| QUEL, QUELLE, morph. interr., exclam. ou indéf. A. − [Quel, morph. interr.] 1. [En interr. dir.] a) [Quel, adj. interr. + subst. interroge sur l'identité, rarement sur la qualité] − [Le subst. que quel introd. tient le rôle de suj.] Mais quel amoureux pourrait s'emparer d'elle? Jamais je n'ai vu aussi impétueuse soûlarde (Claudel, Endormie, 1883, p. 7).Mais quelle joie, quelle raison de vivre, quelle vie peuvent résister à cette vision? (Proust, Past. et mél., 1919, p. 224).Quelle station vient de passer en coup de vent? Asnières (Gide, Faux-monn., 1925, p. 990). − [Le subst. que quel introd. tient le rôle de régime] − Quel âge a l'aîné? demanda Vandeuvres. − Henri a neuf ans, répondit Mignon (Zola, Nana, 1880, p. 1174).L'appellera-t-on douteuse? Endure-t-elle naissance? − Où? Chez quelles gens vivais-je? (Claudel, Ville, 1893, ii, p. 371).Sous quelle latitude pouvions-nous bien être, livrés ainsi à la fureur des symboles, en proie au démon de l'analogie, objet que nous nous voyions de démarches ultimes, d'attentions singulières, spéciales? (Breton, Nadja, 1928, p. 110). Rem. 1. Lorsque le subst. est de l'animé, quel peut interroger sur la qualité: Quelles gens êtes-vous? Oreste: Qui est-ce, mère. Avoue! Clytemnestre: Quels enfants êtes-vous qui, en deux mots, faites de notre rencontre un drame? Laissez-moi, ou j'appelle! (Giraudoux, Électre, 1937, II, 4, p. 145). 2. Quel peut être empl. avec ell. du verbe: − Je monte au renfort. − De quel côté? − À la vallée (Giono, Gd troupeau, 1931, p. 90) ou même avec ell. du subst. qui l'accompagne: Elle baissa la tête. J'ai eu des malheurs qu'elle répondit. − Quels? − Je n'ose, dit-elle (Queneau, Loin Rueil, 1944, p. 76). 3. Quel peut être renforcé par est-ce que ou (pop.) par que: Quel rapport est-ce que tout cela avait avec sa propre histoire? Aucun, pensa Jacqueline. Une rencontre (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 303). b) [Quel, pron. interr. suivi de être, interroge sur l'identité ou sur la qualité] − [L'interr. porte sur l'animé] ♦ [Quel interroge sur l'identité] − Quel est-il ce général qui gourmande son voisin? − Pardi, c'est le maréchal! − Quel maréchal? − Le maréchal Ney, bêta! Ah çà! Où as-tu servi jusqu'ici? (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 42).Knock: Quelle est la première personne? (Deux gars s'avancent). (...) Lequel de vous deux? (Romains, Knock, 1923, ii, 6, p. 14).− Mais quelle est cette délicieuse enfant qui vous accompagne? demanda-t-il en souriant. − C'est, dit Édouard, Mademoiselle Sarah Vedel; la sœur de Madame Douviers, mon amie (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1168). Rem. (Vieilli). Dans une constr. alternative, quel peut commuter avec lequel: De Chénier ou de Saint-Just, quel était le plus pur? Que le plus pur soit notre guide (Guéhenno, Journal « Révol. », 1937, p. 32). ♦ [Quel interroge sur la qualité] Littér. Mais le bien aimé, où est-il? Quel est-il, celui qui agitera son sein gauche, émotionnera sa vie (Bourget, Nouv. Essais psychol., 1885, p. 62).Le moi qui respecte n'est pas le même que le moi respecté. Quel est donc ce dernier moi? En quoi consiste sa dignité? D'où vient le respect qu'il inspire? (Bergson, Deux sources, 1932, p. 65). Rem. 1. Lorsque le suj. est un pron. pers. qui n'est pas de la 3epers., le tour est rare: Qui sommes-nous? ou plutôt: quels sommes-nous, nous autres d'aujourd'hui, qui renonçons, sans même en avoir conscience, à nommer la vertu, et peut-être, à sentir vivre en nous l'idée auguste que ce nom rappelait jadis dans toute sa force? (Valéry, Variété IV, 1938, p. 172). 