| PIRE, adj. et subst. masc. I. − [Compar. de supériorité de l'adj. mauvais, surtout dans l'ordre moral] De plus mauvaise qualité, plus nuisible, plus pénible. Synon. pis1, plus mauvais*; anton. meilleur. A. − 1. [En parlant de choses concr.] Ce vin-là est encore pire que le premier (Ac.). − Proverbe. Il n'est pire eau que l'eau qui dort. V. dormir I B 1 b. 2. [En parlant de pers.] Pire qu'un démon; ni meilleur ni pire que les autres. Votre fille est donc pire que l'amadou, madame, que vous craignez qu'elle ne s'incendie en me touchant? (Balzac, Cous. Pons, 1847, p.252).Un homme excellent et généreux (...), s'il n'était point tel, il n'y aurait pas dans le monde de pire canaille, de plus parfait filou (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p.77). ♦ Proverbes. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre*. Il n'est pire aveugle* que celui qui ne veut pas voir. − [En parlant de l'état physique d'une pers.] −Ça va vous guérir (...). C'est un remède de première classe (...). −Ça ne peut pas la rendre pire? (...) Ça n'est pas du poison ni une affaire de même? (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p.204). 3. [En parlant de choses, de faits relatifs aux pers.: activité, affect, comportement, état moral, situation] La vie du médecin de campagne est pire en fatigue que celle d'un officier de cavalerie ou d'un postillon (Barb. d'Aurev., Memor. 4, 1858, p.106).Dans la vieille noblesse allemande, il n'y a pas pire réputation que celle du duc Gunther (Barrès, Cahiers,t.11, 1917, p.243).Stradella, d'une bonne humeur indécrottable, s'amusait de tout, riait des pires contretemps (Arnoux, Rossignol napol., 1937, p.176). − Proverbe. Le remède est pire que le mal. V. mal3I A 2.Au fig. La solution adoptée a des conséquences néfastes, elle aggrave la situation au lieu de l'améliorer. Quand ce corps tremblant nous assiège, la colère n'est pas loin; et ce remède d'instinct est pire que le mal. Est-il rien de plus sot qu'un petit chien qui fait le terrible? (Alain,Propos, 1921, p.317). Rem. Pire est rarement postposé hormis lorsqu'il est suivi du compl. du compar. V. cependant: Le vampire Qu'il paraît que fut l'homme pire Dont Saint-Ouen (...) Frémit encor (Verlaine, OEuvres compl., t.3, Invect., 1896, p.395). B. − En partic. [Empl. comme adj. se rapportant à une prop. ou à un pron. neutre; empl. rejeté des puristes mais qui tend à l'emporter sur pis1] Anton. meilleur, mieux.Jour de pluie incessante. Mer assez houleuse. Nombreux malades. De vieux coloniaux se plaignent: «Journée terrible; vous n'aurez pas pire» (Gide, Voy. Congo, 1927, p.685).Mourir de honte est pire que le suicide (Cocteau, Parents, 1939, i, 4, p.208): 1. ... comprendre une certaine catégorie de gens, et les plaindre, −ceux qui ont beaucoup d'argent, le jettent par la fenêtre, et avec cela ne parviennent pas à accrocher le bonheur. Ça, ça doit être encore pire que d'être sans argent et sans bonheur.
