organisateurs des données empiriques, fonde la possibilité de l'expérience. Le rationalisme kantien m'est de plus en plus étranger. Ce n'est pas en tant qu'incarnation de la raison qu'un être m'intéresse; comme tel, il n'est tout de même qu'un « lui ». Kant a sans doute considérablement exagéré la valeur de l'autonomie comme source de valeurs (G. Marcel, Journal,1919, p. 207): 2. En 1781, Kant, dans sa Critique de la raison pure, venait de déclarer la « chose en soi » inconnaissable, et Laplace écrira: « Les causes premières et la nature intime des choses nous resteront éternellement inconnues. » Le rationalisme tendait donc à devenir une philosophie positive...
Lefebvre,Révol. fr.,1963, p. 71. 2. THÉOL. Doctrine d'après laquelle on ne doit admettre dans les dogmes religieux que ce qui est conforme à la raison reconnue comme la seule source de la connaissance. Le rationalisme moral chrétien finit par s'intégrer à une métaphysique de la loi divine; désobéir à la raison, c'est désobéir à Dieu même: tout péché est une prévarication (Gilson,Espr. philos. médiév.,1932p. 125): 3. Dieu nous a donné la lumière sous trois formes qui se complètent l'une par l'autre, la forme intelligible, la forme sensible, la forme orale ou traditionnelle. Or, le rationalisme n'admet que les deux premières, et repousse avec la tradition la certitude invincible qui se trouve en des dogmes affirmés par Dieu.
Lacord.,Conf. N.-D.,1848, p. 154. B. − P. ext. 1. Confiance dans la raison, croyance en l'efficacité de la connaissance rationnelle. La structure de la société grecque est la base matérielle du goût des Grecs pour l'abstraction, (...) elle fut aussi la base de leur rationalisme, de leur confiance dans la puissance du raisonnement pur pour atteindre la vérité, de leur admirable technique de la démonstration (Gds cour. pensée math.,1948, p. 514).Le XVIIIesiècle s'achève dans un rationalisme scientifique qui cherche les conditions du bonheur de l'humanité et croit les trouver dans la conception d'un progrès indéfini, source d'incessantes transformations (Hist. sc.,1957, p. 1564). 2. Tournure d'esprit, mode de pensée qui n'accorde de valeur qu'à la raison, à la pensée logique. Ce que la Suisse a de plus vivant en soi, c'est le rationalisme politique; la logique y fermente avec une froide violence de Calvin à Rousseau (Michelet,Chemins Europe,1874, p. 416).Les écueils du rationalisme exagéré sont de tomber dans les systèmes, les doctrines (Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 79): 4. Eh bien, quand vous parviendriez à donner à tous les enfants du village le sentiment le plus juste de ce que sont les méthodes scientifiques, quand vous auriez pénétré de rationalisme tous les esprits, vous n'auriez pas donné satisfaction à toutes les aspirations de l'homme.
Barrès,Pitié églises,1914, p. 85. − PSYCHOL. Rationalisme morbide. Forme de pensée caractéristique de certains états schizophréniques, faite de raisonnements logiques poussés jusqu'à l'absurde. Le schizophrène, ayant perdu son élan vital, le sentiment d'harmonie du moi avec la vie, se dépense dans le rationalisme morbide, jeux stériles d'une raison qui tourne à vide et se replie sur elle-même au lieu de s'appliquer aux situations concrètes et d'en résoudre les problèmes (Méd. Biol.t. 31972). C. − BEAUX-ARTS (notamment archit.). Doctrine tendant à l'appropriation exacte de la forme de l'objet à sa fonction, de la forme d'un édifice à sa destination. En Belgique l'architecture se dirige dans le sens du rationalisme avec emploi de matériaux apparents (Arts et litt.,1936, p. 10-5). Prononc. et Orth.: [ʀasjɔnalism̭]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1803 (Boiste). Dér. du lat. rationalis, suff. -isme*. Rationalism est att. en angl. en 1800 (NED). Pour les autres accept. du mot, v. Lal. Fréq. abs. littér.: 350. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 279, b) 420; xxes.: a) 409, b) 778. Bbg. Dub. Dér. 1962, p. 38. − Quem. DDL t. 29. |