| POIVRE, subst. masc. A. − BOT. Épice d'origine orientale, fruit du poivrier, se présentant sous la forme d'une petite baie de saveur piquante et aromatique, très utilisée en cuisine, consommée en grains séchés, broyés ou pulvérisés. Poivre en grains, moulu, concassé (synon. mignonnette); ajouter du poivre; assaisonner de poivre; concasser, moudre, piler du poivre; grain, huile de poivre; moulin à poivre; une pointe de poivre; sauce, steack au poivre. L'épicier pour peser le poivre prend une balance plus fine que pour peser le savon (Barrès,Cahiers, t.3, 1903, p.79).Un soir, à table, je m'avisai de mettre à la dérobée une pincée de poivre sur la part de tarte à la crème réservée à la vieille Mélanie qui raffolait de sucreries (A. France,Pt Pierre, 1918, p.125).V. poivrier A ex. de Brunerie: . Mais les tables bourgeoises n'ignorent pas non plus les plantureux services. On voit, dans un fabliau, un prêtre de campagne, aidé de sa nièce et de sa servante-maîtresse, apprêter, pour traiter un chevalier, un repas qui lui fasse honneur. On broie l'ail, le cumin et le poivre...
Faral,Vie temps st Louis, 1942, p.167. ♦ Poivre blanc. ,,Fruit du poivrier cueilli mûr puis ayant subi un traitement de macération, de trituration, qui élimine l'enveloppe externe`` (Clém. Alim. 1978). Le poivre blanc des cuisines est la même graine que le poivre noir, dont on a enlevé la surface noire par macération pendant 6 semaines dans l'eau (Audot,Cuisin. campagne et ville, 1896, p.146). ♦ Poivre noir. ,,Fruit du poivrier cueilli vert au moment où les grains commencent à jaunir, puis séché au soleil`` (Clém. Alim. 1978). On emballait le pain de sucre drapé d'un biais de papier indigo, les cinq kilos de chocolat, la vanille, la cannelle, la noix-muscade, le rhum pour les grogs, le poivre noir et le savon blanc (Colette,Sido, 1929, p.139). ♦ Poivre vert. Poivre ,,cueilli avant maturité; il est vendu séché, au vinaigre ou en saumure; son parfum est (...) fruité`` (Courtine Gastr. 1984). Les Assaisonnades (...). Il s'agit de produits lyophilisés par le froid et mis en bocaux sous vide. Huit produits différents, depuis l'estragon et la ciboulette hachés, les oignons en morceaux et le poivre vert en grains (Madame Figaro, 10 sept. 1983, p.110). ♦ Poivre gris. ,,Produit commercial obtenu par mélange de poivre blanc et de poivre noir`` (Clém. Alim. 1978). − P. anal. ♦ Autre fruit ou épice utilisé comme condiment. Poivre à queue (cubèbe); poivre long (poivron). Je trouvai là les éléments d'une guerre (...) entre le copahu et le poivre cubèbe: des mémoires pour et contre avaient été lancés (Reybaud,J. Paturot, 1842, p.94).C'est un excitant généralement assez recommandable et fréquemment employé toutes les fois qu'il s'agit de stimuler l'organisme (...) propriétés médicinales très analogues (...) poivre de la Jamaïque (Bouchardat,Nouv. formulaire, 1894, p.176).Les autres épices parfois commercialisées sous ce nom [poivre] doivent y adjoindre un qualificatif, tels le poivre «de Guinée», au goût voisin du poivre noir, le poivre «long», très piquant, le «petit» poivre (...). Quant au poivre «de Cayenne», c'est du piment réduit en poudre. Enfin, le poivre «rose», ou «d'Amérique», est le fruit du Schinus molle, petit arbre sud-américain (CourtineGastr.1984, p.771). ♦ Poivre d'eau. ,,Espèce de renouée ou herbe de saint-Innocent`` (Quillet 1965). B. − P. anal. 1. Loc. Poivre et sel. Mêlé de poils ou de cheveux foncés et blancs. C'est touchant de le voir, cet homme à la barbe terrible, devenue un peu poivre et sel, jouer tout à fait la petite mère attentive (Goncourt,Journal, 1898, p.845). − Au fig. Fauchelevent était en effet de cette espèce que le vocabulaire impertinent et léger du dernier siècle qualifiait: demi-bourgeois, demi-manant; et que les métaphores tombant du château sur la chaumière étiquetaient dans le casier de la roture un peu rustre, un peu citadin; poivre et sel (Hugo,Misér., t.1, 1862, p.628). 2. Arg. et pop. a) Poison. Il a été butté, on lui a tranché un arpion, pour avoir donné le poivre à sa daronne (Ansiaume,Arg. bagne Brest, 1821, § 352). b) Eau-de-vie. ,,Un poivre, un verre d'eau-de-vie. −«De la bière, deux poivres ou un saladier?»`` (P. Mahalinds Rigaud, Dict. arg. mod., 1881, p.303). ♦ Moulin, mine à poivre. Cabaret de bas étage. Et il proposait aux deux camarades d'aller au Petit bonhomme qui tousse, une mine à poivre de la barrière saint-Denis, où l'on buvait du chien tout pur (Zola,Assommoir, 1877, p.412). − P. méton. Personne alcoolique. Synon. poivrot.−Et alors! Tous les grands peintres ça picolait. Tous des poivres. Van Gogh, Utrillo, la peinture à l'eau c'était pas leur fort (R. Fallet,Le Beaujolais nouveau est arrivé, 1975, p.127 ds Cellard-Rey 1980). ♦ Empl. adj. Ivre. Il est poivre, murmura-t-elle d'un air de dégoût mêlé d'épouvante. L'administration devrait au moins ne pas envoyer des pochards (Zola,Assommoir, 1877, p.665). c) Maladie vénérienne; en partic., syphilis. ,,Être au poivre, être atteint de syphilis`` (Rigaud,Dict. arg. mod., 1881,p. 303). C. − Au fig. 1. Ce qui donne du piquant, de l'intérêt; ce qui rend mordant, excitant. Ce baiser fougueux, inapaisable, éternel: ce baiser odorant et capiteux où passaient les parfums féroces des Fleurs du mal (...) et les exécrables poivres du Désir (Bloy,Hist. désobl., 1894, p.93).Parmi les artistes du genre cynique, l'une s'était fait une réputation pour la virulence de ses propos et le poivre de ses aventures (L. Daudet,Qd vivait mon père, 1940, p.242).Il parlait fort bien mais avec un accent étranger. «Serait-ce le fameux général? se dit Angélo. En tout cas il connaît la chanson et il y ajoute du poivre» (Giono,Bonheur fou, 1957, p.179). 2. Locutions a) Grain de poivre. Petite touche caustique, piquante. J'accepte en général les jugements de l'auteur anglais [Sir Henry Bulwer sur Talleyrand], mais je les complète, et j'y mêle le grain de poivre que la politesse avait toujours chez nous empêché d'y mettre (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t.12, 1869, p.130). b) Cher à poivre (pop., vx). ,,Se dit d'une marchandise d'un prix exorbitant`` (Hautel 1808). c) Chier* du poivre à qqn. d) Piler* du poivre. − P. ext., pop. ♦ ,,S'agiter, tressauter sur son siège`` (Rey-Chantr. Expr. 1979). ♦ ,,Faire une marche pénible`` (Delvau Suppl. 