2. Quel peut être attribut de l'obj.: Tu sauras pour quel on me tient. Ô gnome, Et tu pourras savoir par le menu Si j'ai l'âme gaillarde, et pour quel on me nomme (Moréas, Pèlerin pass., 1891, p. 81). − [L'interr. porte sur l'inanimé] ♦ [Quel interroge sur la détermination ou sur la qualité] Tu pleures, ô mon roi! Quelle est donc ta souffrance? De ma fidélité tu connais la constance! (Moréas, Iphigénie, 1900, i, 1, p. 12).Quelles sont ces images qui pénètrent l'enfant d'un trouble passionné? Jamais il ne les avait vues; et pourtant il les connaissait: il les a reconnues (Rolland, J.-Chr., Aube, 1904, p. 69).Mon anxiété se tournait plus que jamais vers la Belgique. Quelle serait son attitude? Le roi Albert a donné trop de preuves de sa loyauté à la cause alliée pour qu'il ne soit pas possible de dire aujourd'hui que, par ses attaches de famille et sa forme d'esprit, on pouvait craindre de le voir se tourner vers nos ennemis (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 215). 2. [En interr. indir.] a) [Quel, adj. interr.: quel + subst.] Plusieurs circonstances m'ont tout d'abord fait comprendre la grandeur du sacrifice que Dieu exigeait de moi, et dans quel abîme me précipitait le parti que me conseille ma conscience (Renan, Souv. enf., 1883, p. 315).Elle comprit par quelle gêne je reculai l'heure de les lui présenter; elle se contenta de les voir à travers moi; les aimant par moi (Giraudoux, Simon, 1926, p. 155). b) [Quel, attribut] On dit qu'il est des routes sur la mer; mais elles ne sont pas tracées, et Bernard ne savait quelle était la sienne (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1208).Jérôme hésite au seuil. − Julia, il dit, viens voir quel est celui-là qui s'approche dans le chemin? (Giono,Gd troupeau,1931p. 224): 1. À mon travail de trente années j'avais le dessein d'ajouter une conclusion générale: je comptais dire, ainsi que je l'ai souvent mentionné, quel était le monde quand j'y entrai quel il est quand je le quitte.
Chateaubr., Mém., t. 4, 12848, p. 576. B. − [Quel, morph. exclam.] 1. [Quel, adj. exclam.: quel + subst.] Avec quelle appréhension j'attendais la fin de la classe! (Gide, Si le grain, 1924, p. 423).Quelle joie puissante! Mais ensuite, quand on se souvient, on doute on ne sait de quoi (Saint-Exup., Vol nuit, 1931, p. 87). − [La prop. est ell.] Quel dommage! Quel malheur! Quelle histoire. Quel trouble! quels discours embarrassés! (Lemercier, Pinto, 1800, ii, 12, p. 69): 2. − (...) vous savez que, pour moi, tout le plaisir de ces vacances est de les passer seule avec vous, et vous invitez des gens que vous connaissez à peine, que vous avez vus une fois au Maroc. − Quelle véhémence! Quelle Isabelle nouvelle!
