| RÉVEILLER, verbe trans. A. − Réveiller qqn 1. Tirer du sommeil. Réveiller qqn brutalement, en le secouant; être réveillé par un bruit; réveiller un animal. C'était l'acuité de cette douleur qui avait réveillé Swann (Proust,Swann,1913, p. 317).À trois heures du matin, en plein hiver, elle se payait le luxe de réveiller tous les garçons en tirant d'un coup la couverture (Giraudoux,Bella,1926, p. 124).Empl. pronom. Sortir du sommeil. Se réveiller en sursaut; se réveiller avant l'aurore. Tuez-vous pour au moins n'avoir jamais plus à vous souvenir, à vous réveiller la nuit, en sueur, tordu d'angoisse, parce que vous ne voulez pas, parce que vous ne pouvez pas cesser de vous souvenir! (Camus,Requiem,1956, 1repart., 2etabl., p. 841).[Constr. avec un attribut du suj.] Se réveiller fatigué, reposé. L'indifférent, qui sous l'ombrage heureux s'est endormi, se réveille amoureux (Baour-Lormian,Veillées,1827, p. 279).Mon vieux, fais attention que demain tu pourrais te réveiller fou, idiot, ou ne pas te réveiller du tout (Gide,Journal,1919, p. 679).P. ext. De plus en plus je redoute de faire corps avec la figure qu'on a substituée à la mienne, avec un Jean Cocteau que je ne connais pas et que je refuse de connaître, bref, de me réveiller un jour identifié à ce double (Cocteau,Poés. crit. II,1960, p. 182). − Proverbe. Il ne faut pas réveiller le chat* qui dort. 2. P. ext. Ramener à la conscience, à la vie (quelqu'un d'inconscient, d'évanoui). − Je cours, dit l'apothicaire, chercher dans mon laboratoire, un peu de vinaigre aromatique. Puis, comme elle rouvrait les yeux en respirant le flacon: − J'en étais sûr, fit-il; cela vous réveillerait un mort (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 48).On le retournait dans son lit, on épongeait son visage en sueur, on le forçait de boire − et tout cela peut-être bien pour le réveiller de la mort (Saint-Exup.,Citad.,1944, p. 532).P. métaph. Ressusciter. Des moines-soldats! C'était de quoi réveiller les proconsuls dans leurs tombes (Bernanos,Journal curé camp.,1936, p. 1219).Empl. pronom. Sortir d'un état d'inconscience. Les couleurs qui remontaient sur ses joues (...) m'annoncèrent qu'elle allait se réveiller de son évanouissement (Lamart.,Raphaël,1849, p. 231). − Loc. fam. (Un bruit) à réveiller les morts; (crier) à réveiller les morts. Très fort. Zimmer, le coude en équerre, sonnait une fanfare à réveiller les morts (Erckm.-Chatr.,Ami Fritz,1864, p. 178).Les femmes poussaient des cris à réveiller les morts (A. France,Pt Pierre,1918, p. 147). Rem. La loc. fam. à réveiller les morts est empl. dans des domaines autres que le domaine sonore pour qualifier quelque chose d'odeur ou de goût fort, puissant, quelque chose d'énergique, d'excitant. Sa main, onctueuse et toujours caressante, lui semait sous la peau d'ardentes effluves à réveiller les morts, d'irrésistibles désirs (Flaub., 1reÉduc. sent., 1845, p. 122). Elle me lança un coup d'œil, un coup d'œil à réveiller un mort (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 260). V. supra A 2 p. ext. ex. de Flaubert. 3. P. métaph. ou au fig. a) Ramener à l'activité, faire sortir d'un état de nonchalance, d'inaction, d'apathie. Réveiller qqn de sa léthargie, de sa torpeur. Réveiller le Gaulois qui dort sous l'habit noir de tout Français (About,Grèce,1854, p. 463).L'exemple des journées d'octobre a réveillé les peuples de l'accablement où l'oppression capitaliste les maintenait. Le grand cri poussé par l'U.R.S.S. a réveillé tous les espoirs (Gide,Journal,1933, p. 1183).Empl. pronom. réfl. Reprendre de l'activité, sortir d'un état d'inactivité, de