1883). ♦ ,,Médire de quelqu'un en son absence`` (Delvau 1866, p.30). ♦ Négliger son travail. (Ds Lav. 1828). Prononc. et Orth.: [pwa:vʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. Ca 1140 peivere «baie du poivrier» (Voyage de Charlemagne, éd. G. Favati, 211); ca 1200 fém. poivre molüe (Raimbert de Paris, Ogier le Danois, 10366 ds T.-L.); id. livre de poivre (Guiot, Bible, 2047 ds OEuvres, éd. J. Orr, p.73); 1269-78 [ne valoir un] grain de poevre [ici, pour exprimer une valeur minime] (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 5716), cf. F. Möhren, Renforcement affectif de la négation, 1980, p.147; 1225-30 (d'une personne) plus noirs que poivres (Bueve de Hantone, III, 4125 ds T.-L.); ca 1280 poivre noir (Bataille de Caresme et de Charnage, éd. G. Lozinski, 215); 2. xiiies. poivre lonc (Livre des simples médecines, éd. P. Dorveaux, 867-868. II. Fig. A. 1. 1269-78 braier tel poevre «susciter de tels ennuis» (Jean de Meun, op. cit., 10868); 1739 chier du poivre (à qqn) «vouloir nuire, jouer un mauvais tour (à quelqu'un)» (Comte de Caylus, Ecosseuses, OEuvres, t.10, p.551 ds Littré); 1901 id. empl. abs. «déserter» (Bruant, p.158); 2. piler du poivre a) 1765 «piétiner sans avancer (en parlant du dernier rang d'une colonne)» (Encyclop., s.v. piler, t.12, p.621a); 1833 «être fatigué par le trot sec de son cheval» (Vidal, Delmart, Caserne, p.356); 1866 «attendre avec impatience en allant et venant» (Delvau); b) 1828 «(d'un ouvrier) négliger son travail» (Lav.). B. 1. 1692 «trait piquant; ce qui relève une oeuvre littéraire» (Regnard, Les Chinois, sc. dern. ds DG: Le poivre tragique ou le sel comique); 2. «ce qui donne du piquant, du relief» a) 1913 (Colette, Music-hall, Paris, 1949, p.82: On raconte [...] qu'elle a du chien, qu'elle a du poivre dans les jambes); b) 1940 (L. Daudet, loc. cit.). C. 1. 1733 «syphilis» (Stances tirées du Cabinet satirique et jointes aux Satyres et autres oeuvres de M. Régnier, éd. 1733 ds OEuvres de M. Régnier, éd. P. Jannet, p.227 [cf. éd. P. Poitevin, p.281]: Je trouvai la poudre à la teste, Mais le poivre estoit vers le bas); 1881 être au poivre «être atteint de syphilis» (Rigaud, loc. cit.); 2. a) 1821 arg. «poison» donner le poivre «empoisonner» (Ansiaume, loc. cit.); b) 1837 «eau-de-vie» [le vin, l'eau-de-vie mêlés de poivre se servaient dans certains cabarets, v. R. Arveiller ds Fr. mod. t.18, p.237] (Vidocq, Vocab. d'apr. Sainéan, Sources Arg. t.2, p.151); 3. 1835 empl. subst. «homme ivre» (Raspail ds Le Réformateur, 29 sept., p.2); 1861 empl. adj. «ivre» (Larch.). D. 1867 loc. adj. (cheveux) poivre et sel (Delvau). Du lat. piper, -ĕris (empr. au gr. π
ε
́
π
ε
ρ
ι , lui-même empr. oriental, cf. Chantraine) «poivre» spéc. piper album «poivre blanc» (Scrib. Larg.); piper longum (Scrib. Larg.; Celse); piper nigrum, usuel; André Bot., p.251. C 1 est peut-être tiré de (se) poivrer «prendre, transmettre une maladie vénérienne», v. FEW t.8, p.555a, note 4; C 3 est prob. issu de poivrot* par apocope. D poivre et sel, prob. d'apr. l'angl. pepper and salt, loc. adj., appliqué à un vêtement dep. 1774 ds NED. Fréq abs. littér.: 233. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 184, b) 460; xxes.: a) 339, b) 382. |