Montherl., Lépreuses, 1939, p.1393. − [En incise] En outre et en plus mauvais, en plus défavorable. Synon. le pire (v. infra II), pis1, le pis1.Et pire; ou pire. Encor, si vous étiez des sapeurs de l'Empire, Des chasseurs de la garde, houssards, ou même pire, Soldats de Foy, de Masséna! (Reybaud, J. Paturot, 1842, p.209). Rem. Dans la lang. pop., pire que est parfois empl. avec la valeur de plus que + compl. du compar.: Je laisse dehors ma belle pelure de mécano bleue comme une lavande et propre pire qu'une eau de roche (Giono, Baumugnes, 1929, p.52). II. − [Superl. rel. de supériorité de l'adj. mauvais] Anton. le meilleur, le mieux. A. − Le plus mauvais, la plus mauvaise (surtout dans l'ordre moral). 1. [En parlant de pers.] Les pires adversaires; la pire canaille. Inutile aux autres, impuissant pour moi-même, je ne crois plus en moi, je me hais comme mon pire ennemi (Du Camp, Mém. suic., 1853, p.48).Cette opinion de mes parents sur les relations de Swann leur parut ensuite confirmée par son mariage avec une femme de la pire société, presque une cocotte (Proust, Swann, 1913, p.20). − [P. ell. du subst.] Le restant [des prisonniers] (...) serait expédié vers Préneste, dans un camp de concentration (...). La chiourme, responsable de la garde de ceux-ci, serait choisie parmi les pires et dans leurs rangs (L. Daudet, Sylla, 1922, p.145). − [Suivi du compl. du superl.] Les pires d'entre nous/vous/eux. Les pires d'entre nous ne furent-ils jamais invisiblement bons? (Maeterl., Trésor humbles, 1896, p.208). 2. [En parlant de choses, de faits relatifs aux pers.: activité, affect, comportement, état moral, situation] Le pire excès; son pire défaut; la pire des choses; nos pires erreurs; de la pire espèce; la pire chose du monde, qu'on puisse imaginer, qui puisse arriver. Les choses réputées les pires (le mensonge, pour ne citer que celle-là) ne sont difficiles à faire que tant qu'on ne les a jamais faites (Gide, Immor., 1902, p.404): 2. Ma pire crainte avait été qu'elle fût restée à Paris, partie à Amsterdam ou à Montjouvain, (...) qu'elle se fût échappée pour se consacrer à quelque intrigue dont les préliminaires m'avaient échappé.
Proust, Fugit., 1922, p.431. SYNT. Le/la/les pire(s) aberration(s), calamité(s), catastrophe(s), chose(s), condition(s), conséquence(s), danger(s), désastre(s), détresse(s), difficulté(s), douleur(s), épreuve(s), événement(s), excès, heure(s), injure(s), injustice(s), jour(s), mal, malheur(s), mensonge(s), misère(s), moment(s), outrage(s), solitude, solution(s), sottise(s), souffrance(s), torture(s), tourment(s), violence(s); au milieu des pires ennuis, difficultés; être capable des pires bêtises, folies, sottises; commettre les pires horreurs, imprudences, sottises. Rem. ,,Si l'on admet le meilleur bon ami, le meilleur bon mot, etc., il faut admettre également le pire bon ami, le pire bon mot, etc.`` (Grev. 1975, § 364, note 2). − [Le subst. est antéposé dans la prop.] De toutes les monotonies, celle de l'assertion est la pire (Joubert, Pensées, t.1, 1824, p.245). − [Suivi du compl. du superl.] Le pire de ses malheurs. Elle n'éprouvoit que des remords arides et sans larmes, et une sorte de haine universelle qui s'étendoit (...) sur l'amant qui la méprisoit (...); mais plus encore (et c'étoit là le pire de ses tourmens) sur elle-même (Cottin, Mathilde, t.1, 1805, p.153). B. − Subst. masc. sing. à valeur de neutre [empl. contesté des puristes mais qui tend à l'emporter sur pis1] Le pire de. Ce qu'il y a de plus mauvais, de plus regrettable dans quelque chose, dans quelqu'un; ce qui peut arriver de plus fâcheux, de plus malheureux; le plus haut degré dans l'ordre du mauvais. 1. [Suivi du compl. du superl.] Le pire de l'affaire, de la chose, de l'histoire. Renoncé, renoncé c'est le pire de tout (Péguy,Myst. charité, 1910, p.140). 2. Absol. Craindre, envisager, éviter, imaginer, prévoir, voir le pire; mettre les choses au pire; s'attendre au pire; le meilleur et le pire; le pire, c'est de + inf./c'est que + ind. Dans une exposition comme celle-ci, on ne devrait admettre (...) que des chefs-d'oeuvre dans un genre où il n'y a véritablement pas de degré du médiocre au pire (Jouy, Hermite, t.3, 1813, p.346): 3. C'est l'âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On n'a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité.
