| POIRE, subst. fém. I. − BOT. Fruit du poirier, charnu, à pépins, sucré et parfumé, de forme oblongue comportant de nombreuses variétés. Albine, tout en filant sous les arbres, allongeait la main, croquait une poire verte, s'emplissait la jupe d'abricots (Zola,Faute Abbé Mouret, 1875, p.1365).Je te conduirai chez Genevet, mon voisin, qui aime, comme toi, la pêche, l'abricot, la prune et la poire (Bosco,Mas Théot., 1945, p.328): 1. Les plus considérables d'entre les Romains se firent gloire d'avoir de beaux jardins où ils firent cultiver (...) les fruits anciennement connus, tels que les poires, les pommes, les figues, le raisin...
Brillat-Sav.,Physiol. goût, 1825, p.266. SYNT. Poire blette, fondante, mûre, pierreuse, verte; poire comice, crassane, de beurré, beurré Hardy, beurré Giffard, beurré d'Anjou, louise-bonne, passe-crassane, Williams; poire à couteau, à cuire; poire à cidre; poire d'automne, d'été, d'hiver; poire belle-Hélène, Melba; poires au vin; compote, confiture de poires; quartier de poire; cidre, eau-de-vie, liqueur de poire(s); tarte aux poires. − P. méton. Alcool, liqueur de poire(s). Sa main plonge dans la poche gauche de son veston (...) en retire un flacon plat qu'il élève très haut (...) avant de siffler, glou glou, d'un seul coup, le reste de sa ration quotidienne de «poire flambante» (H. Bazin,Huile sur feu, 1954, p.38). − Poire d'angoisse. V. angoisse A 2 a. A. − Locutions ♦ Entre la poire et le fromage. À la fin du repas, au moment où l'on parle plus librement. L'histoire continue et dit que le maréchal Molitor (...) invita son curé à dîner, et (...) entre la poire et le fromage il lui raconta naïvement les conseils qui lui avaient été donnés (Delécluze,Journal, 1825, p.186).Le repas fut charmant. Je lui fis redresser son premier jugement Sur les hommes, entre la poire et le fromage (Ponchon,Muse cabaret, 1920, p.183). ♦ Garder une poire pour la soif. Épargner pour les jours difficiles à venir. MmeBontemps craignait que cela ne choquât ce fiancé possible qu'elle lui gardait comme une poire pour la soif, si je ne l'épousais pas (Proust,Fugit., 1922, p.614). ♦ Couper la poire en deux. Transiger avec un concurrent, faire des concessions réciproques. Mais non, Lucie, mais non. Il ne faut pas capituler. Il faut défendre son droit, coûte que coûte, et n'en pas démordre. −Eh bien! coupons la poire en deux. Je céderais pour dix mille francs (Duhamel,Notaire Havre, 1933, p.166). ♦ Ne pas promettre poires molles (vx). Menacer d'un traitement rigoureux. Le caractère particulier du surveillant et ses antécédents de St Denis ne promettent pas poire molle aux monuments historiques (Mérimée,Lettres à L. Vitet, 1842, p.53). ♦ La poire est mûre. L'occasion est favorable. [Les hommes] sont ensemble; ils pensent ensemble, pauvrement, dans le soir sale qui descend. (...) les troupes fraîches vont s'amener; on leur dira: «C'est là-haut; la poire est mûre, vous n'avez qu'à la cueillir» (Genevoix,Éparges, 1923, p.64). B. − P. anal., vx. Poire de terre. ,,Nom donné dans certaines régions au topinambour`` (Lar. Lang. fr.). Poire d'avocat. ,,Fruit de l'avocatier`` (Gatin 1924). II. − P. anal. (de forme) A. − 1. ARM., CHASSE. Poire à poudre. Récipient portatif, généralement de cuir bouilli, dans lequel on mettait la poudre. Le feu se communiqua à sa poire à poudre qu'il tenait à la main, l'explosion lui brisa l'os du pouce (Voy. La Pérouse, t.3, 1797, p.78).Un homme avec une poire à poudre et un carnier, mais sans fusil, était là, à bout d'haleine (Pourrat,Gaspard, 1930, p.227). 2. BEAUX-ARTS. Flacon, boîte, motif, ligne de forme oblongue. (Dict.xixeet xxes.). Balustre à poire; pied de fauteuil à poires. 3. BIJOUT. Perle en poire ou poire. Perle oblongue, plus grosse en bas. Elle avait aux oreilles deux belles perles en poire (Ac.).Taille (d'un diamant) en poire, p.méton., pierre en poire ou poire. (Dict.xxes.). 4. COST. ,,Accessoire en bois dur en forme de poire au milieu duquel passaient les tresses maintenant la targe devant le côté gauche de la poitrine`` (Leloir 1961). 5. ÉLECTR. ,,Type piriforme d'interrupteur, ou de commutateur, généralement monté à l'extrémité de fils souples torsadés, utilisé pour les sonneries et l'allumage et l'extinction des lampes`` (Siz. 1968): 2. Beaucoup de choses importantes à faire: arranger le lit, les oreillers, la moustiquaire (...), mettre à portée le verre d'eau, le flacon de gouttes, la poire pour la lumière, la poire pour la sonnerie...