Maurois, Climats, 1928, p. 196. − [En constr. indir.] C'est extraordinaire à quel point ses idées sont devenues saines et comme maintenant il frappe juste. Oh! il a beaucoup gagné (A. France, Lys rouge, 1894, p. 78). 2. Rare. [Quel, pron. exclam. attribut] Clytemnestre: Quels sont mes déplaisirs! ô tourment, ô misère! (Moréas, Iphigénie, 1900, iv, 2, p. 122). ♦ En empl. ell. La belle MmeP... (...) avait gratté avec la pointe de son épingle de cravate, une perle d'eau douce, du lac Nicaragua (qui est aussi le seul lac du monde contenant des requins, et quels!) (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 186).V. dessus2C ex. de Colette. C. − [Quel empl. dans des loc. indéf. où il fonctionne comme adj.] 1. Je ne sais quel, on ne sait quel + subst. Elle se leva: « Que votre frère et mon fils aient combiné ensemble je ne sais quelle escapade, c'est possible; quoique Daniel n'ait jamais prononcé devant moi ce nom de... » (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 593).Rien ne peut naître, périr, être à quelque degré, avoir un moment, un lieu, un sens, une figure, − si ce n'est sur cette scène définie, que les destins ont circonscrite, et que, l'ayant séparée de je ne sais quelle confusion primordiale, (...) ils ont opposée et subordonnée à la condition d'être vue (Valéry, Variété[I], 1924, p. 210). 2. N'importe quel. V. importer1III A. 3. [Dans le tour quel que + être (au subj.), quel fonctionne comme attribut] Je croyais presque vous avoir oubliée. Quels que puissent être vos sentiments pour lui, il est votre ami et celui de votre famille (Delacroix, Journal, 1823, p. 25).Quel qu'ait été l'homme qui est mort à Sainte-Hélène, j'ai travaillé dix ans dans son gouvernement (A. France, Bonnard, 1881, p. 398).Ce rêve, quel qu'il soit, est celui d'une élite. Il faut pour le faire passablement de littérature (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 162). Rem. 1. Quel... que peut être empl. p. arch. à la place de quelque... que lorsqu'il porte sur un adj.: Quelle grande que soit la puissance du feu, elle ne devient utile et motrice que par des machines où l'art l'engage (Valéry, Variété [I], 1924, p. 186). 2. ,,Quel adjectif s'accorde en genre et en nombre avec le sujet. Ce tour engendre de nombreuses graphies fautives: Quelque soit la cause, ou quelques soient les événements, pour quelle que soit la cause ou quels que soient les événements. L'inversion du sujet est ici obligatoire`` (Gramm. Lar. 1964, p. 136). D. − Tel* quel. REM. Quellement, voir tellement (tellement quellement). Prononc. et Orth.: [kεl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Rel. A. 1. 2emoit. xes. adj. en fonction d'épithète qual fém. (St Léger, éd. J. Linskill, 149: Ciel Ewruins, qual hora209l vid, Penre209l rovat; 205); 1erquart xiiies. en fonction d'attribut (Renclus de Molliens, Carité, éd. A. G. Van Hamel, 11, 7: Quel sont amont, tel sont aval); 2. a) fin xes. pron. régime (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 458: Signes faran li soi fidel Quals el [Jesus] abanz faire soleit); 1remoit. xiies. de quels (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, XVIII, 3); b) ca 1100 de quel que (Roland, éd. J. Bédier, 593: Altre bataille lur livrez de mëisme: De quel que seit Rollant N'estoerdrat mie). B. Quel... que, quel que introduisant des rel. indéterminées au subj., à valeur concessive 1. a) ca 1100 quel + subst. + que (Roland, 2034: Quel part qu'il alt); 1135 (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 29, ms. A: Quel loi que ses peres tenist); b) 1erquart xiies. avec anticipation de que: quel que + subst., v. quelque 1 b; 2. ca 1170 quel [+ attribut] + que (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 1929: N'i ot nul d'ax quiex que il fust, Qui faucon ou oisel n'eüst). II. Adj. interr. A. 1. interr. indir. a) fin xes. en fonction épithète (Passion, 332: Cum cela carn vidra murir, Qual agre dol, no209l sab om vius); ca 1050 (St Alexis, éd. Chr. Storey, 240; 380); xiiies. [ms.] quel est suivi d'un que explétif (2eContinuation de Perceval, éd. W. Roach, 31168, leçon du ms. P: je ne soi que il devindrent Ne quelle voie que il tinrent); b) ca 1100 en fonction d'attribut (Roland, 191: je ne sai quels en est sis curages); déb. xiies. (Benedeit, St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1680); 2. interr. dir. a) ca 1100 en fonction d'épithète quel fém., quele fém. (Roland, 146; 395); b) 1remoit. xiies. en fonction d'attribut (Psautier d'Oxford, XXXVIII, 11); ca 1150 (Charroi de Nîmes, éd. D. McMillan, 448). B. Exclam. ca 1050 en fonction d'épithète (St Alexis, 392: Filz Alexis, quels dols m'est presentet!; 452); ca 1100 quels masc. plur. (Roland, 1849). III. Pron. interr. 1. ca 1100 interr. indir. (ibid., 2553; 2567); 2. ca 1170 interr. dir. (Rois, I, XXVII, 10, éd. E. R. Curtius, p. 54: Sur quels as ui curud?). Du lat. qualis, interr. « quel, de quelle espèce, de quelle nature? », empl. en interr. dir. ou indir., en fonction d'épithète ou d'attribut; − rel. (le corrélatif talis étant exprimé ou s.-ent.). Dans la lang. vulg., à basse époque, est équivalent du qui rel. (ive-ves., Lat. Gramm. Synt. und Stil., 1964, § 244, p. 459). − À côté de la déclinaison fém. sing.: cas suj. quels, quel; cas régime quel, apparaît une forme anal. quele, queles, qui, vers le xvies. élimine la forme phon. La forme masc. du cas suj. est quieus; quels peut représenter soit une graph. arch. de queus, soit une réfection à partir de quel, cas régime, v. Moignet 1973, p. 45. Fréq. abs. littér.: 56 921. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 85 459, b) 79 439; xxes.: a) 81 485, b) 77 580. Bbg. Darcueil (J.). Ét. de l'expr. de la concess. en fr. Banque Mots. 1980, n o20, pp. 139-149. − Gautier (L.). Qq. tours néologiques. Fr. mod. 1962, t. 30, pp. 255-264. − Gérard (J.). L'Exclam. en fr. Tübingen, 1980, pp. 85-88, 118-123. − Glättli (H.). À propos de la synt. des interr. quel et lequel en fr. mod. Vox rom. 1954/55, t. 14, pp. 62-71. − Heriau (M.). Le Verbe impersonnel en fr. mod. Lille-Paris, 1980, t. 1, p. 334, 486; t. 2, p. 879, 880; pp. 882-885; p. 963. − Jokinen (U.). Les Rel. en m. fr. Helsinki, 1978, pp. 37-41, 47-52. − Le Bidois (R.). L'Invers. du suj. ds la prose contemp. Paris, 1952, p. 75, 78, 79, 279, 283. − Mahmoudian (M.). Les Modalités nom. en fr. littér. contemp. Linguistique. Paris. 1971, t. 7, n o2, pp. 94-95. − Maler (B.). Synon. rom. de l'interr. qualis. Stockholm, 1949, pp. 5-16; p. 37, 38, 62, 63. − Morel (M.-A.). Ét. sur les moy. gramm. et lex. propres à exprimer une concess. en fr. contemp. thèse, Paris, 1980, pp. 435-454, 582-583, 787-789, 876-877. − Renchon (H.). Ét. de synt. descr. 2. La Synt. de l'interr. Bruxelles, 1967, passim. − Richters (O.). Zur historischen Syntax von interrogativem quel. Diss., Göttingen, 1909, 132 p. − Sandfeld (Kr.). Synt. du fr. contemp. 1. Les Pron. Paris, 1965, pp. 311-315. − Verheugd (E.). Quel: sujet ou attribut? Rech. Ling. fr. Utrecht. 1987, pp. 3-16. |