Céline, Voyage, 1932, p.251. 3. Locutions ♦ Allons au pire et, p.ell., au pire. En imaginant la situation, l'issue la plus défavorable, la plus fâcheuse. Allons au pire: à supposer que Ninon elle-même le congédiât, il aurait la consolation de demeurer à la grille, de savoir Ninon peu éloignée de lui, de l'apercevoir peut-être quelquefois à travers les barreaux (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p.154).Quérolle lui refait cent fois les mêmes calculs: «La vente de la villa... L'entretien de la vieille... Au pire, en admettant qu'elle dure cinq ou six ans, ça ferait encore un bénéfice de tant...» (Martin du G., Vieille Fr., 1933, p.1038). ♦ Caver au pire. V. caver2A. ♦ Être au pire. [En parlant (de l'état de santé) de qqn] Être dans l'état le plus grave, qui précède la mort. Agnès était au pire. Depuis deux ans, elle mourait lentement, étouffée par son sang qui mal employé revenait sur elle, trop lourd (Drieu La Roch., Rêv. bourg., 1937, p.333). ♦ Politique du pire. Politique consistant à attendre ou à provoquer une aggravation de la situation afin d'en tirer parti. −Ils te trouvent dangereux (...); ils disent que tu prêches la politique du pire, que tu veux saboter la reconstruction. −(...) c'est leur politique à eux qui est catastrophique (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.172). ♦ Pour le meilleur et pour le pire. V. meilleur II B 1 b loc. 4. Proverbes. À force de choisir, on prend souvent le pire. V. choisir II B.Souvent qui choisit prend le pire. V. choisir II B. Rem. gén. 1. Empl. à la place de pis1. a) Comme adv., pire se rencontre parfois à la place de pis1mais dans la lang. pop. ou la lang. parlée parfois par effet de style: faire pire, voir pire, aller de mal en pire, de pire en pire, tant pire. Mon haricot de mouton s'est attaché. Bah! vous le mangerez brûlé, tant pire! (Balzac, Goriot, 1835, p.232). b) Le pire comme superl. neutre au lieu de le pis: le pire de tout. 2. Pire compar. peut être renforcé par des adv. tels que bien, encore, peut-être, dix/cent fois (etc.) (voir Grev. 1961, § 365). 3. Pire n'étant pas toujours senti (notamment au Québec) comme un compar. ou un superl., moins pire, plus pire, aussi pire ou très pire peuvent apparaître dans la lang. pop. ou parlée: Même un fascisme très pire, c'est moins pire que d'être mort! (Malraux, Espoir, 1937, p.512). Si France périssait, déclara-t-il, ça serait comme qui dirait aussi pire pour le monde que si le soleil tombait (Roy, Bonheur occas., 1945, p.362). Pas pire (Canada). Pas mauvais, bon. −Pas pire, le chevreuil? −Pas pire? Parfait. Si j'osais, j'en reprendrais. J'avais une de ces faims (H. Bernard ds Richesses Québec 1982, p.1727). REM. Pirement, adv.,vx, rare. De la façon la plus mauvaise, la plus défavorable; plus mal. Synon. pis1.Le «médaillonnet» consacré à Mallarmé fut particulièrement joli, mais d'une injustice qui révolta chacun de nous pirement que toutes blessures personnelles (Verlaine, OEuvres compl., t.4, Poètes maud., 1884, p.37). Prononc. et Orth.: [pi:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) 1119 adj. avec l'art. déf. ou un adj. poss.: superl. rel. de mauvais, la pire rüelete (Philippe de Thaon, Comput, 133 ds T.-L.); b) ca 1165 subst. «ce qu'il y a de pire» De la bataille le peior (Benoît de Ste-Maure, Troie, 420 ds T.-L.); ca 1280 id. «le plus haut degré dans la catégorie du mauvais» du gieu le piere (Clef d'Amour, 1412, ibid.); 2. 1155 compar. de supériorité de mauvais, peior cas régime (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 4412). Du lat. pejor, compar. de malus «mauvais»; était d'abord une forme de cas suj. dont le cas régime peior, pieur (lat. pejōrem) a disparu au xves. Fréq. abs. littér.: 3126. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1774, b) 2984; xxes.: a) 4919, b) 7223. Bbg. Dauzat Ling. fr. 1946, p.299. |