torpeur, d'assoupissement. Aujourd'hui (...) le peuple s'est réveillé, et (...) l'épée de la République a été tirée contre les monarchies (Desmoulinsds Vx Cordelier,1793-94, p. 80).Je désespère de voir le pays se réveiller de son assoupissement, lorsque l'atonie française m'apparaît sans remède et que ce grand peuple me semble résolu à demeurer couché à jamais dans l'ombre de la mort (Mauriac,Bloc-Notes,1958, p. 75). b) En partic. Ramener à la réalité. Je continue à marcher, perdu dans les rêves bêtes (...) quand j'entends un homme, arrêté contre le quai, dire à un autre: « Alors, ils vont nous tomber sur le dos! » Cette phrase me réveille et me donne immédiatement la certitude que Strasbourg s'est rendu (Goncourt,Journal,1870, p. 625).Empl. pronom. Revenir à la réalité: 1. La raison est en défaut et sommeille dès que je me répands au dehors par les sens. J'aurais besoin de me dire à chaque instant (comme Antonin se disait à lui-même): « Réveille-toi, rappelle tes esprits et reconnais que ce qui te trouble n'est que songe. Réveille-toi encore et fais de tous les accidents de la vie le même jugement que tu as fait de ce songe ». Mais je m'échappe à moi-même et je m'évanouis dans les songes de chaque jour.
Maine de Biran,Journal,1818, p. 173. B. − Réveiller qqc. 1. Ranimer, raviver, redonner de la vigueur; faire sortir d'un état d'inaction, de torpeur. Réveiller l'appétit, le courage, une douleur, une querelle, un sentiment; réveiller la végétation, la nature. Pour réveiller quelque signe de vie, Je jetais au blessé l'eau froide du courant (Lamart.,Jocelyn,1836, p. 619).Ce qu'il faut, c'est rester bien tranquille. Tâcher de ne pas réveiller son attention (Michaux,Plume,1930, p. 151). ♦ Réveiller qqc. en qqn.Peut-être pourra-t-on, avec des soins, réveiller en lui quelque lueur d'intelligence! (Verne,Île myst.,1874, p. 351).Les mots abstraits, les phrases savantes réveillent en lui une timidité naturelle que le cynisme ne recouvre qu'à peine (Bernanos,Crime,1935, p. 833). − Empl. pronom. Reprendre de la vigueur; sortir d'un état d'inaction, de torpeur. Douleur, passion qui se réveille. M. Hennebeau, devant l'entente si étroite de sa femme et de son neveu, sentit se réveiller l'abominable soupçon (Zola,Germinal,1885, p. 1316).Le Drac, avait dit l'abbé, est un des plus redoutables torrents qui soient en France; actuellement, il se montre placide, presque tari, mais vienne la saison des ouragans et des neiges, il se réveille, pétille ainsi qu'une coulée d'argent (Huysmans,Cathédr.,1898, p. 15).V. léthargie ex. de Gide.[Constr. avec un attribut du suj.] La nature se réveille toute fraîche, mais l'homme, d'avoir dormi, garde une bouche amère (Renard,Journal,1902, p. 783). − [Le compl. désigne une couleur, un tableau] Raviver, éclairer. Couleur qui en réveille une autre. À toutes les questions un peu vaines, Rembrandt pourrait répondre ceci: « Cette enfant [dans La Ronde de nuit], c'est un caprice (...) il m'a convenu de réveiller par un éclair un des coins obscurs de mon tableau (...) » (Fromentin,Maîtres autrefois,1876, p. 314). 2. En partic. Rappeler à la mémoire, à l'esprit. L'aspect de la ville est (...) singulièrement propre à réveiller une foule de souvenirs et d'idées (Staël,Corinne, t. 3, 1807, p. 75): 2. ... j'ai ouvert quelques-uns des livres que j'avais expédiés ici en 1937; j'y ai trouvé des notes gribouillées sur des enveloppes ou sur des invitations à dîner. Ces papiers, qui n'étaient que du papier au moment où je les glissai entre les pages d'un roman, sont devenus à mes yeux des objets sans prix qui réveillent des souvenirs de bonheur tout au fond de ma mémoire.