Martin du G.,Thib., Épil., 1940, p.972. 6. TECHNOLOGIE a) Petit ballon en caoutchouc généralement en forme de poire, pour aspirer ou refouler un liquide, un gaz. Poire à injections, à insufflations. Une autre branche [de la quadruple tubulure d'un ballon] (...) reçoit une poire en caoutchouc, qui chasse l'air dans le tuyau sous la pression de la main (Ledieu, Cadiat,Nouv. matér. nav., 1899, p.340).Une fois le niveau du liquide [du réservoir de la machine à tirer le vin] établi, il faut amorcer chaque siphon soit à la bouche, soit au moyen d'une poire amorce-siphons (Brunet,Matér. vinic., 1925, p.479): 3. Si on exerce par ce tube une aspiration, soit à la bouche et à l'aide d'un tube de caoutchouc, soit à l'aide d'une poire de la même substance, on voit aussitôt le liquide se précipiter dans le flacon.
Wurtz,Dict. chim., t.1, 2evol., 1870, p.1136. − PATHOL. Poire à lavement. Poire de Politzer. ,,Poire utilisée pour l'aération de la caisse du tympan`` (Lar. méd. t.3 1972). b) Contrepoids de la balance romaine (d'apr. Ac.). c) Poire d'angoisse. V. angoisse A 2 b. B. − Loc. adj. En poire, en forme de poire. Qui est de forme ovale, aminci à l'extrémité. Synon. piriforme.Un nez en poire avec un méplat kalmouk au bout (Goncourt,Journal, 1867, p.348).Savez-vous seulement si elle a les seins en poire ou en plat à barbe? (Aymé,Quatre vérités, 1954, p.22). III. A. − P. anal., pop. 1. [Sans doute p.allus. au visage de Louis Philippe que les caricaturistes représentaient avec une tête en forme de poire] Tête, visage. Synon. pop. gueule, tronche.Il a pris un obus en pleine poire (Céline,Voyage, 1932, p.134). − Ma poire, ta poire, sa poire. Moi, toi, lui. Voir Le Breton 1960. 2. Poire blette. Individu de peu d'envergure. [La fille, à son défenseur inattendu:] Ça vaut pas la peine [de te servir de ton revolver]. Laisse-les s'tracer, ces poires blettes (Le Breton,Rififi, 1953, p.158). 3. Locutions ♦ Se sucer la poire. S'embrasser. (Dict. xixeet xxes.). ♦ Faire sa poire ou (Belgique) de sa poire. Prendre un air dédaigneux. Qu'est-ce que vous me voulez? Il essaya de rire: −Allons, ne fais pas ta poire (Maupass.,Bel-Ami, 1885, p.116): 4. Les poiriers ont bien raison de produire des poires, mais tout de même il ne faut pas non plus qu'ils s'exagèrent leur importance dans la nature; c'est ce que le bon sens populaire a voulu indiquer dans cette locution familière: «Ne fais donc pas ta poire!» qu'il adresse aux esprits décidément trop dépourvus du don de sourire.
