| * Dans l'article "RAISONNABLE,, adj." RAISONNABLE, adj. A. − PHILOS., lang. cour. 1. Capable d'activité logique, de raisonnement. Synon. intelligent.Animal raisonnable (v. animal1). L'amour que toute créature raisonnable déchue ou non, doit au créateur (Bremond,Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 392): 1. Tout est nécessité dans l'homme, et, par exemple, ce n'est pas par une simple coïncidence que l'être raisonnable est aussi celui qui se tient debout ou possède un pouce opposable aux autres doigts, la même manière d'exister se manifeste ici et là.
Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p. 198. − [P. méton.] Propre à l'être doué de raison. Anton. sensible.Facultés raisonnables. Une certaine tradition, grossièrement, celle de la « métaphysique occidentale », s'organise autour de la différence entre l'homme et l'animal: la parole humaine témoignerait de la nature raisonnable de l'homme, par là supérieur au genre animal tout entier (J.-L. Labarrièreds Phronesis, t. 29, n o1, 1984, p. 17).V. intelligent B 1 b ex. de Maine de Biran. ♦ Âme raisonnable. Synon. de pensée (discursive), intelligence, intellect.Même en adoptant ces deux ames [sensitive et raisonnable], il restera toujours à expliquer comment la pensée, principe immatériel, ame raisonnable, est unie à la sensibilité, principe subtil mais matériel, ame sensitive (Senancour,Rêveries, 1799, p. 173).Quelle est la forme du composé humain? On le sait, c'est son âme raisonnable. C'est donc la raison qui confère à notre nature son caractère proprement humain (Gilson,Espr. philos. médiév., 1932, p. 122). 2. Conforme à la raison discursive, aux règles du raisonnement. Synon. rationnel.Hypothèse, explication raisonnable. Croire qu'un signe évident sépare ce qui est raisonnable de ce qui ne l'est point, c'est affirmer du coup que la raison est infaillible (Bourget,Essais psychol., 1883, p. 163).Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on en peut dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme (Camus,Sisyphe, 1942, p. 37).Seul, l'historien était en mesure de conférer à l'utopie un fondement raisonnable en la montrant enracinée et en quelque sorte déjà grandissant, dans le passé (Marrou,Connaiss. hist., 1954, p. 13). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. L'âme doit s'absenter de tout ce qui convient à son naturel, qui est le sensible et le raisonnable (Valéry,Variété V, 1944, p. 166). B. − Courant 1. a) Dont la pensée, le comportement, les choix sont guidés par la raison, la sagesse, la mesure; qui sait rester maître de ses impulsions, de ses passions, de son imagination. Synon. avisé, équilibré, judicieux, philosophe, réfléchi, sage, sensé.Je l'aurais crue trop raisonnable pour se livrer à de pareils écarts d'imagination! (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 128).Il n'est plus permis d'être sage dans un régime sans sagesse, ni raisonnable et prévoyant dans un État décapité (Maurras,Kiel et Tanger, 1914, p. 237).V. constant ex. 2: 2. Il éprouvait un immense bien-être parce qu'il ne subissait plus comme auparavant des impulsions bizarres, mais, au contraire, se sentait redevenu parfaitement raisonnable.
Estaunié,Ascension M. Baslèvre, 1919, p. 52. − [P. méton.; en parlant de la manière d'être d'une pers.] Propre au sage. Synon. posé.Modération, tempérament raisonnable. Cette tranquillité d'humeur, ce bel équilibre raisonnable, qui faisait de lui un excellent soldat (Zola,Débâcle, 1892, p. 3).[En parlant de ses traits, de son apparence] Synon. de posé, serein1.Air, voix raisonnable. « Je devrais prendre un peu d'exercice », se dit-il sur un ton raisonnable qui contrastait avec la fébrilité de ses gestes (Martin du G.,Thib., Belle sais., 1923, p. 924).Dans ce visage autrefois si raisonnable et transparent, il y avait maintenant quelque chose de brouillé et d'opaque (Sartre,Mur, 1939, p. 48). − [Avec valeur dépréc.; opposé aux valeurs positives de l'imagination, de la folie, de la passion] Synon. péj. cartésien.Rien ne plaît davantage à certains esprits français, raisonnables, peu ailés, esprits poitrinaires à gilet de flanelle, que cette régularité tout extérieure qui indigne si fort les gens d'imagination (Flaub.,Corresp., 1852, p. 59): 3. Les hommes qui nous gouvernent sont médiocres, par cela même raisonnables. Ils n'ont pas assez le sentiment du téméraire et ne se doutent pas du tout de la possibilité de l'impossible dans des temps comme ceux-ci.
