| PRÉCAIRE, adj. A. − DR. Qui n'est octroyé, qui ne s'exerce que grâce à une concession, à une permission toujours révocable par celui qui l'a accordée. Avant (...) [Solon], la plupart des habitants de l'Attique étaient encore réduits à la possession précaire du sol et pouvaient même retomber dans la servitude personnelle (Fustel de Coul.,Cité antique, 1864, p.342).V. précarité ex. 1: 1. ... l'administration peut délivrer des autorisations précaires d'occupation et percevoir en échange des taxes spéciales (pour l'implantation de stations d'essence, d'étalages, de terrasses de café, etc.)...
Belorgey,Gouvern. et admin. Fr., 1967, p.228. ♦ Détenteur précaire. V. détenteur A 1. − Loc. adv. À titre précaire. Par suite d'une autorisation toujours révocable. Des maîtres auxiliaires peuvent être chargés à titre essentiellement précaire d'assurer l'intérim d'un emploi momentanément vacant (Encyclop. éduc., 1960, p.339). − Empl. subst. masc. ou fém. (v. Littré), HIST. DU DR. Procédé juridique, hérité du droit romain, utilisé à l'époque franque, permettant à un propriétaire de concéder des tenures grevées de charges modiques (ou même nulles), mais n'impliquant pas d'obligations militaires à la différence du bénéfice (v. ce mot II A 1), en vue de rémunérer des services ou d'entretenir des fidélités (d'apr. Fédou Moy. Âge 1980). ♦ P. méton. La précaire fut à la fois et l'acte de concession d'une terre à titre d'usufruit, et la terre elle-même concédée dans cette forme (E. Boutaric, Des origines du régime féodal, Paris, 1875, p.10 ds Littré). Il faut distinguer la précaire (precaria), qui est l'acte de requête par lequel un vassal demandait à son seigneur de lui faire un don suffisant pour assurer sa subsistance, ou par lequel un homme libre demandait un bienfait en offrant en échange sa fidélité et ses services, du précaire (précarium) qui est précisément le bien fructifère concédé par le puissant à celui qui se place sous sa protection (Encyclop. univ.t.201975, p.1557). − Loc. adv. En/par précaire; à titre de précaire. Synon. vieilli de à titre précaire.D'une part la rupture avec l'avant-guerre, d'autre part l'incertitude absolue des lendemains, semblent donner la vie, comme on disait dans le droit ancien, en précaire, et singulièrement la vie littéraire (Thibaudet,Hist. litt. fr., 1936, p.521). B. − P. ext. 1. [En parlant d'une réalité abstr.] Dont on ne peut garantir la durée, la solidité, la stabilité; qui, à chaque instant, peut être remis en cause. Synon. aléatoire, incertain, instable, passager.Dantès n'avait pas mangé depuis la veille, mais il n'avait pas songé à la faim le matin, et il n'y songeait pas encore. Sa position était trop précaire pour lui laisser le temps d'arrêter sa pensée sur aucune autre idée (Dumas père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.248).Don Juan sait et n'espère pas. Il fait penser à ces artistes qui connaissent leurs limites, ne les excèdent jamais, et dans cet intervalle précaire où leur esprit s'installe, ont toute la merveilleuse aisance des maîtres (Camus,Sisyphe, 1942, p.98): 2. L'amitié, l'amour, c'était à mes yeux quelque chose de définitif, d'éternel, et non pas une aventure précaire. Je ne voulais pas que l'avenir m'imposât des ruptures: il fallait qu'il enveloppât tout mon passé.
Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.107. SYNT. État, existence, santé, situation, sort, statut précaire; circonstances, conditions précaires; carrière, métier précaire; ressources précaires; beauté, bonheur, dignité, équilibre, harmonie, ordre, paix, sécurité, sérénité, tranquillité précaire; accord, alliance, appui, attachement, intimité, liaison, relation précaire; autorité, domination, pouvoir, réussite, triomphe précaire; innovation, théorie précaire; majorité précaire. ♦ [P. méton.] Il ne s'agit plus d'aimer et de vivre; il faut dévorer ses larmes et traîner des jours précaires, flétris, misérables (Senancour,Obermann, t.2, 1840, p.176).Tout n'était que silence, repos, autour de lui, dans ces quarante chambres où tant de vies précaires avaient pris refuge (Dabit,Hôtel, 1929, p.45).Nous vivons (...) une vie terriblement quotidienne. Nous vivons au jour le jour, comme aux époques les plus pressées par les besoins immédiats, comme aux temps les plus précaires de l'humanité (Valéry,Regards sur monde act., 1931, p.202). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. D'une certaine manière, des gens qui renoncent à tout et des gens qui désirent tout sont bien faits pour s'entendre. Les uns et les autres, en effet, ne se satisfont de rien; ils ont jusqu'à en souffrir le sens du précaire, le désir de la perfection (Barrès,Renan, 1888, p.163).Et le sacrifice que nous pensions mutuellement consentir, cette incertitude même, le sentiment du précaire où nous vivions donnaient à ces derniers moments le charme des débuts de l'amour (Tharaud,Maîtr. serv., 1911, p.70). ♦ Le précaire de qqc. Le caractère précaire de quelque chose. Dans ces moments où j'ai ressenti si vivement le précaire de l'existence, j'ai su que je tenais plus aux choses de l'art qu'à la fortune, qu'à l'enthousiasme des affaires (Aragon,Beaux quart., 1936, p.458): 3. [Benjamin Crémieux] montre l'instabilité générale engendrant en 1918 la recherche de toutes les formes de pensée et d'art qui coïncidaient avec le précaire des régimes politiques, et aboutirent au dadaïsme.
Arts et litt., 1936, p.40-7. 2. [Dans le domaine concr.] Dont on ne peut garantir la solidité, la durée; qui n'est pas sûr. Abri, refuge précaire; clôture, hutte précaire; ombre précaire. La rapidité de montage des lignes de campagne et leur installation précaire (...) font que ces lignes ont un très mauvais isolement (A. Leclerc,Télégr. et téléph., 1924, p.246).Hongkong, écrit un membre de la Chambre de Commerce (...), si le Gouvernement anglais ne décide pas d'intervenir par les armes, sera dans un an le port le plus précaire de l'Extrême-Orient (Malraux,Conquér., 1928, p.116).Elle arrivait aux lignes d'avant-garde la nourriture, honteusement rampante et lourde, en longs cortèges boiteux de carrioles précaires (Céline,Voyage, 1932, p.43).V. ais ex. 11. REM. Précairement, adv.a) [Corresp. à supra A] À titre précaire. Ceux qui possèdent pour autrui, ne prescrivent jamais, par quelque laps de temps que ce soit. Ainsi, le fermier, le dépositaire, l'usufruitier, et tous autres qui détiennent précairement la chose du propriétaire, ne peuvent la prescrire (Code civil, 1804, art. 2236, p.409).[Par dérision] La Vénus de Milo n'est le bien de la communauté française que précairement et tant qu'il n'a pas plu au Parlement de la vendre, de la mettre en gage, de la donner ou d'en faire de la chaux (Thibaudet,Réflex. litt., 1936, p.48).b) [Corresp. à supra B] D'une manière précaire. Ezra prit à tâche, secondé par Néhémie, d'enseigner et d'imposer les commandements de la Tora à son peuple, quelques dizaines de milliers d'âmes peut-être, précairement installées à Jérusalem (Weill,Judaïsme, 1931, p.20).Un jeune héros de Mauriac considérait ses amitiés et ses plaisirs comme des «branches» qui le soutenaient précairement au-dessus du néant (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.228). Prononc. et Orth.: [pʀekε:ʀ]. Ac. 1694, 1718: pre-; dep. 1740: pré-. Étymol. et Hist. 1. a) 1336 precoire dr. «qui ne s'exerce que grâce à une autorisation révocable» (A. N., S 307, pièce 16 ds Gdf. Compl.), empl. isolé; de nouv. av. 1585 précaire (Ronsard, OEuvres compl., éd. P. Laumonier, t.18, p.449, 94); b) 1804 détenteur précaire (Code civil, art. 2239, p.409); 2. a) 1618 «dont l'avenir, la durée, ne sont pas assurés» (A. d'Aubigné, Hist. univ., t.1, p.346: vie précaire); b) 1892 «id. (de choses matérielles)» (Claudel, Violaine, p.562). Empr. au lat. jur. precarius «obtenu par prière; donné par complaisance; mal assuré, passager», dér. de precari «prier, demander en priant» (v. prier). Fréq. abs. littér.: 452. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 493, b) 285; xxes.: a) 593, b) 991. |