Barrès,Renan, Toute licence sauf contre l'amour, 1892, p.224. ♦ Se payer la poire de qqn. Se moquer de quelqu'un. Moi (...) j'fous mon poing su'la gueule à celui qui vient s'payer ma poire (Bruant1901, p.165). ♦ Se saouler la poire. S'enivrer. Les truands pouvaient se saouler la poire, becter s'ils avaient les crocs, rien ne manquait (Le Breton,Razzia, 1954, p.23). B. − Personne naïve, facile à duper. Zoé conclut de là que Laure Gévenos était une bonne poire, de caractère assez faible, et qui ne résisterait pas à l'assaut qu'elle allait lui donner (L. Daudet,Ariane, 1936, p.86).Tu comprends bien que je ne serai pas toujours la poire de la famille, la seule poire (Duhamel,Combat ombres, 1939, p.158). − Empl. adj. Il ne sait pas le plaisir que j'ai à être poire, non une poire vulgaire, une poire malgré elle, un imbécile, oh! non, mais une poire qui se sait poire, volontaire, consciente, une poire de luxe (Renard,OEil clair, 1910, p.16).Tiens, tu me ressembles, tu es aussi poire que moi (Sartre,P. respect., 1946, p.140). REM. 1. Poirat, subst. masc.,gastr., région. (Berry), vx. ,,Tarte ou pâté aux poires`` (L. Vincent, Lang. et style rust. Sand, 1916, p.131). Françoise fait un poirat superbe (Sand,Corresp., t.2,1843,p.289, ibid.). 2. Poirette, subst. fém.Petite poire. Il est précieux, pour l'arboriculteur, de pouvoir estimer à un moment donné l'état d'évolution d'un bourgeon, notamment afin d'appliquer en temps opportun un traitement antiparasitaire (cécydomie des poirettes...) (Boulay,Arboric. et prod. fruit., 1961, p.53). Prononc. et Orth.: [pwa:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1165 bot. ([Chrétien de Troyes], Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 432); b) 1640 se garder une poire pour la soif (J. Chapelain, Lettre du 15 oct. ds Lettres, éd. Ph. Tamizey de Larroque, t.1, p.704); 2. a) poire d'angoisse a/) ca 1300 «sorte de poire» (Les Crieries de Paris, 149 ds E. Barbazan, Fabliaux, t.2, p.284; v. FEW t.24, p.565a-b, note 2, à propos de la date de 1184, donnée par le TLF, s.v. angoisse);
β) ca 1433 avoir poires d'angoisse «avoir des déplaisirs» (Charles d'Orléans, Complaintes, t.1, p.262, 33 ds R. Ling. rom. t.47, 1983, p.193); b) 1380 «petit flacon en forme de poire» (Inventaire du mobilier de Charles V ds Laborde 1872: une poire d'or a metre eaue roze); c) 1669 artill., chasse (Widerhold d'apr. FEW t.8, p.573b); 1797 poire à poudre (Voy. La Pérouse, loc. cit.); d) 1870 poire (en caoutchouc) (Wurtz, loc. cit.); e) 1876 électr. (Chabat). B. 1. a) α) 1858 faire sa poire «jouer le dédain» (Larch., p.656);
β) 1872 «face» (d'apr. Esn.);
γ) 1901 se sucer la pomme ou la poire (Rossignol, Dict. arg., p.99); b) 1878-79 ma poire (Gill, La Petite lune, no40, p.2); 2. a) 1888 adj. «dupe» (d'apr. Esn.); b) 1893 subst. une bonne poire (Courteline, Boubouroche, I, 2, p.27). Du lat. pop. pira, bot., neutre plur. considéré comme fém. sing. du lat. class. pirum «id.». Pour poire d'angoisse, v. angoisse ds TLF t.3 et FEW t.24, pp.564b-565b. Le sens de «face» semble dû à la célèbre caricature de H. Philippon, représentant la tête de Louis-Philippe sous forme de poire. Fréq. abs. littér.: 434. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 353, b) 849; xxes.: a) 925, b) 531. Bbg. Chautard Vie étrange Argot 1931, p.215. _ Faral (E.). Poire d'angoisse. In: [Mél. Thomas (A.)]. Paris, 1927, pp.149-155. _ Lommatzsch (E.). Blumen und Früchten im altfranzösischen Wörterbuch. Z. fr. Spr. Lit. 1966, t.76, pp.325-327. _ Quem. DDL t.16, 20, 27. _Renson 1962, p.470. |