Goncourt,Journal, 1870, p. 626. b) Inspiré, dicté par la raison; conforme à une logique, à une norme, au bon sens. Synon. fondé, juste, logique, rationnel, sensé.Quand on me dit des choses raisonnables, moi, j'en conviens tout de suite (Meilhac, Halévy,Froufrou, 1869, i, 8, p. 22).Celle [une charité] qui tente d'inculquer aux hommes une attitude raisonnable devant la vie (Montherl.,Pasiphaé, av.-pr., 1938, p. 106).V. dépense ex. 2, glorieux ex. 3: 4. En choisissant des plans raisonnables, en s'y tenant avec fermeté, en respectant la logistique, le général Eisenhower mena jusqu'à la victoire la machinerie compliquée et passionnée des armées du monde libre.
De Gaulle,Mém. guerre, 1956, p. 118. SYNT. Choix, compromis, conduite, décision, démarche, dénoûment, entreprise, ordre, partage, solution, vie raisonnable; parole, souhait, vœu raisonnable; importance raisonnable; limites, proportions raisonnables; (se ranger à un) avis raisonnable; (tenir un) langage raisonnable; (suivre un) parti raisonnable; (parler en) termes raisonnables; (avoir une) vision raisonnable des choses. − Tournure impers. Il est/paraît/semble raisonnable de + inf. (penser, admettre, faire).Synon. de il est logique, normal, légitime de.Comme il règne un grand naturel dans ces mémoires (...), il serait peut-être raisonnable de penser que cette femme aura fait confidence des détails de sa vie à quelqu'un qui les aura couchés par écrit (Delécluze,Journal, 1825, p. 159). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui correspond aux normes de la sagesse, de la logique. La distraction est un privilège du monde scientifique. Mais, dans le genre distraction, tu dépasses le raisonnable (Duhamel,Cécile, 1938, p. 97).L'idée de grand-père, pour aussi folle qu'elle fût, avait eu le mérite de déverrouiller la situation et c'est pourquoi nous avions pu entrer à nouveau, sans se faire mal, dans la logique et le raisonnable (J. Lanzmann,La Baleine blanche, Paris, Le Livre de Poche, 1983 [1982], p. 54). 2. Dans le domaine de l'activité prat. ou de la vie quotidienne a) Qui a beaucoup de bon sens; qui est docile, obéissant, accommodant; qui n'exagère en rien. Essayer chez les autres patrons de devenir bien raisonnable, pondéré, courageux, tenace, reconnaissant, scrupuleux, serviable (Céline,Mort à crédit, 1936, p. 335).Vous n'avez pas dû vous tromper non plus sur ce qu'elle a dans le cœur, et dans la tête... C'est une petite bien raisonnable [une jeune femme qu'on veut marier], qui a pris son parti d'avance (Romains,Hommes bonne vol., 1939, p. 222). − Empl. subst., rare. Cet été, plus que jamais, le costume léger (...) est de rigueur. On le trouve réalisé dans des formes classiques pour les raisonnables mais aussi dans un esprit plus neuf pour les peu conventionnels (L'Express, 15 juin 1970, p. 169, col. 2). − [Dans des propos rapportés au style dir., le plus souvent dans des loc. figées, s'adresse notamment à un enfant censé avoir l'âge de raison, en manière de reproche ou d'exhortation] Tu as été souffrante la nuit dernière; si tu voulais être raisonnable, tu te coucherais de bonne heure! (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 4, 1859, p. 248).Puisque vous avez trop froid pour écrire, si vous êtes raisonnables, je vous raconterai encore « La Mésange » (Frapié,Maternelle, 1904, p. 125): 5. Du foie gras! Du fruit défendu! Une friandise adorée que son médecin lui interdisait absolument! − Seulement, tu sais, continuait sa femme, je ne t'en permets qu'une tartine... Sois raisonnable, ou tu n'en auras jamais plus.
Zola,Joie de vivre, 1884, p. 818. b) Qui manifeste de la modération; qui témoigne d'une discipline de vie s'éloignant de tout excès. J'ai hâte d'avancer ma besogne, mais je me couche à des heures raisonnables et travaille le matin (J.-J. Ampère, Corresp., 1861, p. 403).La soirée allait un train raisonnable (Duhamel,Notaire Havre, 1933, p. 7).Nous ne condamnons pas la consommation raisonnable de vin, mais il est bien difficile de préciser quelle est cette dose raisonnable (Quillet Méd.1965, p. 154). 3. a) [Qualifie une quantité ou une réalité mesurable] Qui est dans une juste mesure; qui ne dépasse pas la norme mais qui est suffisant. Synon. modéré, suffisant, acceptable, convenable, satisfaisant, correct, honnête.Avancement, délai, indemnité, pension, profit, salaire raisonnable; besoins raisonnables; afficher un optimisme raisonnable. Le galopin, après s'être retiré à une distance raisonnable, la narguait, tapant sur sa cuisse, la main plate, puis fermée, et le pouce en l'air (Huysmans,Sœurs Vatard, 1879, p. 25).Il doit assurer un train de vie raisonnable, en rapport avec la situation sociale de chacun (Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p. 468): 6. ... la vie n'est pas très passionnante. Du moins, on ne connaît pas chez nous le désordre. Et notre population franche, sympathique et active, a toujours provoqué chez le voyageur une estime raisonnable.