Green,Journal,1941, p. 67. REM. Réveillement, subst. masc.,hapax. Et les feuilles vertes se miraient aux vitres vertes dans le réveillement du ciel devenu vert (Jammes,De l'angélus,1898, p. 16). Prononc. et Orth.: [ʀeveje], [-vε-], (il) réveille [-vεj]. Ac. 1694, 1718: re-; dep. 1740: ré-. Étymol. et Hist. 1. a) 1155 trans. « tirer (une personne) de son sommeil » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 10755); ca 1165 inf. subst. au resvillier (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 842); 1remoit. xiiies. réfl. (Des Tresces, 281 ds Fabliaux, éd. Ph. Ménard, t. 1, p. 103); fin xives. trans. (Froissart, Chron., éd. A. Mirot, I, § 568, t. 7, p 16); b) ca 1440 trans. « faire revenir d'un évanouissement » (Amant rendu Cordelier, éd. A. de Montaiglon, 1595); c) 1576 intrans. « sortir d'un état léthargique » (Navig. Comp. Bouteille, II ds Hug.); 1690 trans. (Fur.: on picque, on tourmente les lethargiques pour les reveiller); 2. fig. a) 1269-78 trans. « tirer de l'inaction » resveillier [les bues ] aus acuillons (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 19693); fin xives. réfl. (Froissart, op. cit., III, § 229, t. 14, p. 167: Charles de Boesme ne dormy pas sus ceste besoingne, mais se resvilla); b) id. « redonner vie, acuité (à une chose) » trans. (Id., op. cit., III, § 234, t. 14, p. 176: que il revillast son droit envers la duchesse de Braibant); 1677 réfl. (Racine, Phèdre, IV, 5: Quel feu mal étouffé dans mon cœur se réveille?). Dér. de éveiller*; préf. re-*. Réveiller, qui, par son préf. à valeur intensive, signifiait propr. « tirer de son sommeil par un procédé ou à une heure inhabituels » tend, dans la lang. commune, à évincer le verbe simple. Fréq. abs. littér.: 6 451. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 8 624, b) 9 271; xxes.: a) 10 890, b) 8 553. DÉR. Réveilleur, -euse, subst.a) Subst. masc.
α) Autrefois, garde de nuit qui criait les heures dans certaines villes. (Dict. xixeet xxes.).
β) Religieux qui était chargé de réveiller les autres religieux pour les offices de nuit. (Dict. xixeet xxes.). b) Celui, celle qui réveille, a la charge de réveiller quelqu'un. Les rouleurs de Calais (...) embauchaient un nombre (...) d'hommes « à la semaine » et se répartissaient en équipes de jour et de nuit. On reconnaissait leurs maisons dans le Minck, au fil d'appel tiré de la rue par le réveilleur (Hamp,Champagne,1909, p. 192).Au fig. ou p. métaph. Le dernier mot de l'émission [sur Pascal à la Radio] a été prononcé par Béguin qui a appelé Pascal un grand réveilleur (Green,Journal,1954, p. 312).Empl. adj. Dans un creux sauvage et muet (...) Loin des bruits réveilleurs d'échos, Un fouillis de coquelicots Songe et frissonne (Rollinat,Névroses,1883, p. 231).Le chant se transforma en fanfare de guerre, joyeuse, ardente (...) sous laquelle se traînent les sons prolongés, les accents étouffés de la première mélodie réveilleuse de pensées (Barrès,Mystère,1923, p. 86).− [ʀevεjœ:ʀ], fém. [-ø:z]. − 1resattest. a) Subst.
α) 1540 masc. « celui qui excite » (La Grise, tr. Guevara, I, 17 ds Hug.),
β) 1542 « celui qui réveille » fig. resveilleur des esprits endormys (Héroet, Parfaicte amye, l. III, p. 62, ibid.),
γ) 1584 (G. Bouchet, 1reSeree [I, 46], ibid.: le crieur des trespassez, qu'on appelle le resveilleur [...] le resveilla par son cri), 1704 « (dans un monastère) religieux qui éveille les autres » (Trév.), 1854-60 fém. « personne du quartier du Temple qui éveille les commerçants » (Privat d'Anglemont ds Lar. 19e), 1882 masc. « id. » (Grison, Paris, p. 116), b) adj. 1923 (Barrès, loc. cit.); de réveiller, suff. -eur2*. |