Camus,Peste, 1947, p. 1219. ♦ Vieilli. Cette spirituelle princesse avait été mariée sans dot à un très-pauvre prince, et il n'y avait pas longtemps qu'elle avait des robes dont la queue fût raisonnable (Sand,Ctessede Rudolstadt, t. 2, 1844, p. 252). ♦ Empl. subst. masc. à valeur de neutre. Ce qui est suffisant. Un soir, Gaspard lui fit vider ses poches, ne lui laissa que le raisonnable et l'envoya remettre deux poignées d'argent aux pauvres de l'hôpital (Pourrat,Gaspard, 1930, p. 40). − P. euphém. (éventuellement accentué par antéposition). Dont l'importance est supérieure à la moyenne. Synon. appréciable, confortable, respectable.La mort du docteur, puis celle de sa femme, sont venues soutenir d'un raisonnable héritage le luxe que vous êtes forcé de déployer (Dumas père, Darlington, 1832, ii, 3etabl., 4, p. 71).Comme tous les gens de cabinet, comme les hommes d'État, il atteignait à un embonpoint raisonnable (Balzac,Secrets Cadignan, 1839, p. 336).En hiver, quand la neige montait le niveau de la chaussée, à une hauteur raisonnable (Triolet,Prem. accroc, 1945, p. 273). b) Le plus souvent dans le domaine du comm. et des affaires.[En parlant d'une pers.] Modéré dans ses prétentions, dans ses exigences. Un commerçant (très) raisonnable dans ses prix. Je veux ma tranquillité... En dehors de ça, je me fiche de tout, la vertu mise à part bien entendu, et pourvu que ma femme n'emporte pas la caisse. Hein? je suis raisonnable, je n'exige pas d'elle des choses extraordinaires? (Zola,Pot-Bouille, 1882, p. 236). − [P. méton.; en parlant de ces exigences elles-mêmes] Estimation, proposition, taux raisonnable; conditions raisonnables; prix des plus raisonnables; c'est très raisonnable comme prix. Tous les prix étaient affichés et tous fort raisonnables (Céline,Voyage, 1932, p. 491). C. − Loc., vx, péj. Faire le raisonnable. Synon. de faire le raisonneur*. (Ds Littré, Guérin 1892, Lar. Lang. fr., Lexis 1975). REM. Raisonnabilité, subst. fém.,rare. [Corresp. à supra B] Caractère d'une personne raisonnable. Masson me parle (...) de la parfaite raisonnabilité de sa sœur (Goncourt,Journal, 1894, p. 552). Prononc. et Orth.: [ʀ
εzɔnabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1remoit. xiies. « doué de raison » de anme reidnable [ex anima rationali] (La Comune Fei, 32 ds Psautier Cambridge, éd. Fr. Michel, p. 291); 1160-74 raisnable (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, 4396: homes [...] bien raisnable e bien corteis); ca 1300 resonables (Macé, Bible, éd. H.-C.-M. Van der Krabben, 20682: De senz garniz et resonables); b) 1370-80 raisonnable « qui se laisse guider par la raison » (Trad. Ovide Remède d'Amour, 190 ds T.-L.); c) 1666 « qui reste modéré dans ses exigences, ses prétentions » (Molière, Malade imaginaire, I, 1); 2. a) 1160-74 « conforme aux principes de bon sens, de l'équité » raançun rednable (Wace, op. cit., 2142); 1306 voie [...] resonnable (Joinville, St Louis, éd. N. L. Corbett, § 58, p. 95); b) 1370-80 « qui est suffisant, convenable, acceptable » mesure raisonnable (Trad. Ovide Remède d'Amour, 209 ds T.-L.); en partic. 1654 « d'une grandeur ou d'une importance supérieure à la moyenne » (Ablancourt, Lucien ds Rich. 1680); c) 1680 « qui traduit de la modération dans ses exigences » fraiz raisonnables (Coutumes du pays et duché de Bourbonnais, titre II, III ds Nouv. coutumier gén., éd. Bourdot de Richebourg, t. III, p. 1194); cf. 1514 payer à prix raisonnable (ds Isambert, Rec. gén. des anc. lois fr., t. 12, p. 11). Dér. de raison*; suff. -able*; pour les formes rednable, resnable, raisnable supra, cf. aussi sous raisonner, l'a. fr. raisnier. Fréq. abs. littér.: 2 949. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 205, b) 3 866; xxes.: a) 4 014, b) 4 467. Bbg. Quem. DDL t. 15 (s.v. raisonnabilité); 21. − Verreault (Cl.). Les Adj. en -able en franco-québécois. Trav. de ling. québécoise. 3. Québec, 1979, annexe 2 § 17, 18, 28, p. 192, 199, 201. |